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quinta-feira, 16 de maio de 2024

Geopolítica do Cáucaso: um mundo quase desconhecido - Bernard Chappedelaine (Institut Montaigne)

 

Le Sud Caucase face à la Russie : quête d’équilibre et prise de risque


Bernard Chappedelaine


Ancien conseiller des Affaires étrangères

Institut Montaigne, 16 Mai 2024

 

Le contexte créé par l’agression russe en Ukraine conduit les États du Caucase du sud à diversifier leurs relations et à considérer avec suspicion les intentions de Moscou, comme le montrent les exemples de l’Arménie et de la Géorgie, et ce au risque d’une confrontation entre le pouvoir et la société ainsi qu’on le voit aujourd’hui à Tbilissi. Entre Europe et Russie, Union européenne et Union économique eurasiatique (UEE), comment comprendre les jeux d’équilibre et de tension où sont pris les pays du Sud Caucase ?

La guerre en Ukraine rebat les cartes géopolitiques dans le Caucase du sud

L'invasion de l'Ukraine, déclenchée par la Russie le 24 février 2022, a eu des conséquences géopolitiques diverses dans les pays européens que la Russie considère comme faisant partie de son "Étranger proche", mais qui sont également membres du Partenariat oriental, noué par l'UE avec six États en 2009 (l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, l'Ukraine et la Biélorussie), observe Tony Barber. La perception de la menace russe est différente selon les pays, mais globalement la méfiance à l'égard de Moscou s'est accrue, la Russie a perdu en prestige et en autorité, tandis que l'UE a redécouvert des contrées longtemps négligées. Ainsi, l’Ukraine et la Moldavie ont accéléré leur intégration occidentale, alors que le régime biélorusse, dont la survie dépend du soutien du Kremlin, se situe plus que jamais dans le giron russe.

L'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie font quant à elles preuve de plus d'assurance sur la scène internationale, les trois États du Caucase du sud tentent de réduire leur dépendance à l'égard de Moscou et d'accroître leurs marges de manœuvre.

L'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie font quant à elles preuve de plus d'assurance sur la scène internationale, les trois États du Caucase du sud tentent de réduire leur dépendance à l'égard de Moscou et d'accroître leurs marges de manœuvre, note Emil Avdaliani. Bien que victime en 2008 de l'attitude révisionniste de la Russie, qui a amputé son territoire de deux régions (Abkhazie, Ossétie du sud), Tbilissi n'a guère manifesté de solidarité avec Kiev alors même que la population est très favorable à l'intégration européenne. Plusieurs dizaines de milliers de Russes, hostiles au régime de V. Poutine ou craignant la conscription, y ont trouvé refuge depuis 2022.

La Géorgie est dirigée par un gouvernement proche de Moscou, dans lequel l'oligarque Bidzina Ivanishvili, qui a des intérêts nombreux en Russie, dispose d'un poids prépondérant. Néanmoins, en décembre 2023, l'UE a accordé à la Géorgie, sous conditions, le statut d'État candidat à l'adhésion.

L'Azerbaïdjan tire parti de ses ressources en hydrocarbures pour diversifier ses relations, en particulier avec la Turquie, l’Asie centrale, Israël et l'UE. La situation est plus complexe pour l'Arménie, qui a subi, en 2020 puis en 2023, deux défaites militaireshistoriques face à Bakou, à l'issue desquelles elle a perdu le contrôle du Haut-Karabakh, enclave peuplée d'Arméniens en territoire azerbaïdjanais, dont la population a fui en Arménie. Pendant très longtemps, la Russie a été garante de la sécurité de l’Arménie, mais l'absence de réaction des forces russes aux offensives de l'armée azerbaïdjanaise – passivité que Moscou justifie par le fait que le Haut-Karabagh appartient à l'Azerbaïdjan, ce qu'a reconnu le Premier ministre arménien - a conduit Erevan à réexaminer sa relation privilégiée avec Moscou. Mais la guerre en Ukraine a également accentué la dépendance économique de l'Arménie envers son grand voisin. En 2023, la part de la Russie dans le commerce extérieur de l'Arménie a dépassé 35 % (l'UE ne représentant que 13 % des échanges), augmentation largement due au rôle de l'Arménie dans le contournement des sanctions internationales.

Le gouvernement arménien tente de normaliser ses relations avec son voisinage

Conséquence de la passivité des forces russes lors de la reconquête par l'armée azerbaïdjanaise des territoires contestés, l'Arménie a gelé sa participation à l'OTSC (Organisation du traité de sécurité collective), qui réunit, sous la houlette de la Russie, plusieurs ex-républiques soviétiques. En marge des cérémonies de commémoration de la victoire du 9 mai 1945 - auxquelles le Premier ministre arménien n'a pas participé - N. Pachinian s’est entretenu à Moscou avec le Président Poutine. Ils ont confirmé le retrait en cours des militaires et garde-frontières russes, déployés au Haut-Karabagh dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu conclu en novembre 2020 entre Bakou et Erevan. Le Premier ministre arménien a également demandé le départ, cet été, du contingent russe stationné à l'aéroport d'Erevan. En revanche, les forces russes déployées aux frontières avec l'Iran et la Turquie seront maintenues. Le conseil de l'Union économique eurasiatique (UEE) s’est également réuni le 8 mai à Moscou, sous la présidence de N. Pachinian, pour marquer ses dix ans d'existence. L'Arménie, souligne la Nezavissimaïa gazeta, est l'un des principaux bénéficiaires de cette organisation, ce qui n'a pas empêché son Premier ministre de critiquer notamment la manière dont les médias russes rendent compte de la situation en Arménie et de menacer d'interdire la diffusion des chaînes TV russes. De l'avis des experts interrogés par le quotidien moscovite, les relations entre Erevan et Moscou sont "à leur plus bas niveau depuis l'effondrement de l'URSS".

Erevan a engagé un processus de réconciliation avec l'Azerbaïdjan et la Turquie ainsi qu’un rapprochement avec l'Occident. Néanmoins, une "rupture brutale des liens avec la Russie", notamment un retrait de l'UEE, ne resterait pas sans conséquences sérieuses pour l’Arménie, notamment sur le plan économique et social, avertissent ces spécialistes. La volonté de N. Pachinian de normaliser les relations et de signer un traité de paix avec Bakou se heurte à des résistances internes, note Veronica Anghel, car elle implique la rétrocession à Bakou de zones occupées par l'Arménie depuis la disparition de l'Union soviétique.

Erevan a engagé un processus de réconciliation avec l'Azerbaïdjan et la Turquie ainsi qu’un rapprochement avec l'Occident.

Le 19 avril, le Premier ministre a donné son accord au passage sous contrôle azerbaïdjanais de quatre villages habités par des Arméniens et à la poursuite des discussions engagées avec Bakou sur le statut de quatre autres villages.

L’opposition au Premier ministre Pachinian redoute également, explique Paul Goble, que le Président Aliev ne soit tenté d'établir par la force une continuité territoriale avec le Nakhitchevan, exclave aujourd’hui séparée du reste du territoire azerbaïdjanais par la région arménienne de Syunik/Zanzegur. La rencontre à Almaty le 10 mai des ministres des Affaires étrangères des deux pays n’a pas permis d’accord sur les points litigieux, mais les discussions vont se poursuivre dans un contexte tendu en Arménie, du fait des concessions territoriales acceptées par N. Pachinian. Sa popularité a déjà pâti de son refus de défendre le Haut Karabagh en 2020, le chef du gouvernement arménien est confronté depuis plusieurs semaines aux manifestations les plus importantes depuis son arrivée au pouvoir en 2018, dont l'archevêque Bagrat Galstanian a pris la tête, et qui demandent sa démission.

La société géorgienne affiche son désir d’Europe

La Géorgie est également le théâtre d'imposantes manifestations suite à la décision du gouvernement de Tbilissi de faire voter un projet de loi controversé, retiré en 2023 suite à des protestations populaires, destiné à combattre "l’influence étrangère" dans le pays. Il s’agit de contraindre les ONG et les médias, qui reçoivent plus de 20 % de leur financement de l'étranger, à s'enregistrer. Par rapport au texte présenté l’an dernier, les changements sont d’ordre terminologique, le texte s’intitule désormais "loi sur la transparence de l’influence étrangère" et le terme "agents d’influence étrangère" a été remplacé par l’expression "organisations qui promeuvent les intérêts d’une puissance étrangère". Les autorités justifient leur initiative par la nécessité d'éviter que la scène politique géorgienne ne soit déstabilisée par des influences extérieures, tandis que l'opposition dénonce une "loi russe" et rappelle que c’est l’adoption en 2012 d’une législation comparable sur les "agents de l’étranger", durcie ensuite à plusieurs reprises, qui a permis au régime de V. Poutine de criminaliser l’opposition, les ONG et les médias indépendants. Les adversaires de cette loi dénoncent l'influence du Kremlin et sa volonté de contrecarrer l'aspiration pro-européenne de la Géorgie, note Associated press. À six mois des élections législatives dans lesquelles le parti au pouvoir, le "Rêve géorgien", fondé par Bidzina Ivanichvili, était donné favori face à une opposition faible et divisée, la reprise de ce texte surprend, souligne Veronica Anghel.

La Géorgie est également le théâtre d'imposantes manifestations suite à la décision du gouvernement de Tbilissi de faire voter un projet de loi controversé, retiré en 2023 suite à des protestations populaires, destiné à combattre "l’influence étrangère" dans le pays.

Différentes raisons sont avancées par les experts pour expliquer l’attitude des autorités géorgiennes : la conviction de Bidzina Ivanichvili que la Russie va l'emporter en Ukraine ; une instruction directe du Kremlin, qui veut empêcher la Géorgie de se rapprocher de l'UE ; une tentative des autorités de détourner l'attention des problèmes internes ; une stratégie visant à mettre en cause la crédibilité des médias et des ONG, nationales et internationales, qui contrôleront la régularité du prochain scrutin et pourraient dénoncer les manipulations du parti au pouvoir ; une volonté d'intimidation et de dissuader la population de manifester, les autorités géorgiennes accusant régulièrement les dirigeants de Kiev et l'opposition géorgienne de vouloir ouvrir un "second front" contre la Russie en Géorgie.

L’opposition quant à elle a beaucoup déçu et perdu en crédibilité, à l’instar de M. Saakachvili, emprisonné depuis plus de deux ans et dont la santé se détériore, estime la revue Foreign Policy.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le "Rêve géorgien" maintient une attitude ambigüe à l'égard du Kremlin qui, par son contrôle des deux entités sécessionnistes, souligne Tony Barber,  détient des leviers très importants en Géorgie, bien que Tbilissi respecte globalement les sanctions internationales en vigueur contre la Russie. L'UE est le principal partenaire de la Géorgie (20 % du commerce extérieur), devant la Turquie (15 %), la Russie venant en troisième position (13 %). Cette législation sur les "agents de l'étranger" pose question, notamment au regard de sa compatibilité avec la Constitution du pays dans laquelle figure comme objectif "la pleine intégration de la Géorgie dans l’UE et dans l’OTAN". En dépit des imposantes manifestations, brutalement réprimées, de ces dernières semaines, la loi a été adoptée en troisième lecture le 14 mai, ce qui augure la poursuite de la confrontation, voire une escalade. La Présidente, S. Zourabichvili, a annoncé son intention d'y mettre son veto, mais celui-ci ne pourra empêcher l'entrée en vigueur du texte, compte tenu de la large majorité dont dispose le gouvernement au Parlement.

Quel rôle pour l’UE ?

"Nous assistons à la fin de l'influence exclusive de la Russie dans le Sud du Caucase" qui remonte à près de deux cents ans, affirme Emil Avdaliani. Parmi les nouveaux acteurs qui s'engagent dans la région figure l'UE. L'intégration européenne est officiellement la principale priorité de politique étrangère de la Géorgie, objectif massivement soutenu par l'opinion. Le gouvernement de Tbilissi est toutefois peu enclin à mettre en œuvre un agenda de réforme, Bidzina Ivanichvili a récemment accusé l'Occident de vouloir mettre en cause l'indépendance de la Géorgie. Le projet de loi sur les "agents de l'étranger" constitue un "développement préoccupant" et son adoption affecterait négativement le cheminement européen de la Géorgie, a mis en garde Josep Borrell. L’UE devrait alors être prête à suspendre certains financements, avance l’ECFR. Elle pourrait reporter l'ouverture des négociations d'adhésion, prévue actuellement fin 2024-début 2025, estime Emil Avdaliani, le projet de la Géorgie de servir de corridor vers l'Asie centrale et la Chine, contournant le territoire russe, pourrait s’en trouver contrarié. Moscou devrait en revanche se féliciter de l'adoption de cette législation qui enfoncera un coin entre la Géorgie et les pays occidentaux et pourrait insuffler une nouvelle dynamique aux relations entre Tbilissi et Moscou, qui utiliserait l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud comme instruments de négociation. A contrario, la réalisation des ambitions européennes de Tbilissi ne resterait pas non plus sans conséquence sur l'Arménie.

Les dirigeants arméniens commencent en effet à évoquer une perspective européenne pour leur pays, la difficulté étant alors, comme l'Ukraine l'a brutalement expérimenté, de concilier une adhésion à l'UE avec l'appartenance de l'Arménie à une UEE, dominée par la Russie. Une des manifestations de l'intérêt nouveau marqué pour l'UE est le déploiement, en février 2023 d'une mission civile de 200 observateurs européens à la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, souligne le Guardian. En avril dernier, N. Pachinian s'est rendu à Bruxelles pour des entretiens avec des responsables européens (U. von der Leyen, J. Borrell) et avec le secrétaire d'État Blinken, des aides financières de 270 millions € et de 65 millions $ à l’Arménie ont été annoncées. Le format de cette rencontre a surpris, souligne Emil Avdaliani, il est rare que des responsables européens et américains rencontrent ensemble des représentants d’un État du sud du Caucase.

Les dirigeants arméniens commencent en effet à évoquer une perspective européenne pour leur pays, la difficulté étant alors, comme l'Ukraine l'a brutalement expérimenté, de concilier une adhésion à l'UE avec l'appartenance de l'Arménie à une UEE, dominée par la Russie.

Sur le plan sécuritaire, l'Arménie qui achetait la quasi-totalité de ses armements en Russie, entend désormais diversifier ses fournisseurs et faire appel à l'Inde et à la France. C'était l'un des objectifs du déplacement à Erevan en février dernier de S. Lecornu, première visite d'un ministre français de la Défense en Arménie. A Erevan, explique la FAZ, on considère, avec la perte du Haut-Karabakh, avoir payé "le prix de la rupture" avec Moscou. Dès lors, il n’est pas étonnant que V. Poutine ait consacré la première réunion de son conseil de sécurité depuis son investiture aux relations "prioritaires" avec ces États qui sont "les plus proches voisins" de la Russie.

 

quinta-feira, 22 de fevereiro de 2024

La guerre en Ukraine: deux ans après - Michel Duclos (Institut Montaigne)

La guerre en Ukraine: deux ans après

Michel Duclos

Institut Montaigne, 22/0/2924, deux ans après

La guerre en Ukraine entre dans sa troisième année. À la Conférence internationale sur la sécurité qui s’est tenue à Munich du 16 au 18 février dernier, les Européens ont plus que jamais ressenti l’urgence de réagir, alors que les 60 milliards d’aide américaine sont bloqués au Congrès et que la mort d’Alexeï Navalny, survenue le 16 février, a témoigné une nouvelle fois de la brutalité  du régime. Quels sont les ressorts de la rhétorique poutinienne actuelle ? Comment évoluent les positions militaires et l’état des opinions publiques ? De la prise de conscience à la prise de risque progressivement consentie, comment l’Europe doit-elle adapter sa stratégie ?

Le 24 février 2022, les armées russes se jetaient sur l’Ukraine, comme on faisait ce genre de choses autrefois en Europe, en déversant des troupes en masse et en faisant fi de tout souci du droit international ou des droits de l’homme. Peu de temps après l’attaque, les atrocités de Butchasignaient le retour de la barbarie sur le vieux continent en même temps que celui du "crime d’agression". Vladimir Poutine a célébré cet anniversaire à sa façon, en donnant le 9 février une interview fleuve à l’un de ses admirateurs de la sphère trumpiste, l’animateur de télévision américain Tucker Carlson. Parmi les moments d’anthologie de cet exercice, il y a cette question sur les motifs de l’invasion russe. Carlson demande à Poutine si c’est bien pour devancer une attaque de l’OTAN contre la Russie qu’il a déclenché l’invasion. Le chef du Kremlin dément cette lecture et consacre une demi-heure à un exposé historique - biaisé naturellement - tendant à expliquer que l’Ukraine n’existe pas en dehors de son rattachement à la Russie.

On dit que la Russie poutinienne conteste "l’ordre libéral international" issu de la Seconde Guerre mondiale ; c’est exact sans doute mais son rejet de la souveraineté nationale des anciens sujets de l’Empire soviétique (voire de l’empire russe) revient en fait à contester l’un des principes reconnus en droit international depuis le traité de Versailles, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans sa vision du monde, c’est un directoire des grandes puissances qui peut établir la paix, une sorte de Congrès de Vienne 2.0 dans lequel l’Autriche, l’Angleterre, la France, la Russie de 1814-15 seraient remplacées par la Chine, les États-Unis, la Russie et éventuellement l’Inde ; dans ce nouveau concert des Grands à l’échelle mondiale, les Européens tiendraient le rôle des principautés allemandes ou des États italiens lors du congrès de Vienne, celui de comparses ou de monnaie d’échange.

Dans son entretien avec Carlson, Vladimir Poutine reprend son argumentaire sur la Russie brimée dans son droit à disposer d’une « sphère d’influence » par différentes mesures mises en œuvre par les Occidentaux au cours des vingt dernières années, et notamment l’expansion continue de l’OTAN. Au passage, il feint de croire que l’accession de l’Ukraine à l’Organisation atlantique a été actée au sommet de Bucarest en 2008, comme si à cette date l’Allemagne et la France n’avaient pas bloqué ce projet;

Comment les Européens – du moins certains d’entre eux – n’ont-ils pas [...] vu venir cette vision néo-impérialiste du chef de l’État russe ?

Il est vrai que dans son esprit ces deux pays n’ont pas plus de poids que les royaumes de Bavière ou de Saxe dans les arrangements entre Grands du Congrès de Vienne. Comment les Européens – du moins certains d’entre eux – n’ont-ils pas, à partir de 2008 (agression contre la Géorgie) et plus encore de 2014 (annexion de la Crimée), vu venir cette vision néo-impérialiste du chef de l’État russe ? Les historiens à venir auront du mal à comprendre.

Le sort des armes encore indécis

Quoi qu’il en soit, ces deux années de guerre auront apporté un cinglant démenti à la thèse de Vladimir Poutine : l’Ukraine existe ; l’agression dont elle a été victime a marqué l’acte de baptême d’une nation réclamant son droit à la souveraineté au même titre que les autres ; d’après les sondages, le soutien aux forces politiques pro-russes est passé de près de 40 % en 2013 à 18-20 % avant le début de la guerre puis à  3-5 % en août 2023. Les régions historiquement plus favorables à la Russie, à l’Est et au Sud, n’ont plus de doute sur leur appartenance à l’Ukraine.

Ajoutons que nul ne peut plus contester l’aspiration de la nation ukrainienne à faire partie de l’Europe et de la communauté transatlantique. L’UE a répondu présente à cette demande par l’ouverture historique de négociations d’adhésion lors du Conseil européen des 14-15 décembre 2023 ; le déblocage de 50 milliards d’aide financière  à l’Ukraine par l’UE au Conseil Européen le 1er février  2024 montre que la Hongrie d’Orban peut monnayer son soutien mais ne peut faire blocage. La création du Conseil OTAN-Russie lors du sommet OTAN de Vilnius les 11-22 juillet 2023 marque une première étape du rapprochement avec l’Alliance.

Mais compte-tenu de la prolongation de la guerre, Vladimir Poutine n’est-il pas en bonne voie de parvenir à ses fins ? Un vent de pessimisme souffle sur le camp des partisans de l’Ukraine depuis l’échec relatif de la contre-offensive ukrainienne, les atermoiements du soutien américain (en témoigne le le paquet d’aide bloqué par le Congrès), et les difficultés des Européens à accroître leur aide militaire ou simplement à tenir leurs promesses en ce domaine. M. Zelenski lui-même vient de faire état de la difficulté de ses troupes à tenir certains secteurs du front.

Dans un premier temps, dans les jours qui ont suivi l’agression russe, on ne donnait pas cher de la capacité de l’Ukraine à repousser un assaillant très supérieur en nombre et en matériel ; l’armée ukrainienne a tenu le choc ; les Américains et leurs alliés européens et asiatiques ont adopté des sanctions économiques et financières sans précédent contre la Russie.

Nul ne peut plus contester l’aspiration de la nation ukrainienne à faire partie de l’Europe et de la communauté transatlantique.

Devant la résistance acharnée des Ukrainiens, les Occidentaux se sont mis à fournir des armes à Kiev, avec plus de prudence qu’il n’y parait cependant, par peur de tout risque d’escalade ; et toujours avec un temps de retard sur l’action, mais à la fin en renforçant les chances de Kiev de mettre en échec l’agresseur. Entre avril et septembre 2022, l’Ukraine a reconquis plus de la moitié des territoires occupés par la Russie au moment de son avancée maximale. Elle contrôle aujourd’hui 82 % de son territoire contre 18 % par la Russie (dont 7 % depuis 2014). C’est un fait toutefois que le manque de succès de la contre-offensive ukrainienne l’année dernière, succédant à l’échec initial de l’offensive russe sur Kiev(et à l’incapacité des Russes à maintenir leurs conquêtes à Kharkiv et à Kherson), a modifié l’équation stratégique dans un sens défavorable aux Ukrainiens.

Désormais, semble s’installer une guerre de positions qui est aussi une guerre d’attrition. Les Ukrainiens ont dû céder la place forte d’Avdiivka, dans le Donbass, mais les Russes ne progressent que très lentement. Cependant, même si elle perd beaucoup de soldats, la Russie dispose d’une supériorité évidente en termes d’hommes et d’artillerie – redevenue "la reine des batailles". Actuellement, les Ukrainiens tirent 2 000 obus par jour contre 5 000 pour les Russes (ou plus selon les moments). Nuançons le constat : grâce à un meilleur renseignement et à une précision supérieure, l’artillerie ukrainienne est plus efficace. Les Ukrainiens ont par ailleurs marqué des points dans d’autres domaines, avec le reflux de la marine russe en mer Noire ou les avions russes descendus, voire certaines frappes en profondeur, y compris sur les capacités d’extraction du pétrole russe. Les frappes russes sur les villes et les infrastructures ukrainiennes ne sont pas parvenues jusqu’ici à désarticuler la résistance du pays. La bataille centrale reste cependant à ce stade celle du théâtre terrestre. Or - il ne faut pas se le dissimuler - une guerre d’attrition peut se perdre ; c’est ce qui est arrivé à l’armée allemande en 1918 par exemple. De ce point de vue, l’image couramment répandue d’une "impasse" ou d’un "statu quo" pourrait se révéler trompeuse.

Dans le même temps, des failles apparaissent dans le moral ukrainien. La société civile est réticente à une mobilisation de grande ampleur. L’éviction par M. Zelenski du populaire chef d'État-Major, le général Zaloujny, pourrait laisser des traces, même s’il a eu lieu dans de meilleures conditions que prévu. Rien de tel évidemment du côté russe, où l’on s’apprête à réélire, triomphalement comme il se doit, en mars, Vladimir Poutine ; encore que, là aussi, les autorités ont manifestement des doutes sur la popularité de la guerre, ce qui les conduit à manier avec prudence la perspective d’une nouvelle mobilisation partielle ; elles privilégieront sans doute l’appel au volontariat ("contractuels") - un "volontariat" évidemment très dirigé. La "disparition" de Navalny, au terme d’un lent assassinat de facto, est peut-être un signal adressé aux courants de l’opinion russe tentés par le rejet du régime. Elle ne laisse en tout cas guère de doute sur le lien entre la nature de plus en plus répressive du régime et l’agressivité extérieure "systémique" de celui-ci.

Quelles perspectives pour l’Ukraine ?

L’année 2024 sera donc difficile pour les Ukrainiens. Le rapport des forces peut-il se renverser de nouveau en leur faveur à un moment donné, et en tout cas en 2025 ? Bien sûr, beaucoup dépendra de Washington, d’abord de la capacité de l’administration Biden à surmonter l’opposition des Républicains à la Chambre, ensuite du résultat des élections présidentielles de novembre ; celles-ci pourraient ramener Donald Trump à la Maison Blanche. Même en cas de réélection de Joe Biden, le blocage actuel des institutions américaines laissent craindre une Amérique devenue "dysfonctionnelle". L’Europe de son côté semble prendre conscience de la gravité de l’heure. Les Européens savent - ou sentent confusément – qu’un effondrement de l’Ukraine couplé à un retour de Trump serait une catastrophe pour la sécurité européenne. C’est le sens à donner à la signature en quelques semaines d’accords de sécurité successivement entre le Royaume-Unil’Allemagne, la France et l’Ukraine. Le message qu’adressent ces documents est que les pays qui soutiennent l’Ukraine s’engagent à le faire sur le long terme, et à augmenter leur soutien (3 milliards d’euros pour la France en 2024). D’autres États devraient suivre, puisque ces accords bilatéraux matérialisent les "garanties de sécurité" que les pays du G7 et 25 autres se sont engagés à fournir à Kiev (le Japon vient d’annoncer une aide de 15 milliards d’euros par an).

L’allocution qu’a prononcée le président Macron en recevant Volodymyr Zelenski à l’Elysée le 16 février constitue à cet égard une indication importante. On peut y voir une évolution majeure dans l’approche du chef de l'État : il n’est plus question dans ses propos des erreurs du passé commises par les Occidentaux ; est dénoncée au contraire l’émergence d’un "récit fantasmé pour remettre en cause les frontières de l’Union soviétique, ce qui est une menace pour l’Europe, le Caucase, l’Asie centrale".

On peut y voir une évolution majeure dans l’approche du chef de l'État : il n’est plus question dans ses propos des erreurs du passé commises par les Occidentaux.

Le président dresse le constat d’une "nouvelle phase" dans laquelle la Russie s’est engagée, une phase dans laquelle elle est devenue une menace cruciale pour l’Europe et "un acteur méthodique de la déstabilisation du monde". C’est explicitement à un sursaut de l’Europe qu’appelle le président, qui doit d’ailleurs s’étendre à l’ensemble de  la communauté internationale.

Dans la prise de conscience des Européens, les déclarations récentes de Donal Trump – "je dirai à Poutine de faire ce qui lui plait aux Européens qui ne paient pas assez pour l’OTAN" - comptent sans doute pour beaucoup. Ces propos ont dominé l’atmosphère inquiète de la conférence annuelle sur la sécurité à Munich, au cours de laquelle le chancelier allemand a lui aussi appelé à un "sursaut de l’Europe". Il reste à voir si celui-ci se produira et comment il va se manifester. On pense à plusieurs tests à ce sujet :

  • la capacité des Européens, pour tenir leurs engagements vis-à-vis de l’Ukraine, à relancer pour de bon leurs industries de défense ;
  • le sort qui sera fait à l’idée d’un emprunt européen de 100 milliards d’euros, avancée initialement par la première ministre estonienne et à laquelle M. Macron s’est rallié ; ou à d’autres propositions telles celle avancée par madame von der Leyen de créer un poste de Commissaire européen à la défense ;
  • peut-être de manière moins visible, la disposition à prendre des risques : dans son allocution à l’Élysée en recevant M. Zelenski, le président de la République rappelle que nous ne sommes pas en guerre avec la Russie mais renonce à mentionner que nous voulons éviter toute "escalade". Dans les armes que la France va transférer à l’Ukraine, figurent de nouveau des missiles Scalp (au nombre de 40), systèmes à moyenne portée permettant aux Ukrainiens des frappes en profondeur, y compris sur la Crimée et sur le territoire russe.

Or les indications qui nous viennent de Kiev laissent penser que les Ukrainiens sont contraints de se replier sur une stratégie avant tout défensive, mais comportant un volet offensif avec des frappes stratégiques  sur les arrières russes. 

Le contexte global

Deux ans après l’agression russe, il faut aussi constater que la guerre en Ukraine, venant après la crise liée au Covid, a creusé un écart entre l’Ouest et les États émergents – le Sud global comme l’on dit désormais. Cet écart est considérablement accru par la guerre entre Israël et le Hamas. Le conflit persistant au Proche-Orient fait le jeu de la Russie. Il empêche les dirigeants occidentaux de se concentrer sur le sort de l’Ukraine. Plus encore, étant donné l’impopularité du soutien occidental à Israël dans le Sud global , il rend plus difficile une stratégie d’isolement de la Russie, et notamment une stratégie de lutte contre les contournements des sanctions. Or, plus la guerre se prolonge, moins les Occidentaux pourront se dispenser d’une telle stratégie, sauf à laisser M. Poutine continuer à financer sa guerre par la reconversion de son économie vers la Chine, l’Inde et plus généralement le Sud global.

Copyright : THIBAULT CAMUS / POOL / AFP

Dois anos da guerra de agressão da Rússia contra a Ucrânia - Institut Montaigne

 Nestes dois anos, tenho seguido atentamente todos os aspectos — políticos, geopolíticos, econômicos, diplomáticos, culturais — dessa guerra de agressão, o mais importante conflito milutar na Europa desde a conclusão da Segunda Guerra Mundial, inteiramente devido à ambição insana do Hitler do século XXI, Vladimir Putin, em restaurar o finado império soviético, o mais perverso de todos os despotismos do século XX, justamente, só inferior, talvez, ao totalitarismo hitlerista justamente.

Paulo Roberto de Almeida 


domingo, 14 de janeiro de 2024

Institut Montaigne: prévisions pour 2024