1/ Lula n’est pas Mandela
Difficile de nier la popularité de Luiz Inacio Lula da Silva, 73 ans, ancien président brésilien (2003-2010), co-fondateur du PT (Parti des Travailleurs) et icône de la gauche sud-américaine mais comparer son incarcération aux vingt-sept années d’emprisonnement de l’ex-Président sud-africain Nelson Mandela, est un édifiant déni des raisons de son incarcération.
Lula, comme le surnomment les Brésiliens, n’est pas un prisonnier politique. Il a été incarcéré pour avoir a été lourdement condamné pour corruption et blanchiment d’argent, d’abord en première instance le 12 juillet 2017. Cette première affaire, dite du « triplex », est liée au scandale LavaJato (lavage express). Il s’agit de la plus vaste affaire de pots-de-vin révélée au Brésil qui a ébranlé toute la classe politique depuis mars 2014 où l’opération a été diligentée par le juge Sergio Moro alors en exercice à Curitiba, au sud du pays.
Dans l’affaire du « triplex », l’ex président a été reconnu comme le bénéficiaire d’un vaste appartement en échange de faveurs accordées à un groupe de BTP. Cette condamnation en première instance était de 9 ans et 6 mois de prison ; peine alourdie en seconde instance (avril 2018) à 12 ans et 3 mois, puis réduite à 10 ans et 8 mois, le 23 avril dernier. Entre temps, le 6 février 2019, Lula a été condamné à 12 ans et 11mois de prison dans une autre affaire dite « d’Atibaia » également liée à l’affaire Lava Jato, encore une fois pour des pots-de-vin, avec une condamnation pour corruption passive et blanchiment d’argent.
Lula purge sa peine dans une « cellule » aménagée à Curitiba. Il est inculpé dans huit autres affaires liées à Lava Jato dont au moins six pour lesquelles il risque de lourdes condamnations.
2/ Lula n’est pas « la victime » du juge Sergio Moro
En 2017, c’est l’ex juge Sergio Moro, aujourd’hui Ministre de la justice et de la sécurité publique qui a scellé la chute de l’ex président Lula. Il passe pour le « tombeur » de Lula mais il est aussi le juge anticorruption qui a fait trembler toute la classe politique brésilienne. L’affaire Lava Jato a conduit à plus de 200 arrestations de politiciens et grands patrons (énergie avec Petrobras, BTP et ingénierie avec Odebrecht, OAS…). Tous les partis ont été concernés mais en premier lieu ceux qui détenaient le pouvoir au cours des dernières décennies, soit le PT de l’ex président Lula da Silva et de l’ex-présidente Dilma Rousseff et leurs alliées, principalement le PMDB (rebaptisé PMD) de l’ex Président Michel Temer.
Le plus célèbre juge anticorruption brésilien, longtemps vu comme un héros, n’est pas le seul homme clé de l’affaire Lava Jato qui doit son succès à la ténacité d’une palanquée d’enquêteurs et côté justice, une vingtaine de procureurs.
Lula n’est pas « la victime » de Sergio Moro : « Lula a été condamné par neuf juges de trois instances différentes, dont la plus haute juridiction du pays, avec des charges retenues qui sont extrêmement graves » rappelle l’expert Thialgo de Aragao, d’Arko Advice.
3/ L’avenir de Lula est judiciaire
Déjà lourdement condamné à deux reprises et par plusieurs juridictions, l’ex-président Lula da Silva incarcéré à Curitiba, n’en a pas fini avec la justice. Il est encore l’objet de huit poursuites judiciaires dont six pour des faits extrêmement graves de corruption, blanchiment d’argent, tentative d’entrave à la justice. Ceux qui estiment encore qu’il a été jusqu’ici condamné sans preuve, devraient lire plus attentivement les procès v et compte-rendus des motivations des juges (exemple : le rapport de l’affaire dite du triplex argumenté sur 230 pages).
4/ Le jour où Lula a perdu toute crédibilité
Favori des sondages lors de la campagne électorale de 2018, l’ex président Lula da Silva n’en était pas moins considéré comme « coupable de corruption » par une large majorité des Brésiliens (entre 56 et 70% selon les instituts de sondage). Le jour où Lula a perdu sa crédibilité auprès du peuple brésilien ne fut pas celui de son arrestation mais celui de la diffusion d’une écoute judiciaire d’une conversation entre lui et Dilma Rousseff alors présidente, le 17 mars 2016. Leur conversation plus qu’embarrassante atteste d’un incroyable double-jeu et révèle que la nomination de l’ex-président Lula au gouvernement avait pour seul objectif de lui éviter la prison. Cette révélation avait alors soulevé une vague de protestations au Brésil et « nombre d’experts politiques estiment qu’à partir de ce moment, le mythe Lula s’est effrondré » rappelle un professeur de sciences politiques de la Fondation Getulio Vargas (FGV).
5/ Lorsque son entourage de gauche l’accable
Arrêté par la police fédérale et placé en détention le 26 septembre 2016, Antonio Palocci, 57 ans, ancien trotskiste du mouvement Libelu et ami de Lula a mis longtemps avant de « se mettre à table » mais son témoigne est à ce jour, l’un des plus accablants à l’encontre de l’ex président.
Lula lui a longtemps témoigné son estime, même après son incarcération, à ce fidèle et membre fondateur du PT. Il avait alors toute sa bienveillance, étant alors cité comme ce « camarade de trente ans » qu’il avait choisi comme ministre des Finances et qui fut premier ministre du gouvernement Dilma Rousseff (chef de la Casa civil). Après ses révélations fracassantes en 2017, c’est la seule fois où Lula s’est laissé à exprimer ses sentiments, se disant « abattu ». La déposition de Palocci -qui a lui-même multiplié son patrimoine par vingt en quatre ans !- est dévastatrice pour Lula et beaucoup trop précise pour être sans fondement.
Antonio Palocci assure que Lula n’ignorait rien de la corruption menée au cœur de Petrobras, utilisé comme un méga-firme de pots-de-vin au profit de son parti et de ses alliés. Palocci « accuse » aussi Lula d’être intervenu lors des campagnes électorales, dans les contrats Odebrecht, géant du BTP laminé par la corruption. Selon Palocci, ce groupe aurait rétribué 82 millions d’euros au PT, distribué des « cadeaux » à Lula comme à l’Institut qui porte son nom.
Jean-Luc Mélenchon arrive au Brésil au moment où la déposition de l’ex-bras droit de Lula fait à nouveau la Une des journaux brésiliens. La vidéo de la déposition vient en effet d’être rendue publique par le nouveau juge fédéral de la 13 e cour fédérale de Curitiba, Luiz Antonio Bonat. Ces nouvelles révélations sont si édifiantes qu’elles ont fait éclore le hashtag #showDoPalocci sur les réseaux sociaux. Un spectacle ou plutôt un grand déballage qui augure de nouvelles instructions ? Palocci accuse plus précisément Dilma Rousseff et d’autres proches de Lula (Gleisi Hoffman et Lindberg) d’avoir reçu directement des pots-de-vin. Et le paeti ? Selon lui, le PT aurait reçu plus de 59 millions d’euros (270 millions de réaux) de pots-de-vin.
6/ Lula n’est pas le « sauveur du Brésil »
Lula peut-il se féliciter d’avoir sorti de la pauvreté « 28 millions de Brésiliens »et d’avoir permis à « 36 millions » d’autres d’accéder à la classe moyenne telle qu’on la définit en Amérique latine ? Sans doute mais il doit alors aussi assumer un sombre héritage. Sous Lula, le Brésil a connu une croissance économique sans précédent, faisant passer le géant sud-américain pour un bon élève parmi les émergents, à 7,5% de croissance en 2010. En raison d’une corruption institutionnalisée et d’une mauvaise gestion, les années de la gouvernance PT (ses mandats puis la présidence de Dilma Rousseff) ont cependant mené le Brésil à sa perte, à la pire récession de son histoire. Près de la moitié des Brésiliens qu’on a dit « sortis » de la pauvreté, vivent aujourd’hui en situation précaire.
7/ oubliez le « président des pauvres »
Si un mythe est tenace auprès des sympathisants de Lula, c’est celui-là, « le président des pauvres ». Mais l’ultra-conservateur Jair Bolsonaro n’est pas arrivé au pouvoir (élu à 55% des voix) avec le seul soutien de l’élite et de la classe moyenne, le vote en sa faveur a été massif dans les « favelas ». Un vote de rejet du « PT » en raison de l’insécurité, de l’abandon et de la corruption.
8/ La thèse du complot ne tient pas
Les doutes sur l’impartialité du juge Sergio Moro depuis son entrée au gouvernement et surtout les révélations d’écoutes téléphoniques avec des procureurs dans le cadre de l’affaire Lava Jato par The Intercept, n’innocentent aucunement l’ex Président Lula da Silva.
L’affaire Lava-Jato est tentaculaire, elle ne s’arrête pas à la personnalité de Lula, des hommes politiques de tous les partis ont été condamnés. Plus d’un tiers du Congrès est concerné par des poursuites judiciaires. Elle a commencé avec Petrobras qui a ouvert la boite de Pandore des pratiques occultes, s’est poursuivie avec Odebrecht (et des pots-de-vin qui s’étendent à une trentaine de pays), ainsi que la BNDES, la banque du développement qui a moins œuvré pour les bonnes causes que pour les amis de Lula sous mandat de la gauche brésilienne. C’est un scandale de corruption, démesuré à l’image du pays-continent qu’est le Brésil, et qui concerne aussi les événements mondiaux qui y ont été organisés, la coupe du monde de foot(2014) et les Jeux Olympiques(2016).
Si Lula a très certainement été une cible de Moro, ses accusations sont bien réelles et pas le fait de manipulations. L’ex président a été en outre condamné sévèrement (peine alourdie) par des juges de la Cour Suprême dont deux avaient été nommés par un gouvernement PT et que l’on peut difficilement suspecter de partialité.
Pour les défenseurs de Lula, l’ex-Président est victime d’une machination depuis la destitution de l’ex Présidente Dilma Rousseff mais si celle-ci avait des ressorts politiques, cela n’exclut en rien l’ampleur des fautes reprochées de maquillage des comptes publics. Si « coup » il y eût c’est comme dans la plupart des cas d’ « impeachment », un coup d’intrigue politique, et non un « coup d’Etat ».
9/ Lula à la manœuvre, des mensonges assumés
La politique sociale de Lula a été celle de l’assistanat. Dans le domaine de l’action sociale, il a revendiqué l’instauration de la Bolsa Familia et de l’augmentation du salaire moyen, deux pratiques déjà amorcées sous la présidence de Fernando Henrique Cardoso.
Lula a limité les réformes structurelles en matière sociale, foncière et dans les infrastructures, y compris pendant une période prospère. Au Brésil, les services publics –éducation, santé- sont tombés en déshérence avec la gauche au pouvoir, menant une première fois le peuple brésilien dans la rue, en 2014. Mais avec ses beaux discours, Lula s’est accaparé le « miracle social brésilien » qui tient en réalité du mirage même si incontestablement avec lui, le Brésil a connu l’émergence économique et sociale avec l’émergence d’une classe moyenne (peu comparable avec celle que nous connaissons en Europe). Un changement qu’il a accompagné mais qui fut essentiellement lié à la conjoncture internationale et aux marchés alors florissant des matières premières.
Lula a aussi beaucoup menti dans ses discours sur l’économie du pays, gonflant les chiffres, évoquant notamment l’exploitation de pétrole pré-salt comme une réalité économique alors qu’elle exigeait des investissements colossaux et des années de prospections en eau profonde. « Plus on grossit les chiffres, plus les gens sont crédules » a-t-il un jour plaisanté devant les cadres de Petrobras.
10/ Lula pris à son propre piège
Pour rendre compte du fléau de l’impunité, Lula a longtemps déclaré avant d’être élu, que son pays changerait, le jour où un politicien poursuivi, irait en prison. L’affaire Lava jato, la plus vaste opération anticorruption menée au Brésil, l’a, d’une certaine façon, pris au mot. Les enquêteurs n’ont pas fini de remonter les fils de cette incroyable machine à détourner des dizaines de milliards d’euros (dont entre 3,5 et 4 milliards d’euros pour la seule affaire Petrobras). L’un d’eux mène à Mensalao, une affaire de pots-de-vin versés à des députés contre l’achat de leur vote au profit du PT, un scandale politique que l’on a presque oublié mais qui, en 2006, avait failli coûter à Lula, sa réélection.
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