Qui sont les 54 Français liés au régime nazi qui perçoivent encore une pension de l'Etat allemand ?
Cette prestation ne concerne "que des victimes de guerre" et exclut des versements à "une personne qui aurait commis un crime de guerre". Mais en France, l'affaire suscite un profond malaise.
"Rente pour service rendu au IIIe Reich", "collabo". Fin février, les parlementaires belges n'ont pas eu de mots assez forts pour fustiger une allocation versée par l'Allemagne au titre de la Seconde Guerre mondiale. Selon eux, ces pensions ont été accordées à des collaborateurs belges du régime nazi, membres de la Waffen-SS, condamnés après-guerre dans leur pays. Et la Belgique pourrait ne pas être la seule nation concernée. Selon le ministère du Travail allemand, 2 033 personnes ont touché ces pensions le mois dernier, dans le monde.
L'affaire a suscité un profond malaise en France, Jean-Luc Mélenchon appelant à interdire le versement de cette pension, encadrée par une loi allemande de 1951. Paris a même demandé à Berlin d'expliciter le profil des bénéficiaires en France, mercredi 27 février. Car parmi les bénéficiaires figurent 54 personnes vivant sur le sol français. Qui sont-elles exactement ? D'anciens collaborateurs nazis en font-ils partie ? Pour l'instant, personne à Paris ne connaît leur identité. "Nous n’avions pas connaissance de cette pension", a même reconnu la secrétaire d'Etat auprès de la ministre des Armées, Geneviève Darrieussecq. Franceinfo a donc tenté d'en savoir plus.
Un montant maximum de 1 300 euros
Contacté par franceinfo, le ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales allemand est catégorique sur les conditions de versement de la prestation, d'un montant maximum de 1 300 euros. Selon la loi fédérale sur l'assistance aux victimes de guerre de 1951 qui encadre son versement, elle concerne les personnes ayant subi des dommages pour leur santé au cours de la Seconde Guerre mondiale.
"Les bénéficiaires peuvent donc être d'anciens soldats de la Wehrmacht [l'armée allemande du IIIe Reich] ou des victimes civiles de la guerre. Parmi eux, il peut y avoir, par exemple, des personnes ayant perdu un membre lors d'un bombardement", explique le ministère. Et de préciser que cela ne consiste pas en une pension réservée à des combattants ayant servi dans l'armée allemande.
Aucune prestation de ce type n'est versée par l'Allemagne pour service rendu dans la Wehrmacht ou dans la Waffen-SS.à franceinfo
Si le ministère assure ne pas connaître le nom des récipiendiaires, il indique que parmi les 54 personnes concernées en France figurent des ressortissants français et des Allemands qui résident sur le territoire français.
Aucun condamné pour "crime de guerre"
Selon le ministère, aucun des 54 n'a toutefois été condamné pour "crime de guerre". La loi de 1951 a d'ailleurs été renforcée dans ce sens à la fin 1997 : elle exclut "tout demandeur ayant violé les principes d'humanité ou l'Etat de droit pendant le régime nazi." En vertu de cette règle, le ministère précise à franceinfo que l'octroi de la prestation a été refusé dans 99 cas depuis 1998.
Dans le détail, le versement de ces indemnités revient aux seize Länder, les Etats fédérés qui forment l'Allemagne. Ces derniers examinent les demandes et ont toute autorité pour accorder, refuser ou retirer la prestation.
Pour ce qui est du profil des récipiendiaires, "le ministère local de la Sarre examine actuellement si d'anciens membres de la Waffen-SS pourraient figurer parmi ces bénéficiaires", précise le porte-parole du ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales allemand. En effet, d'anciens soldats, enrôlés de gré ou de force dans la Wehrmacht, peuvent percevoir cette prestation. Contacté par franceinfo, le ministère local de la Sarre, qui gère les bénéficiaires qui résident en France, n'a pas répondu à nos sollicitations.
La question des "malgré-nous", enrôlés de force
Parmi les pistes explorées par les autorités allemandes figure ainsi le cas des "malgré-nous" et "malgré-elles", ces 135 000 Alsaciens et Mosellans enrôlés de force dans la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale. A partir de 1941, le régime nazi avait mis en place des campagnes de recrutement et déclaré obligatoire le service militaire dans l'armée allemande pour tous les jeunes Français de la région Alsace-Moselle. "S’ils n’y allaient pas, leurs proches étaient déportés dans les camps de travail", explique Gérard Michel, de l'Association des déportés, évadés, incorporés de force (ADEIF), à franceinfo.
Certains d'entre eux font-ils partie des 54 personnes concernées par le versement de cette pension controversée ? Non, répond avec véhémence une des membres de l'ADEIF du Bas-Rhin, contactée par franceinfo. "A notre connaissance, il n'y a pas de 'malgré-nous' parmi les 54. En tout cas, aucun n'a fait de demande pour la percevoir." Même son de cloche du côté de l'historien Nicolas Mengus, qui gère le site malgre-nous.eu. Selon lui, aucun "malgré-nous" ou "malgré-elles" ne touche une pension de l’Allemagne, même en tant que victime de guerre. En effet, en 1945, les "malgré-nous" ont été reconnus par le gouvernement français comme des anciens combattants.
Les enrôlés de force ont obtenu la carte d’ancien combattant de l’armée française et touchent à ce titre une pension du ministère des Armées.à franceinfo
Deux autres procédures pour une plus grande reconnaissance de ces anciens combattants sont d'ailleurs en cours, dont l'une visant à faire reconnaître leur incorporation de force comme un crime contre l'humanité. "Mais peut-être y a-t-il, parmi les 54, des 'enrôlés de force' qui n'ont pas été reconnus comme tels par la France et qui, en tant que victimes de guerre, ont demandé une prise en charge en Allemagne ?", se questionne, auprès de franceinfo, l'historien Frédéric Stroh, spécialiste de l'incorporation de force.
Les "volontaires" de la Wehrmacht
De leur côté, 8 000 Français se sont engagés volontairement dans l’armée allemande pour combattre sous cet uniforme. Les plus controversés sont ceux de la "Charlemagne" (la division française de la Waffen-SS), qui se sont engagés par conviction politique, rappelle l'historien Geoffrey Diebold, auteur d'un mémoire de recherche sur Les Engagés volontaires alsaciens dans la Wehrmacht et la Waffen-SS, de 1940 à 1945. Certains ayant collaboré avec le régime nazi pourraient donc figurer dans la liste des 54 personnes.
Reste à connaître l'histoire exacte de tous ces engagés. Car d'autres "volontaires", la plupart jeunes et issus de milieu modeste, n'ont pas eu "grand choix" au moment de signer leur engagement dans l'armée allemande, assure Geoffrey Diebold, qui a étudié les dossiers des 2 428 engagés alsaciens, dont 1 442 ont signé pour la Wehrmacht et 872 pour la Waffen-SS (l'affectation des 114 autres n'est pas connue).
Des circonstances expliquent leur ralliement : certains se sont engagés pour éviter d'aller sur le front russe, en choisissant la marine ou l'aviation allemande ; d'autres fuyaient une situation familiale compliquée ou cédaient à la pression de parents pro-nazis.
Les officiers allemands faisaient de la propagande dans les écoles. A la fin de leur discours, ils faisaient signer aux élèves un papier. Une fois rentrés chez eux, ils comprenaient qu'ils s'étaient engagés.à franceinfo
L'historien rappelle également que parmi les "volontaires", certains avaient été arrêtés parce qu'ils affichaient une attitude "anti-nazie". La police du IIIe Reich leur laissait alors le choix entre l'engagement volontaire ou le camp de concentration.
Sans information officielle de la part du gouvernement allemand, difficile de se faire une idée précise des bénéficiaires. Pour l'historien Nicolas Mingus, la discrétion, voire la gêne, en vigueur outre-Rhin s'explique par un souci de précaution. "Il y a des rancœurs très vives encore qui peuvent être attisées parce qu'ils touchent une pension. Il ne faut pas que cela devienne une chasse aux sorcières. Tant qu'on ne sait pas qui c'est et les conditions de leur entrée dans l'armée allemande, comment juger ?"
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