domingo, 5 de maio de 2024

Comment la guerre d’Ukraine change l’Europe? - S. Kahn (DiploWeb)

Comment la guerre d’Ukraine change l’Europe ?

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Vidéo + synthèse. Comment la guerre d’Ukraine change l’Europe ? S. Kahn

Alors que la guerre d’Ukraine a débuté le 24 février 2022, quelle est la situation sur le front 2 ans après ? Quelles sont les transformations induites par la guerre d’Ukraine en Europe ? En quoi cette guerre a-t-elle un impact sur la société européenne ainsi que sur la construction européenne ? Est-ce que la guerre d’Ukraine a un impact sur les opinions publiques européennes ? Le Pr Sylvain Kahn répond. La vidéo est accompagnée d’une synthèse rédigée par Marie-Caroline Reynier, validée par S. Kahn.

Sylvain KAHN | Professeur agrégé d’histoire à Sciences Po, docteur en géographie, chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po. Auteur de « L’Europe face à l’Ukraine », PUF. 


Vidéo. Comment la guerre d’Ukraine change l’Europe ? S. Kahn

Par Arthur ROBINMarie-Caroline REYNIERPierre VERLUISESylvain KAHN, le 4 mai 2024

Sylvain Kahn, professeur agrégé d’histoire à Sciences Po, docteur en géographie, chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po. Auteur de « L’Europe face à l’Ukraine », PUF, 2024. 
Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, diplômée d’un M2 de Sciences Po. Co-organisation de la conférence Pierre Verluise, fondateur du Diploweb et l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I, CINUP et Centre géopolitique. Images et son : Arthur Robin. Montage : Arthur Robin et Pierre Verluise.

Alors que la guerre d’Ukraine a débuté le 24 février 2022, quelle est la situation sur le front 2 ans après ? Quelles sont les transformations induites par la guerre d’Ukraine en Europe ? En quoi cette guerre a-t-elle un impact sur la société européenne ainsi que sur la construction européenne ? Est-ce que la guerre d’Ukraine a un impact sur les opinions publiques européennes ? Le Pr Sylvain Kahn répond. La vidéo est accompagnée d’une synthèse rédigée par Marie-Caroline Reynier, validée par S. Kahn.

Cette vidéo peut être diffusée en amphi pour nourrir un cours et un débat. Voir sur youtube/Diploweb

Synthèse de la conférence complète par Marie-Caroline Reynier pour Diploweb, validée par S. Kahn

Alors que la guerre d’Ukraine a débuté le 24 février 2022, quelle est la situation sur le front 2 ans après ?

Sylvain Kahn [1] rappelle la chronologie de l’opération militaire lancée par l’État russe en février 2022, dont l’objectif était d’envahir et de contrôler la totalité de l’Ukraine. Cette offensive est rapidement stoppée, à la grande surprise des observateurs puisque l’armée ukrainienne est, sur le papier, bien moins importante que celle de l’État russe. Durant l’automne 2022, l’armée russe est repoussée au-delà de la rive droite du Dniepr. La Russie occupe mi-mars 2024 une partie (17 à 20 %) du territoire ukrainien, dans l’Est.

S. Kahn constate que la guerre d’Ukraine est partie pour durer longtemps, et fait l’analogie, en termes de durée et de forme de front, avec la Première Guerre mondiale (1914-1918). Plus précisément, il compare la situation de mars 2024 avec la ligne de front en 1916figée mais caractérisée par des combats quotidiens, durs et très meurtriers. En effet, le front en Ukraine n’est actuellement pas gelé mais bien figé. Le fait que cette guerre puisse durer longtemps incite les Ukrainiens à demander davantage de matériel à leurs alliés européens. Si les Européens et les Américains ont puisé dans leurs stocks, l’Ukraine n’est mi-mars 2024 pas suffisamment approvisionnée pour riposter comme elle le souhaite. Les Ukrainiens s’adaptent donc pour fabriquer une zone de défense et éviter une contre-offensive russe au printemps 2024. Enfin, en raison des dissensions américaines concernant le soutien à l’Ukraine, S. Kahn souligne que la capacité ukrainienne à changer le cours de la guerre repose de plus en plus sur les épaules des Européens. Pour que les pays membre de l’UE atteignent leur objectif, fixé en Conseil européen, à savoir que l’Ukraine recouvre l’entièreté de son intégrité territoriale, ceux-ci doivent faire plus pour aider l’Ukraine.

S. Kahn fait également le point sur le lourd bilan humain causé par cette guerre. Du côté ukrainien (dont la population est de 38 millions d’habitants), si le gouvernement avance officiellement le chiffre de 31 000 morts, la fourchette se situerait plutôt entre 50 000 et 80 000 morts, et 100 000 retirés (personnes blessées). Ce bilan est d’autant plus coûteux pour l’Ukraine que l’armée russe a pour tactique de bombarder systématiquement les villes (ce faisant, les populations civiles) et les infrastructures critiques que les Ukrainiens reconstruisent quasiment au jour le jour. Du côté russe (dont la population atteint 144 millions d’habitants), le nombre de morts au combat serait 2 fois plus élevé que chez les Ukrainiens. En effet, le gouvernement russe ne cherche pas à économiser ses troupes, au contraire. La Russie envoie ainsi des prisonniers au front, verse des soldes élevées pour attirer les citoyens de la Fédération de Russie, en particulier des territoires périphériques défavorisés, et offre d’importants dédommagements afin d’éviter les mouvements de contestation des familles.

Cette vidéo peut être diffusée en amphi pour nourrir un cours et un débat. Voir sur youtube/Diploweb

Synthèse de la conférence complète par Marie-Caroline Reynier pour Diploweb, validée par S. Kahn

Alors que la guerre d’Ukraine a débuté le 24 février 2022, quelle est la situation sur le front 2 ans après ?

Sylvain Kahn [1] rappelle la chronologie de l’opération militaire lancée par l’État russe en février 2022, dont l’objectif était d’envahir et de contrôler la totalité de l’Ukraine. Cette offensive est rapidement stoppée, à la grande surprise des observateurs puisque l’armée ukrainienne est, sur le papier, bien moins importante que celle de l’État russe. Durant l’automne 2022, l’armée russe est repoussée au-delà de la rive droite du Dniepr. La Russie occupe mi-mars 2024 une partie (17 à 20 %) du territoire ukrainien, dans l’Est.

S. Kahn constate que la guerre d’Ukraine est partie pour durer longtemps, et fait l’analogie, en termes de durée et de forme de front, avec la Première Guerre mondiale (1914-1918). Plus précisément, il compare la situation de mars 2024 avec la ligne de front en 1916figée mais caractérisée par des combats quotidiens, durs et très meurtriers. En effet, le front en Ukraine n’est actuellement pas gelé mais bien figé. Le fait que cette guerre puisse durer longtemps incite les Ukrainiens à demander davantage de matériel à leurs alliés européens. Si les Européens et les Américains ont puisé dans leurs stocks, l’Ukraine n’est mi-mars 2024 pas suffisamment approvisionnée pour riposter comme elle le souhaite. Les Ukrainiens s’adaptent donc pour fabriquer une zone de défense et éviter une contre-offensive russe au printemps 2024. Enfin, en raison des dissensions américaines concernant le soutien à l’Ukraine, S. Kahn souligne que la capacité ukrainienne à changer le cours de la guerre repose de plus en plus sur les épaules des Européens. Pour que les pays membre de l’UE atteignent leur objectif, fixé en Conseil européen, à savoir que l’Ukraine recouvre l’entièreté de son intégrité territoriale, ceux-ci doivent faire plus pour aider l’Ukraine.

S. Kahn fait également le point sur le lourd bilan humain causé par cette guerre. Du côté ukrainien (dont la population est de 38 millions d’habitants), si le gouvernement avance officiellement le chiffre de 31 000 morts, la fourchette se situerait plutôt entre 50 000 et 80 000 morts, et 100 000 retirés (personnes blessées). Ce bilan est d’autant plus coûteux pour l’Ukraine que l’armée russe a pour tactique de bombarder systématiquement les villes (ce faisant, les populations civiles) et les infrastructures critiques que les Ukrainiens reconstruisent quasiment au jour le jour. Du côté russe (dont la population atteint 144 millions d’habitants), le nombre de morts au combat serait 2 fois plus élevé que chez les Ukrainiens. En effet, le gouvernement russe ne cherche pas à économiser ses troupes, au contraire. La Russie envoie ainsi des prisonniers au front, verse des soldes élevées pour attirer les citoyens de la Fédération de Russie, en particulier des territoires périphériques défavorisés, et offre d’importants dédommagements afin d’éviter les mouvements de contestation des familles.

Vidéo. Comment la guerre d'Ukraine change l'Europe ? S. Kahn
Sylvain Kahn
Sylvain Kahn, professeur agrégé d’histoire à Sciences Po, docteur en géographie, chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po. Auteur de « L’Europe face à l’Ukraine », PUF, 2024.

Quelles sont les transformations induites par la guerre d’Ukraine en Europe ? En quoi cette guerre a-t-elle un impact sur la société européenne ainsi que sur la construction européenne ?

S. Kahn note que l’expression « la guerre est de retour en Europe » est beaucoup usitée. Cependant, aucun pays européen (au sens des 30 pays membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen) ne fait la guerre. Même si la question de l’envoi de troupes au sol a été soulevée par le président français E. Macron le 26 février 2024 lors de la Conférence de soutien à l’Ukraine, aucun pays membre de l’UE n’envoie actuellement de contingent en Ukraine (hors forces spéciales, par définition peu nombreuses et clandestines). S. Kahn mentionne également l’utilisation de l’expression « économie de guerre », employée lorsque le politique décide d’orienter l’appareil productif vers l’industrie militaire de manière coercitive, sans que cela ne se matérialise pour l’instant. Pour autant, comme l’illustrent de nombreuses enquêtes d’opinion, dont les Eurobaromètres, les Européens peuvent avoir le sentiment d’être menacé actuellement.

En outre, cette guerre permet aux Européens de réaliser qu’ils disposent d’une boîte à outils, l’UE et ses politiques publiques, construite depuis 3 générations. En effet, S. Kahn souligne la longévité de la construction européenne, depuis la Déclaration Schuman (1950), le Traité de Paris (1951) instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et le Traité de Rome (1957).

Durant ce qu’il désigne comme la « crise des 15 ans » (2005 à 2020), le sentiment dominant était que l’Union européenne faisait partie du problème et des nombreuses difficultés à résoudre. Depuis 2020, au vu de sa réponse – collective - au Brexit, puis de celles données aux chocs externes du COVID et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’impression dominante est que l’UE fait partie de la solution.

La guerre d’Ukraine concerne tout particulièrement l’UE puisque l’UE partage 2257 km de frontières communes avec la Russie - dont l’exclave de Kaliningrad - et 1300 km de frontière avec l’Ukraine qui est un pays associé à l’UE depuis 2017.

Enfin, la guerre d’Ukraine a un impact décisif sur la construction européenne en ce que les États européens ont décidé d’agir de façon géopolitique depuis février 2022 : ils décident d’élargir à nouveau l’UE pour lutter contre la Russie ; et ils se posent avec acuité la question de leur défense collective dans le cadre de l’UE. Comme le soulignent les enquêtes Eurobaromètre, les citoyens européens s’expriment nettement en faveur de la mise en place d’une politique européenne de défense. Néanmoins, en dépit de cette demande citoyenne pour une défense européenne, la classe politique ne se presse pas d’y répondre de façon effective. Or, cette demande devient urgente. S. Kahn met donc en avant l’opportunité que représentent les élections européennes de juin 2024 pour que les gouvernements et les citoyens se saisissent du thème de débat suivant : qu’est-ce que serait une politique européenne de défense ? Ce sujet est paradoxal puisque la construction européenne se caractérise par l’absence de guerre entre les pays qui en sont membres.

En ce sens, S. Kahn reprend à son compte l’interrogation formulée par Jean-Louis Bourlanges, président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale : est-ce que les Européens sont en paix parce qu’ils ont fait l’UE ou est-ce qu’ils ont fait l’UE car ils sont en paix ? Il avance l’hypothèse suivante : lorsqu’un pays demande à entrer dans l’UE, il sait que faire la guerre à ses voisins n’est plus une option. Les Européens ont ainsi rompu avec leur histoire pluriséculaire, à savoir « qu’en Europe, l’État a fait la guerre et la guerre a fait l’État » (Charles Taylor).

Le prix Nobel de la paix attribué à l’UE en 2012 est venu souligner que les Européens ne se font plus la guerre entre eux depuis 60 ans (près de 75 ans maintenant). Néanmoins, un changement prégnant est à l’œuvre : alors que les Européens se sont construits autour de l’idée qu’ils ont mieux à faire que la guerre entre eux, ils se demandent désormais comment ils peuvent ensemble se préparer à se défendre et à faire la guerre à un État extérieur à eux susceptible de les agresser d’une façon ou d’une autre.

Est-ce que la guerre d’Ukraine a un impact sur les opinions publiques européennes ? 

Les enquêtes Eurobaromètre, notamment, montrent un clair soutien de l’opinion publique européenne aux mesures prises par l’Union européenne en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Si les Européens s’expriment majoritairement en faveur de la politique européenne pour l’Ukraine, cette majorité peut être écrasante (Portugal, Pays-Bas, Estonie) ou nette ; elle peut-être plus mesurée dans certains pays seulement (Grèce, Slovaquie, Bulgarie).

Plus précisément, ces enquêtes mesurent le soutien aux différentes manières dont l’UE soutient l’Ukraine, à savoir l’aide humanitaire aux populations touchées par la guerre, le soutien financier et budgétaire, le soutien militaire, les sanctions économiques contre la Russie. Sur ces quatre items, le soutien humanitaire recueille la plus grande approbation ; le soutien financier fait l’unanimité, avec des nuances sensibles selon les pays ; le soutien militaire, majoritaire, est le soutien qui est le plus nuancé. Ainsi, le Portugal, l’Irlande, la Suède, les Pays-Bas, la Pologne, la Finlande, l’Estonie sont les pays où l’opinion publique exprime la plus nette approbation concernant le soutien militaire. Si certains de ces pays (Suède, Finlande, Estonie, Pologne) ont pour point commun d’avoir été directement confronté à l’impérialisme russe puis soviétique, d’autres (Portugal, Pays-Bas, Irlande) partagent avec eux le trait caractéristique d’avoir été en proie à l’impérialisme d’un pays voisin au cours de leur histoire.

Enfin, S. Kahn note que, mi-mars 2024, le débat concernant la politique européenne de défense n’est pas présent dans la campagne des élections européennes. Sans doute car ce sujet est consensuel. Les sujets structurants sont plutôt le Pacte vert et la politique migratoire européenne. Il explique cette absence de débat en matière de défense par le net soutien à la politique menée par l’UE en appui à l’Ukraine. Mais, S. Kahn souligne que ce débat serait opportun, afin de déterminer concrètement la nature de cette politique ainsi que les choix industriels et budgétaires.

Copyright Mai 2024-Reynier/Diploweb.com


Vidéo. Comment la guerre d'Ukraine change l'Europe ? S. Kahn
Sylvain Kahn

Sylvain Kahn, professeur agrégé d’histoire à Sciences Po, docteur en géographie, chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po. Auteur de « L’Europe face à l’Ukraine », PUF, 2024.

Quelles sont les transformations induites par la guerre d’Ukraine en Europe ? En quoi cette guerre a-t-elle un impact sur la société européenne ainsi que sur la construction européenne ?

S. Kahn note que l’expression « la guerre est de retour en Europe » est beaucoup usitée. Cependant, aucun pays européen (au sens des 30 pays membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen) ne fait la guerre. Même si la question de l’envoi de troupes au sol a été soulevée par le président français E. Macron le 26 février 2024 lors de la Conférence de soutien à l’Ukraine, aucun pays membre de l’UE n’envoie actuellement de contingent en Ukraine (hors forces spéciales, par définition peu nombreuses et clandestines). S. Kahn mentionne également l’utilisation de l’expression « économie de guerre », employée lorsque le politique décide d’orienter l’appareil productif vers l’industrie militaire de manière coercitive, sans que cela ne se matérialise pour l’instant. Pour autant, comme l’illustrent de nombreuses enquêtes d’opinion, dont les Eurobaromètres, les Européens peuvent avoir le sentiment d’être menacé actuellement.

En outre, cette guerre permet aux Européens de réaliser qu’ils disposent d’une boîte à outils, l’UE et ses politiques publiques, construite depuis 3 générations. En effet, S. Kahn souligne la longévité de la construction européenne, depuis la Déclaration Schuman (1950), le Traité de Paris (1951) instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et le Traité de Rome (1957).

Durant ce qu’il désigne comme la « crise des 15 ans » (2005 à 2020), le sentiment dominant était que l’Union européenne faisait partie du problème et des nombreuses difficultés à résoudre. Depuis 2020, au vu de sa réponse – collective - au Brexit, puis de celles données aux chocs externes du COVID et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’impression dominante est que l’UE fait partie de la solution.

La guerre d’Ukraine concerne tout particulièrement l’UE puisque l’UE partage 2257 km de frontières communes avec la Russie - dont l’exclave de Kaliningrad - et 1300 km de frontière avec l’Ukraine qui est un pays associé à l’UE depuis 2017.

Enfin, la guerre d’Ukraine a un impact décisif sur la construction européenne en ce que les États européens ont décidé d’agir de façon géopolitique depuis février 2022 : ils décident d’élargir à nouveau l’UE pour lutter contre la Russie ; et ils se posent avec acuité la question de leur défense collective dans le cadre de l’UE. Comme le soulignent les enquêtes Eurobaromètre, les citoyens européens s’expriment nettement en faveur de la mise en place d’une politique européenne de défense. Néanmoins, en dépit de cette demande citoyenne pour une défense européenne, la classe politique ne se presse pas d’y répondre de façon effective. Or, cette demande devient urgente. S. Kahn met donc en avant l’opportunité que représentent les élections européennes de juin 2024 pour que les gouvernements et les citoyens se saisissent du thème de débat suivant : qu’est-ce que serait une politique européenne de défense ? Ce sujet est paradoxal puisque la construction européenne se caractérise par l’absence de guerre entre les pays qui en sont membres.

En ce sens, S. Kahn reprend à son compte l’interrogation formulée par Jean-Louis Bourlanges, président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale : est-ce que les Européens sont en paix parce qu’ils ont fait l’UE ou est-ce qu’ils ont fait l’UE car ils sont en paix ? Il avance l’hypothèse suivante : lorsqu’un pays demande à entrer dans l’UE, il sait que faire la guerre à ses voisins n’est plus une option. Les Européens ont ainsi rompu avec leur histoire pluriséculaire, à savoir « qu’en Europe, l’État a fait la guerre et la guerre a fait l’État » (Charles Taylor).

Le prix Nobel de la paix attribué à l’UE en 2012 est venu souligner que les Européens ne se font plus la guerre entre eux depuis 60 ans (près de 75 ans maintenant). Néanmoins, un changement prégnant est à l’œuvre : alors que les Européens se sont construits autour de l’idée qu’ils ont mieux à faire que la guerre entre eux, ils se demandent désormais comment ils peuvent ensemble se préparer à se défendre et à faire la guerre à un État extérieur à eux susceptible de les agresser d’une façon ou d’une autre.

Est-ce que la guerre d’Ukraine a un impact sur les opinions publiques européennes ? 

Les enquêtes Eurobaromètre, notamment, montrent un clair soutien de l’opinion publique européenne aux mesures prises par l’Union européenne en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Si les Européens s’expriment majoritairement en faveur de la politique européenne pour l’Ukraine, cette majorité peut être écrasante (Portugal, Pays-Bas, Estonie) ou nette ; elle peut-être plus mesurée dans certains pays seulement (Grèce, Slovaquie, Bulgarie).

Plus précisément, ces enquêtes mesurent le soutien aux différentes manières dont l’UE soutient l’Ukraine, à savoir l’aide humanitaire aux populations touchées par la guerre, le soutien financier et budgétaire, le soutien militaire, les sanctions économiques contre la Russie. Sur ces quatre items, le soutien humanitaire recueille la plus grande approbation ; le soutien financier fait l’unanimité, avec des nuances sensibles selon les pays ; le soutien militaire, majoritaire, est le soutien qui est le plus nuancé. Ainsi, le Portugal, l’Irlande, la Suède, les Pays-Bas, la Pologne, la Finlande, l’Estonie sont les pays où l’opinion publique exprime la plus nette approbation concernant le soutien militaire. Si certains de ces pays (Suède, Finlande, Estonie, Pologne) ont pour point commun d’avoir été directement confronté à l’impérialisme russe puis soviétique, d’autres (Portugal, Pays-Bas, Irlande) partagent avec eux le trait caractéristique d’avoir été en proie à l’impérialisme d’un pays voisin au cours de leur histoire.

Enfin, S. Kahn note que, mi-mars 2024, le débat concernant la politique européenne de défense n’est pas présent dans la campagne des élections européennes. Sans doute car ce sujet est consensuel. Les sujets structurants sont plutôt le Pacte vert et la politique migratoire européenne. Il explique cette absence de débat en matière de défense par le net soutien à la politique menée par l’UE en appui à l’Ukraine. Mais, S. Kahn souligne que ce débat serait opportun, afin de déterminer concrètement la nature de cette politique ainsi que les choix industriels et budgétaires.

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