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terça-feira, 10 de maio de 2022

La guerre de Poutine n'est ni sainte ni juste - Dominique Moïsi (Institut Montaigne)

La guerre de Poutine n'est ni sainte ni juste

Dominique Moïsi

 Institut Montaigne, Paris – 26/04/2022

 

"Dénazifier" l'Ukraine, défendre les valeurs traditionnelles de la grande Russie : Vladimir Poutine multiplie les prétextes pour justifier son invasion de l'Ukraine et faire passer cette agression pour une guerre "sainte". Une rhétorique qui l'éloigne encore un peu plus de la sphère démocratique internationale, explique Dominique Moïsi.

Guerre sainte ou guerre juste. Les deux concepts se confondent parfois. Cicéron présentait comme une "guerre juste" le combat de la civilisation romaine contre les barbares. Au Moyen-Âge, la volonté du christianisme occidental d'établir avec les Croisades son contrôle sur la Terre sainte donne naissance à l'expression de "guerre sainte". La guerre sainte est pour ses acteurs nécessairement juste. La guerre juste n'est que rarement sainte. Ces concepts issus de l'Antiquité et du Moyen-Âge s'imposent à nous presque comme des évidences au moment où le Moyen-Âge revient au cœur de l'Europe, au moment où des soldats violent des femmes de manière systématique, affament des populations civiles. Pourtant la Russie de Poutine entend présenter ses "opérations spéciales" contre l'Ukraine comme non seulement justes, mais de plus en plus avec la dérive idéologique du pouvoir comme sainte.

Dans la ville de Marioupol qui mérite - comme c'était le cas de Saint-Lô pendant la Seconde Guerre mondiale - le triste surnom de "Capitale des ruines", les troupes russes ont fait flotter, au côté de leur drapeau national, celui rouge orné de la faucille et le marteau jaune, de l'URSS. L'étendard d'un Empire qui a disparu il y a plus de trente ans, sur une ville qui vient d'être détruite à plus de 90 %… Le symbole est fort, terrifiant même. Il s'agit pour Moscou d'évoquer un temps où ce drapeau soviétique flottant fièrement au-dessus des ruines encore fumantes de la chancellerie à Berlin, traduisait la victoire de l'URSS sur l'Allemagne nazie. Nostalgie d'une période où l'empire soviétique était non seulement puissant mais pouvait se présenter comme l'une des incarnations du bien, face au mal, plus grand encore que lui, qu'était l'Allemagne d’Hitler. Face à un présent trouble et incertain, Poutine fait appel aux symboles du passé pour donner du sens à ses rêves de grandeur. Il peut ainsi proclamer à la face du monde que, tout comme en 1945, Moscou est en lutte contre les nazis : simplement ils étaient allemands hier, ils sont ukrainiens aujourd'hui.

 

L'église orthodoxe russe, pilier du régime

 

Mais la référence historique, aussi importante qu'elle puisse être pour un homme qui, dès son accession au pouvoir, a tenu à affirmer que "la plus grande tragédie du XXème était la disparition de l'URSS", n'est pas suffisante. En fait, pour comprendre ce qui se passe dans la tête de Poutine, il convient d'ajouter à la réécriture de l'histoire la dimension religieuse et d'évoquer le concept de guerre sainte. Une référence surprenante, ironique même lorsqu'elle est utilisée par un ancien officier du KGB soviétique. Et pourtant, c'est bien de cela dont il s'agit. Et le clergé orthodoxe russe, au service du nouveau tsar, est partie prenante de ce projet.

On pensait qu'à notre époque le concept de guerre sainte était réservé à l'islam et qu'il ne s'incarnait dans sa version musulmane qu'à travers le djihad. Le temps des Croisades était révolu depuis des siècles. L'Europe, lors de son expansion territoriale au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie, s'était contentée de faire référence à sa mission civilisatrice. Et ce, même si l'impérialisme colonial européen mettait l'élargissement de la foi chrétienne aux côtés de ses ambitions de puissance et de richesse.En 2022 en Russie, c'est Kirill, le patriarche de Moscou, qui décrit l'invasion de l'Ukraine comme une mission sacrée d'autodéfense des valeurs traditionnelles face à des ennemis extérieurs incarnant le péché de la modernité corrompue et décadente.

L'Église orthodoxe russe, par ses déclarations, ne fait que confirmer ce qui a toujours été historiquement le cas (sauf pendant une courte période). Elle est l'un des piliers du régime autocratique en place. Avec le soutien de l'église orthodoxe russe, Poutine a créé une forme de syncrétisme idéologique qui fusionne dans un mélange détonant, respect pour la Russie tsariste et son passé orthodoxe, et célébration de la victoire des soviets sur le nazisme.

 

Une guerre des mots

 

C'est précisément parce que la guerre de Poutine est tout sauf "sainte" que le monde démocratique doit faire preuve de la plus grande prudence dans le choix de son langage. Les mots sont des armes qui peuvent se retourner contre ceux qui les utilisent avec trop de légèreté. Il appartiendra à la justice internationale de décider si l'armée russe a commis des crimes de guerre en Ukraine et si leur commandant en chef est bien - ce qui semble très probable - un criminel de guerre. L'expression de génocide se réfère à l'intention de détruire tout ou partie d'un peuple. Il est vrai qu'au fil du temps, le discours de certains propagandistes du Kremlin est devenu toujours plus ambigu, passant de la volonté de dénazification des hommes au pouvoir, à celle d'une partie du peuple ukrainien.

Pour autant, l'expression de génocide est forte et devrait être utilisée avec plus de prudence. Ce n'est pas aider l'Ukraine que de s'engager dans une guerre des mots avec Moscou : appel à la guerre sainte d'un côté, dénonciation du génocide de l'autre. L'Ukraine a besoin d'armes à longue portée et pas de mots excessifs.

Cela est d'autant plus vrai que la guerre menée par l'Ukraine est une guerre juste, au sens où l'entend le philosophe politique américain Michael Walzer. Alors même que la guerre entreprise par la Russie contre l'Ukraine n'entre clairement pas dans cette catégorie. Au moment où l'Ukraine se bat avec héroïsme et efficacité pour son indépendance, la Russie encercle et affame des populations civiles et réduit en cendres des villes ukrainiennes. Kyiv ne représentait pas une menace militaire ni à court, ni à moyen, ni à long terme pour la Russie et ne conduisait pas des actions génocidaires contre ses citoyens russes à l'est du pays. Enfin, l'Ukraine est tout sauf un acteur politique illégitime. En l'absence d'une cause juste, les moyens utilisés par la Russie apparaissent encore plus disproportionnés.

En s'appuyant sur le concept de guerre sainte, Poutine s'isole toujours davantage à l'international et il n'est pas sûr que son peuple le suive dans cette direction improbable. À l'inverse, la guerre menée par l'Ukraine s'impose chaque jour davantage comme étant ce qu'elle est, une guerre juste, une guerre de défense face à un despote revanchard et têtu.

 


Dominique Moïsi est un politologue et géopoliticien français. Il rejoint l'Institut en septembre 2016 comme conseiller spécial, notamment afin d'accompagner le développement de sa stratégie internationale.Membre fondateur de l’Institut français des relations internationales (Ifri) en 1979, il en a été le directeur adjoint puis conseiller spécial. Actuellement professeur au King’s College à Londres, il a enseigné à l'université d’Harvard, au Collège d'Europe, à l'École nationale d'administration, à l'École des hautes études en sciences sociales ainsi qu’à l'Institut d'études politiques de Paris. Chroniqueur aux Echos et à Ouest France, il publie également des articles dans le Financial Times, le New York Times, Die Welt et d'autres quotidiens. Il est membre de la Commission Trilatérale.Il est diplômé de Sciences Po Paris et d'Harvard, il obtient un doctorat en Sorbonne sous la direction de Raymond Aron, dont il a été l’assistant.