Est-ce l’ennui des landes charentaises ? Henri Coudreau (1859-1899), comme ses aînés du même terroir Samuel de Champlain, René Caillié et Pierre Loti, rêve très jeune de partir loin, en Afrique peut-être. « En cette seconde moitié du XIXe siècle, les zones hachurées des cartes fondent à vue d’œil. » Mais en 1883, alors qu’il travaille au sous-secrétariat d’État aux Colonies, on lui confie la mission d’aller dans « le Contesté franco-brésilien », un no man’s land revendiqué par les deux États, aux confins de la Guyane. C’est là que, d’abord seul puis accompagné de sa femme Octavie, il souscrit au projet colonial de la Troisième République naissante. Jules Ferry le soutiendra toujours, même lorsque l’administration centrale trouve que ce passionné outrepasse les consignes.
Henri a laissé une dizaine d’ouvrages sur ses expériences au cœur de la forêt amazonienne, et la vie à Cayenne, devenue sa base. Il y séjourne lors du grand incendie qui ravage la ville en août 1888. Il effectue aussi des relevés des endroits où il passe et envoie des cartes soignées à son ami Élisée Reclus, qui l’aide à établir une frontière acceptable pour les deux parties. Octavie, quant à elle, écrit cinq livres, tous après la mort de son mari dont elle poursuit la mission durant cinq ans malgré les périls : elle raconte ainsi avoir tiré un coup de fusil « pour mettre du plomb dans la tête d’un alligator » ! Lorsqu’elle rentre en France, elle reste un temps en contact avec la Société de géographie puis se retire en Charente-Maritime, jusqu’à sa mort en 1938.
Patrick Straumann s’est appuyé sur les carnets de ce couple hors du commun pour suivre leurs traces en Amazonie dans ce bel ouvrage illustré de cartes en couleur et de photographies noir et blanc. Il raconte aussi, à travers les portraits d’Indiens, d’orpailleurs, d’esclaves marrons (la « loi d’or » qui abolit l’esclavage au Brésil n’est votée qu’en 1888), d’anarchistes, d’industriels du caoutchouc, quelques moments forts de l’histoire amazonienne à la fin du XIXe siècle. Henri Coudreau ne verra pas la fin diplomatique de sa mission puisque c’est seulement en 1900 que le différend à l’origine de son départ est réglé. L’Oyapock devient dès lors la frontière entre le Brésil et la Guyane.
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