Analyse
A Cuba, Raul Castro et l'armée maîtres du jeu et de l'économie
Le Monde, 20.04.2011
Le congrès du Parti communiste de Cuba (PCC), achevé mardi 19 avril, n'a pas dérogé aux rituels qui caractérisent les grands-messes des partis uniques. A en croire la propagande, 8 913 838 personnes auraient participé aux débats préparatoires... sur 11 millions d'habitants ! Ce congrès avait été repoussé à plusieurs reprises depuis 1997, sans doute faute d'accord sur la façon de sortir de la crise, après la fin des subsides soviétiques qui maintenaient artificiellement à flot l'économie de l'île.
Depuis l'annonce de la maladie de Fidel Castro, en juillet 2006, il a fallu près de cinq ans pour que son frère cadet, Raul Castro, s'empare de toutes les commandes. Il n'a pourtant pas perdu de temps : les équipes ont été rénovées au plus haut niveau, les fidèles du frère aîné ont été limogés sans ménagement, les forces armées ont élargi leur emprise sur les noyaux durs de l'économie. Les militaires et le général Raul Castro, leur ministre depuis 1959, sont désormais maîtres du jeu.
Derrière la langue de bois du congrès se dessinent une privatisation partielle de l'appareil productif et la consolidation d'une économie mixte, avec deux domaines très différents. L'un, rentable, mise sur l'avenir. Il regroupe le tourisme, le nickel, demain le pétrole, une partie de l'agriculture. C'est le seul qui compte vraiment pour les militaires et leurs manageurs. Leur grand espoir, c'est le pétrole en eaux profondes - mais on en est encore à la phase exploratoire. Autre objectif : après le tourisme de masse, il s'agit d'attirer des vacanciers haut de gamme, en leur proposant des infrastructures de luxe. L'avenir passe aussi par les travaux en cours au port de Mariel, avec l'aide des Brésiliens, et la perspective d'une normalisation des relations avec les Etats-Unis.
Quant à l'autre domaine (tout ce qui reste), peu importe son évolution : les usines et les entreprises peuvent devenir des coopératives, être privatisées voire fermées si elles s'avèrent improductives. Impuissant à prolonger le dogme socialiste du plein-emploi, l'Etat patron se défausse sur les individus, sans aucun filet de sécurité. Travailler à son propre compte devrait être le débouché des 1,3 million de Cubains dont les emplois sont désormais considérés comme superflus. Malgré les contorsions rhétoriques, la propriété privée est rétablie, à condition de ne pas dépasser une certaine "concentration", qui reste à définir.
Toutefois, Raul Castro l'a dit au congrès, "il n'y aura pas de thérapie de choc". "Personne de sain d'esprit" à la direction cubaine ne songerait, par exemple, à éliminer d'un coup le carnet de rationnement, symbole de "l'égalitarisme", devenu une notion "nocive" pour le successeur de Fidel Castro. Alors qu'il pourfend la "mentalité d'inertie" et "l'immobilisme ", Raul Castro est obligé d'adapter le rythme des changements aux résistances de la société et des institutions. Il faudra cinq ans encore, prédit-il. Au congrès, il a annoncé pour bientôt la liberté de vente et d'achat des logements et des véhicules, l'extension des terres non cultivées proposées en usufruit et des crédits pour les travailleurs indépendants.
La politique de La Havane équivaut à une "perestroïka" sans "glasnost", commente le philosophe cubain Alexis Jardines, c'est-à-dire une restructuration de l'économie sans transparence ni ouverture politique. La comparaison avec le Vietnam ou la Chine vaut surtout pour le verrouillage institutionnel, symbolisé par le parti unique, car économiquement, les Cubains sont moins audacieux que leurs amis d'Hanoï ou de Pékin. Le virage économique comble les investisseurs étrangers déjà présents, européens ou canadiens, et aiguise l'impatience des Américains, freinés par leur propre embargo.
Cuba est un cas d'école, au moment où les révoltes arabes amènent l'Union européenne à s'interroger sur la relation entre diplomatie et droits de l'homme. En dépit de la libération de plus d'une centaine de prisonniers politiques (presque tous conduits à s'exiler), les libertés fondamentales ne sont pas respectées : ni la liberté d'expression, ni celle d'association, ni celle de manifestation, ni celle d'aller et venir. Le gouvernement détient le monopole des médias, qui ne font pas de l'information, mais de la propagande, et verrouille l'accès à Internet. Il conserve le monopole de l'éducation. Le Parlement est une chambre d'enregistrement, la justice est inféodée au pouvoir, le code pénal permet d'emprisonner quiconque pour sa "dangerosité" présumée ou des liens avec l'étranger.
Les investisseurs n'y voient là aucun défaut mais au contraire la garantie d'une paix sociale, avec des bas salaires défiant toute concurrence. La renégociation de la dette cubaine avec un petit nombre de pays (dont la France) en vue de nouveaux investissements montre l'intérêt que suscite La Havane. Les travailleurs indépendants et les petits entrepreneurs ne peuvent, eux, en faire autant avec les ressources de la diaspora cubaine (2 millions de personnes), contrairement aux Chinois et Vietnamiens, qui ont su profiter de l'épargne de leurs expatriés pour développer leurs propres projets et gagner de nouveaux marchés.
Paulo A. Paranagua (Service International)
Article paru dans l'édition du 21.04.11
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