Le Monde
Wang Huning, a cabeça pensante do regime, sai das sombras
Cet ancien professeur en sciences politiques, francophone, est un partisan du néo-autoritarisme à la chinoise
En accédant au comité permanent, où il va superviser le département de propagande du parti, Wang Huning accède à une place prééminente dans la hiérarchie du pouvoir communiste. Une consécration pour celui qu'on a surnommé le " Kissinger chinois " ou " conseiller en chef de Zhongnanhai ", le lieu du pouvoir communiste à Pékin, non loin de la Cité interdite. Wang Huning est l'un des théoriciens du pouvoir chinois depuis Jiang Zemin, qui l'a fait monter à Pékin en 1995, alors qu'il était doyen de la faculté de droit de l'université de Fudan à Shanghaï. Il rejoint alors le Centre de recherche de la politique centrale, le think tank du pouvoir central, dont il dirigera le département d'études politiques. Entré en 2002 au Comité central, il sera ensuite l'auteur du concept de développement scientifique de Hu Jintao et sert, selon sa biographie par la Brookings Institution, de lien entre l'équipe de Hu Jintao et l'ancien président Jiang Zemin et son éminence grise, Zeng Qinghong, tous deux très influents.
M. Wang a fait des études de français – langue qu'il parle couramment – puis de politique internationale et de droit. Devenu professeur, il effectuera plusieurs séjours comme chercheur invité aux Etats-Unis à la fin des années 1980, notamment à Berkeley, en Californie. C'est durant ces voyages qu'il dresse le constat que Washington est le grand rival auquel Pékin ne cesse de se mesurer. En 1991, il publie un livre, Les Etats-Unis contre les Etats-Unis, où il détaille ses six mois passés sur le sol américain à tenter de comprendre la première puissance mondiale, ses forces et ses failles.
La responsabilité d'un intellectuel chinois, juge-t-il à ce moment, est à la fois de comprendre pourquoi la Chine, une civilisation vieille de plus de 2 000 ans, a pu sombrer dans le déclin et pourquoi les Etats-Unis, jeune pays de 200 ans, a pu devenir la première puissance mondiale. " Je considère, écrit-il, qu'un intellectuel vivant au XXe siècle a le devoir d'étudier ces deux phénomènes. Tout intellectuel chinois doit le faire, c'est un moyen de mieux connaître le monde et soi-même et d'explorer le chemin de la Chine vers la puissance et la prospérité. " Voilà posé les bases de cette renaissance chinoise tant vantée par le sécrétaire général du PCC, Xi Jinping.
Dans les années 1980, il s'intéresse au système juridique. Dans un texte de 1986, il attribue ainsi les abus de la Révolution culturelle à l'absence de séparation entre la police, le parquet et la justice – un avis très partagé dans cette période d'ouverture politique. Mais il se fait vite remarquer ensuite pour sa défense d'un pouvoir centralisateur fort, capable d'" être efficace dans la redistribution des ressources " et de " promouvoir une croissance économique rapide ", comme il l'écrit en mars 1988 dans un article pour le Journal de l'universitéFudan (" Analyse sur les formes de gouvernement pendant le processus de modernisation "). M. Wang devient à ce titre un représentant de l'école de pensée néo-autoritaire. C'est cette théorie qu'il faut comprendre, écrit le sinologue Jude Blanchette dans un article récent intitulé " Le rêve néo-autoritaire de Wang Huning " pour " comprendre la phase ultra-conservatrice dans laquelle se trouve aujourd'hui la Chine ". Devenu proche conseiller et " plume " de Xi Jinping, il l'accompagne lors de nombreux voyages à l'étranger.
François Bougon, et B. Pe (à Pékin)
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Xi s'entoure de fidèles pour un pouvoir absolu
Le secrétaire général du PCC n'a nommé aucun successeur au nouveau comité permanent du bureau politique
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Xi
Jinping a franchi une nouvelle étape dans le renforcement de son
pouvoir. Après avoir fait inscrire, mardi 24 octobre, son nom dans la
charte du Parti communiste chinois (PCC) – se plaçant à l'égal de Mao
Zedong et de Deng –, il a rompu, en partie, avec les usages en ne
nommant pas des successeurs possibles au sein du comité permanent du
bureau politique, le cœur du pouvoir en Chine, dévoilé mercredi.
Le
secrétaire général du PCC, reconduit dans ses fonctions par le comité
central pour un nouveau mandat de cinq ans, a présenté ce comité
permanent à la presse, chinoise et internationale, au Palais du peuple, à
Pékin, à la mi-journée. En plus de l'actuel numéro deux, Li Keqiang,
reconduit dans ses fonctions, il est composé de cinq nouvelles figures,
tous des hommes et des cadres confirmés venus du bureau politique. Agés
de 60 à 67 ans, donc tous nés dans les années 1950, ils appartiennent à
sa génération, ou sont à peine plus jeunes, et seront sans doute appelés
à davantage suivre les décisions du numéro un chinois que ne l'ont
jamais été leurs prédécesseurs.
Déjà
désigné comme " noyau dirigeant du parti " en 2016, un titre hautement
symbolique, Xi Jinping a vu mardi sa " philosophie ", " la pensée de Xi
Jinping du socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle
ère ", inscrite dans
la charte du parti au côté de son nom, un honneur qui lui donne un
pouvoir sans précédent depuis le début de l'ère des réformes à la fin
des années 1970.
" Trouvaille marketing "
Pour
former sa nouvelle équipe, M. Xi, qui a certes dû composer avec
d'autres forces politiques au sein du parti et avec les vœux des
anciens, n'a pas fait entrer de représentants de la sixième génération
de dirigeants, ceux nés dans les années 1960. " Nous ne sommes plus dans l'ère où des successeurs sont nommés, le système du roulement a vécu ", explique au Monde le
politologue chinois Zhang Ming. Xi Jinping semble installer un nouveau
paradigme de gouvernance, avec une personnalisation du pouvoir, mais
entièrement au service d'un parti qu'il a voulu renforcer dans son rôle
dirigeant et ses prérogatives, quitte à ce qu'il soit moins collectif
dans ses prises de décision. Un " système de noyau dirigeant ", selon M. Zhang, au détriment du " système de direction collective ", et qui rend, selon lui, bien moins pertinent le rôle même d'un comité permanent.
Xi
Jinping, un fils de révolutionnaire qui se pose en sauveur du parti et
du régime, n'a cependant sans doute pas l'intention d'en être le
fossoyeur : " On n'est pas dans une poutinisation du pouvoir, réagit une diplomate occidentale à Pékin. Ce
qui se passe actuellement est l'expression de la volonté de ceux qui
veulent au sein du régime un pouvoir fort, incarné par le parti. Xi et
son rêve chinois sont dans cette optique, une trouvaille marketing qui
fonctionne. "
Outre
Li Keqiang, qui reste numéro deux du PCC, mais dont le poste de premier
ministre ne sera reconduit qu'en mars 2018, le nouveau comité
permanent à sept membres, comme le précédent, comporte, par ordre
protocolaire, Li Zhanshu, l'ex-bras droit de Xi Jinping, puisqu'il fut
durant les cinq dernières années chef de l'Office général du comité
central. Puis vient Wang Yang, un politicien qui s'était illustré par
ses politiques libérales à Canton avant 2012. M. Wang avait été appelé à
rejoindre la direction centrale du gouvernement comme vice-premier
ministre et a piloté les efforts d'allégement de la pauvreté.
Ensuite
apparaît Wang Huning, le théoricien du régime depuis Jiang Zemin,
devenu un proche de Xi Jinping. Zhao Leji, le plus jeune du comité
permanent et un allié de Xi Jinping, remplace Wang Qishan à la tête de
la Commission disciplinaire centrale du parti, la toute-puissante
organisation chargée de lutter contre la corruption. Enfin, Han Zheng,
ex-secrétaire du parti de Shanghaï qui a secondé Xi Jinping lorsque
celui-ci fut nommé à la tête de la célèbre municipalité avant de
rejoindre le comité permanent du parti en 2007.
Ce
" casting " respecte la plupart des règles établies, comme celle de
l'ancienneté : l'ex-chef de la lutte a anticorruption, Wang Qishan, dont
certains spéculaient qu'il serait maintenu au comité permanent malgré
ses 69 ans (l'âge limite pour y entrer est de 67), a bien lâché son
poste. Les autres " élus " l'ont été selon peu ou prou leur rang
d'ancienneté au bureau politique – l'une des règles informelles servant à
stabiliser les transitions du pouvoir qui, selon la sinologue
américaine Alice Miller, a systématiquement été appliquée dans la Chine
post-maoïste.
Wang
Huning a sans doute un grand rôle dans la formulation du rêve chinois
de Xi Jinping, mais il fut aussi actif sous ses prédécesseurs. Enfin, le
premier ministre Li Keqiang ainsi que Wang Yang restent bien placés
dans l'ordre protocolaire en tant que représentants de la filière
politique de la Ligue de la jeunesse, plus libérale, ce qui perpétue la
tradition de composer, pour le secrétaire général, avec la principale
faction rivale. Le peu d'espace politique laissé au premier ministre
lors des cinq années écoulées laisse toutefois présager qu'il en sera de
même dans la " nouvelle ère ".
En
revanche, Xi Jinping a dynamité les règles de succession. Aucun
responsable politique de la sixième génération ne figure au comité
permanent. Le modèle de succession en œuvre jusqu'ici aurait imposé
qu'un duo de politicien de cette génération émerge et soit coopté au
comité permanent. Le duo autrefois pressenti, formé par deux des plus
jeunes membres du bureau politique, Sun Zhengcai (ex-premier secrétaire
de Chongqing) et Hu Chunhua (premier secrétaire de Canton) est devenu
caduc quand le premier a été arrêté pour corruption juste avant le 19e
congrès.
" Coup de force "
M.
Xi semble avoir préféré donner à son remplaçant putatif et protégé,
Chen Min'er, tout juste admis au bureau politique, plus de temps.
Certains observateurs estiment que le numéro un chinois souhaite éviter
qu'un dauphin potentiel soit soumis à trop de pression avant d'avoir
fait ses preuves et soit éventuellement remis en cause dans sa
légitimité à accéder au poste suprême, comme lui-même l'a indirectement
été par Bo Xilai avant 2012. M. Bo et toute une clique de hauts
dirigeants purgés, dont tout dernièrement Sun Zhengcai, sont aujourd'hui
ouvertement accusés d'avoir fomenté " un coup de force " avant
l'accession au pouvoir de Xi Jinping en 2012.
Parmi
les nouveaux entrants au comité permanent, seuls trois, Wang Yang, Wang
Huning et Zhao Leji, peuvent éventuellement être reconduits lors du 20e
congrès de 2022, mais pour un seul quinquennat. La question de
l'après-2022 est donc désormais entièrement ouverte. Un scénario
pourrait être que Xi Jinping reste secrétaire général du parti pour un
troisième mandat au-delà de la limite d'âge, mais que la présidence du
pays (limitée à deux mandats), incombe à un autre dirigeant. Ou alors
qu'un nouveau poste de président du parti soit taillé à sa mesure, le
temps qu'un successeur fasse ses premières armes.
Brice Pedroletti
© Le Monde
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Le modèle Xi
C'était
en 2009, à l'Académie des sciences, à Pékin, dans un bureau de
l'Institut de physique. Hong Ding venait de rentrer des Etats-Unis, où
il était resté après ses études. Dix-neuf ans de bonheur, nous
disait-il. Il y avait décroché la nationalité américaine et une chaire à
vie au dépar-tement de physique de Boston College. Pourtant, à 39 ans,
il avait fait le pari du retour, attiré par la mère patrie et séduit par
l'abondant financement de la recherche en Chine, au moment où les
-universités américaines subissaient, elles, le contrecoup de la crise
financière.
Hong
Ding avait fait partie de cette première génération d'étudiants chinois
partis en Occident sous l'impulsion de Deng Xiaoping qui, quitte à en
perdre quelques-uns, voulait surtout faire émerger des élites
intellectuelles susceptibles, un jour, de rivaliser avec l'Ouest. Près
de vingt ans avaient passé lorsque Hong Ding est rentré : le moment
était venu du retour des cerveaux. Par précaution, il n'avait pas
renoncé à son passeport américain. Mais, huit ans plus tard, il est
toujours là. Ses travaux sur la supraconductivité, il les mène désormais
avec des chercheurs chinois.
Et
pourquoi serait-il reparti ? Son cher Boston College est sans doute
plongé, comme la plupart des universités de la Côte est, dans le
désespoir des élites anti-Trump, stupéfaites par l'humeur d'un pays qui
se replie sur lui-même. Alors que là, à quelques encablures de son
bureau de l'Académie des sciences, son président, Xi Jinping, celui que
certains ont baptisé " l'anti-Trump ", vient de se faire couronner une deuxième fois par le parti à l'aube d'une " nouvelle ère ".
Avec
Xi, dit le discours officiel, le rêve a changé de camp : il n'est plus
américain, il est chinois. Triomphant, Xi Jinping ne se reconnaît que
deux prédécesseurs à son échelle, Mao et Deng. Il ne récuse pas le terme
de " timonier ", réservé à Deng et à Mao. Son " socialisme aux caractéris-tiques chinoises pour une nouvelle ère " est désormais élevé au rang de " pensée ".
Enfin, seul maître à bord, Xi -promet à son 1,4 milliard de -compatriotes un " développement en deux étapes " :
d'ici à 2035, la Chine aura achevé sa moderni-sation, notamment en
termes d'innovation et, en 2049, année du centenaire de la fondation de
la République populaire, elle aura atteint le statut de leader
planétaire, défendue par une armée " de premier rang mondial ".
On est loin de la prudence de Deng, qui préconisait de " tra-verser la rivière en tâtonnant les -pierres ".
La Chine de Xi enjambe la rivière avec des bottes de sept lieues. La
question n'est plus de rattraper le modèle occidental et son soft power :
le modèle chinois est installé. Contrairement à ses prédécesseurs, note
le sinologue François Godement, de l'European Council on Foreign
Relations (ECFR), Xi Jinping ne s'embarrasse plus d'allusions aux
réformes démocratiques ni au libéralisme du marché : " Il ne laisse aucun espace pour cela. " Grâce à Internet et au big data, outils dont la planification aurait rêvé, " son ambition dépasse Orwell ".
Hong
Ding a réintégré son pays au moment où la Chine, auréolée de la gloire
de l'après-Jeux olympiques, laissait discrètement deviner ses rêves de
puissance, parallèlement à sa réussite économique. A l'étranger, les
experts soupçonnaient le dessein des -dirigeants chinois, celui de
produire un modèle alternatif au modèle occidental. Ils entrevoyaient
deux obstacles : la montée des classes moyennes, dont l'amélioration du
niveau de vie s'accompagnerait nécessairement d'une revendication de
liberté, selon un schéma classique ; et l'indispensable innovation
technologique qui, malgré le retour des cerveaux, se heurterait à un
système fermé à la libre compétition des idées.
Concentration des pouvoirs
Moins
de dix ans plus tard, Xi semble balayer ces obstacles. Le dogme selon
lequel la libéralisation économique conduit inévitablement à l'ouverture
politique est sérieusement mis à mal. Les fameuses classes moyennes
chinoises, souligne François Godement, ont vu cette année leurs revenus
augmenter comme jamais. Les Chinois peuvent aller et venir, voyager à
l'étranger – et ils rentrent chez eux. Ils jouissent de médias sociaux
parmi les plus avancés du monde, à condition de ne pas en faire un usage
politique. En revanche, ajoute le -sinologue, " parmi les experts et les intellectuels, le désespoir est total : ils redoutent un retour au maoïsme ". Mais ce ne sont pas eux qui fourniront les bataillons d'une rébellion de masse.
Quant aux limites apportées à l'innovation et à la créativité par un système politique trop rigide, le verdict n'est pas tombé. Mais
on n'en est plus au stade où, devant l'explosion du nombre de brevets
déposés par la Chine, les experts occidentaux se rassuraient en
constatant qu'il s'agissait plus de multiplications d'inventions
existantes que d'innovations originales.
Entre
les transferts de technologie, les copies, l'espionnage industriel et
sa propre matière grise, la Chine, atelier du monde, est aussi devenue
une puissance dans le domaine de l'innovation. Il lui manque toujours la
reconnaissance d'un prix Nobel, les scandales de fraude sont encore
trop nombreux et l'argent ne peut pas tout. Mais la taille compte. Avec
730 millions de personnes connectées, un usage du téléphone mobile plus
avancé que celui des pays occidentaux et infiniment moins de barrières
éthiques, la Chine aborde la bataille de l'intelligence artificielle
avec de gros atouts.
C'est officiel. Le " socialisme aux caractéristiques chinoises " de Xi Jinping se veut un modèle alternatif, et un modèle exportable. Si " l'ère " est
nouvelle, cependant, le modèle de la concentration des pouvoirs dans
les mains d'un seul homme et de son parti, lui, est familier. Cela
s'appelle une dictature. Son succès serait, pour le coup, une
authentique -innovation.
par Sylvie Kauffmann
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