La diplomatie de Lula (2003-2010): une analyse des résultats
Paulo Roberto de Almeida
In: Denis Rolland, Antonio Carlos Lessa (coords.):
Relations
Internationales du Brésil: Les Chemins de La Puissance;
Brazil’s International
Relations: Paths to Power
(Paris:
L’Harmattan, 2010, 2 vols;
vol.
I: Représentations Globales – Global
Representations, p. 249-259;
ISBN:
978-2-296-13543-7).
1. Les objectifs
diplomatiques du gouvernement Lula
Les priorités de politique extérieure – établies par le président
Lula dans son discours d’inauguration (1/01/2003), explicitées plusieurs fois par
son ministre des affaires étrangères, et réaffirmées par Lula lui-même, à l’occasion
du début de son second mandat (1/01/2007) – peuvent être alignées en trois
ensembles d’objectifs principaux:
(a) la conquête d’un siège permanent pour le Brésil au Conseil de Sécurité
des Nations Unies, au moyen de la réforme de la Charte de l’organisation et de l’élargissement
de cet organisme central dans les mécanismes de décision de l’ONU;
(b) le renforcement et l’ampliation du Mercosur, en tant
que base d’appui pour la constitution d’un grand espace économique intégré en
Amérique du Sud;
(c) la conclusion des négociations commerciales
multilatérales commencées en 2001 (Doha Round de l’OMC) et la correction de route
dans les négociations commerciales régionales dans le cadre du projet américain
de la ZLEA (FTAA).
Il y en avait, bien sur, plusieurs autres objectifs,
entre eux la constitution de coalitions sélectives avec des « partenaires
stratégiques » ayant en vue de « changer les relations de force »
dans le monde, ou encore l’élan donné aux relations de tout type avec des pays
en développement, dans le cadre de la « diplomatie Sud-Sud », avec l’objectif
de créer une “nouvelle géographie commerciale internationale”, selon des déclarations
du président lui-même, ainsi que de ses représentants diplomatiques. L’un des instruments
utilisés pour ce dernier but ce fut la constitution du G20 commercial, groupe
de pays en développement, membres de l’OMC, avec le Brésil à leur tête et centrés
sur la question agricole des négociations commerciales multilatérales du Doha
Round. Tous ces objectifs de réforme de l’ordre international, sur la base de coalitions
faites avec des pays « non-hégémoniques », furent confirmés par des différents
discours et interviews des acteurs principaux – des preneurs de décisions et des
exécutifs – de la diplomatie du gouvernement Lula tout au long de ses deux
mandats, certains de manière seulement implicite.
C’est précisément donc par une confrontation entre les
objectifs considérés prioritaires par la diplomatie de Lula et les résultats
effectivement atteints au terme de son gouvernement que doit commencer cet exercice
d’évaluation d’une politique extérieure qui a été maintes fois déclarée comme
étant « active et fière de soi-même », avec comme principe conducteur
la défense de la « souveraineté nationale » et centré sur les
relations privilégiées avec les autres pays en développement, spécialement les
puissances moyennes émergeantes. Pour cela, il faudra examiner quelles moyens
ont été déployés pour mettre en œuvre cette diplomatie, discuter ensuite dans quelle
mesure ces moyens étaient adaptés aux finalités prétendues, établir un bilan
des objectifs qui sont restés non accomplis, ainsi que, s’il est possible de
les déterminer, les raisons des défaillances opérationnelles ou, pour certains
des cas, les erreurs de conception qui sont à l’origine de ces frustrations.
L’intégration politique de l’Amérique du Sud, par exemple,
a été rendue explicite au cours du premier mandat, matérialisée tout d’abord dans
la création de la Communauté Sud-Américaine des Nations (Décembre 2004), par
après remplacée par l’Union des Nations Sud-Américaines (Unasur, 2006), sans
que, pour autant, elle soit entré en vigueur jusqu’à la fin de son second
mandat. Les rencontres au sommet entre les présidents de l’Amérique du Sud et leurs
correspondants des pays arabes et du continent africain ont été aussi l’objet
de l’activisme diplomatique brésilien, sous l’impulsion directe du
président ; il n’est pas certain que sa continuité soit assurée, même si Lula
a toujours exprimé son désir d’assurer la permanence de ces réunions entre les chefs
d’État de ces grandes régions. L’intention originale était que ces rencontres
entre les leaders nationaux des continentes du Sud seraient en mesure de
renforcer les liens politiques entre leurs pays de manière à opposer leur voix
commune aux « décisions » prises para le G7-G8 sur des sujets qui
toucheraient directement à leurs intérêts nationaux et régionaux. La
justificative était celle de contribuer à la démocratisation du système
international, jugé trop « oligarchique » (bien que Lula ait toujours
été invité aux réunions du G8, à l’exception de celle réalisée aux États Unis
en 2004).
Le premier mandat de Lula a été marqué par la constitution
de l’IBSA, le groupe formé par le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, tout
comme le second mandat allait donner de l’importance au Bric, groupe informel créé
à partir d’une suggestion d’un économiste financier et matérialisé depuis 2008 en
des rencontres ministérielles et entre les chefs de gouvernement du Brésil, de Russie,
de l’Inde et de la Chine. La crise financière de 2008-2010 a élargit la participation
du Brésil en d’autres groupements de consultations sur des questions de la gouvernance
mondiale, entre eux le G20 financier, sans toutefois que de ces rencontres de
coordination tentative en résultaient des réalisations tangibles ; en
effet il n’y a pas eu des changements significatifs dans la structure ou le
mode de fonctionnement des principales organisations économiques mondiales,
comme le Brésil en faisait la suggestion depuis le début du gouvernement Lula.
C’étaient, donc, ceux-là les grands objectifs diplomatiques
explicites du gouvernement Lula, et c’est en fonction de ces priorités que ses
efforts personnels, ceux de ses assistants directs, ainsi que le corps
professionnel des diplomates du service extérieur ont été mobilisés et déployés
en vue de les atteindre. Il y avait aussi une autre catégorie d’objectifs de
son administration, mais implicites, devant donc être poursuivis de manière discrète,
même si à certaines occasions ils ont été mentionnés plus ouvertement, presque
comme des conquêtes à être brandies. Parmi ceux-là il faut inscrire la posture
de leadership en Amérique du Sud – peut-être même en Amérique Latine – ainsi
que le refus péremptoire des accords bilatéraux pour la garantie des investissements
directs, jugés nuisibles à la « souveraineté » économique du pays.
Dans une catégorie spéciale, presque en situation d’ennemi principal à abattre,
était située l’« implosion de la ZLEA », selon l’expression plusieurs
fois employée par le président lui-même, ainsi que par son ministre de l’extérieur
et le secrétaire général des relations extérieures, son grand pourfendeur. La
défaite du projet américain pour le libre-échange hémisphérique a été considérée
comme la première grande bataille contre l’Empire, qui devait être vaincue à
tout prix.
Parmi d’autres objectifs implicites se situait
l’éloignement des États Unis des affaires sud-américaines, ce qui devait être achevé
au moyen de la coordination des positions brésiliennes avec les voisins
régionaux ainsi que par la constitution de nouvelles entités – comme l’Unasur –
et des forums de discussion réservés exclusivement aux pays du sous-continent. Il
faut reconnaître que ce but a été poursuivi avec une constance et une opiniâtreté
remarquables, comparables aux efforts déployés pour réinsérer Cuba dans le
système régional latino-américain.
Les propositions de politique étrangère qui émanent
directement du gouvernement constituent, bien sur, seulement une partie de l’activité
diplomatique, car il faut aussi considérer dans cet exercice d’évaluation les actions
et réactions qui, tout en ne figurant pas dans le cahier d’initiatives
explicites du Brésil, intègrent l’interface extérieure du pays, qui se doit de réagir
à des évènements externes, à des demandes bilatérales ou à des questions
inscrites à l’ordre du jour mondial, celles qui figurent dans le cahier de
travail des organisations internationales ou qui surgissent de manière
impromptue comme résultat de crises ou d’évènements inespérés. Rentrent dans cette
catégorie, par exemple, l’invasion de l’Irak par les États Unis, en 2003, des
changements de gouvernement dans les voisins Sud-américains, qui peuvent affecter
les intérêts brésiliens (comme il en a eu en Bolivie, en Équateur, en Colombie
et au Venezuela), ainsi que des menaces de conflits ou des graves crises
sociales en pays proches (comme cela a peut-être été le cas de l’Haïti) ; d’autres
sources d’action politique peuvent émerger de crises économiques, comme celle
déclenchée en 2008 aux États Unis et propagée rapidement presque au monde entier.
Les difficiles négociations autour du programme nucléaire iranien ainsi qu’un
nombre indéfini d’autres évènements – au Moyen Orient, par exemple, ou ailleurs
– appartiennent à une catégorie spéciale, mais qui a aussi retenu l’attention
des chefs de la diplomatie brésilienne. Toutes ces occurrences constituent des faits
concrets qui ont demandé, en occasions diverses, une prise de position du
Brésil, directe ou indirectement, et c’est en fonction de ces prises de position
qu’il faut, également, effectuer un examen sur le sens de l’action diplomatique
du gouvernement Lula.
2. Les résultats diplomatiques
au cours des deux mandats
Si l’on part de la constatation que les trois grandes priorités
du gouvernement Lula, expressément déclarées, étaient : (a) le siège permanent
au Conseil de Sécurité des Nations Unies ; (b) le renforcement et l’élargissement
du Mercosur ; et (c) la conclusion du Doha Round de négociations commerciales
de l’OMC ; alors on est obligés de reconnaître qu’aucun de ces objectifs n’a
été atteint, même pas de manière partielle. Au contraire: selon l’évaluation qu’il
est possible de faire, pour chacun de ces dossiers, de leur situation présente,
il est peut-être possible de dire que le Brésil est ressorti encore plus
éloigné du point de départ, et cela non seulement en raison du simple manque de
résultats – ce qui, pour certains des objectifs, ne dépendait pas seulement du
Brésil –, mais aussi en tenant compte des résistances créées autour des deux
premier objectifs, en fonction, probablement, des procédés employés pour
acheminer les plus importantes initiatives diplomatiques du gouvernement Lula. En
effet, l’anxiété, peut-être même l’agitation, d’une diplomatie trop activiste, autour
de ces questions ont soulevé, surtout dans la région, des problèmes non
identifiés au préalable. Il y eut, de l’avis de certains observateurs, beaucoup
plus de mouvement que des réussites, ou beaucoup plus de transpiration, que
d’inspiration, selon la figure colloquiale connue, et tout ceci trop centré sur
la figure même du président, qui en a profité de son accueil exceptionnel par
la presse internationale pour conduire lui-même une grande partie des dossiers
diplomatiques, avec les risques et périls d’une telle entreprise.[i]
Il correct de dire, par exemple, que le prestige
international du Brésil et son influence mondiale se sont accrus dans la
période, mais cela a été acquis surtout en fonction de la préservation de la
stabilité économique et de l’absence des erreurs de type populiste commis par
d’autres gouvernements dans la région. Mais d’autre part, il est tout aussi vrai
que le Brésil est sorti frustré de ces trois aventures tentées par la
diplomatie de Lula, par des raisons qui sont explicités par la suite. Une
analyse plus détaillée met en évidence les motifs d’ordre opérationnel pour la
frustration relative, mais révèle aussi des erreurs de conception qui sont dus
aux fondements politiques de cette diplomatie activiste.
Par rapport à l’objectif majeur de la
« démocratisation des relations internationales », par exemple, il
serait très naïf de croire que certains de pays voisins – en spécial
l’Argentine, la Colombie, voire le Mexique – accepteraient de bon gré la
volonté brésilienne de se présenter en tant que leader de la région et de
vouloir la représenter – et les représenter – de manière permanente au sein du
Conseil de Sécurité des Nations Unies. Il n’y a pas eu, seulement, des grosses
erreurs d’évaluation concernant la position des « cinq grands », mais
aussi des estimations trop optimistes en relation aux positions des petits
pays, surtout Africains.
Lula, convaincu par son ministre des affaires étrangères
que le Brésil avait des grandes chances d’entrer au Conseil de Sécurité, s’est
lancé à la tâche avec une vigueur qui a frôlé l’obsession, et qui a commandé
toute sorte de concessions en échange d’appuis, notamment la diminution
partielle ou élimination totale de dettes bilatérales de certains pays
africains (même de grands exportateurs de pétrole, comme le Gabon), ainsi que l’augmentation
des efforts de coopération technique et assistance financière. La pratique, qui
a été appelée « diplomatie de la générosité », s’est aussi traduite
par l’ouverture systématique d’ambassades brésiliennes dans tous les États de
l’Amérique Latine, même dans les plus petits pays des Caraïbes, ainsi que dans
un grand nombre de pays Africains, même sans suivre la politique traditionnelle
de la réciprocité dans la matière. L’initiative la plus importante a été, bien
sur, la création do G4, avec l’Allemagne, le Japon e l’Inde, expressément dédié
à la cause de la réforme de la Charte de l’ONU et l’augmentation du CSNU. Le
groupe a pris position par rapport à l’une des propositions faites par le
Secrétaire Général Kofi Annan et s’est lancé à la conquête d’appuis un peu
partout. En ce faisant, les pays membres du groupe ont aussi attiré l’activisme
contraire de certains voisins jaloux et a peut-être aligné le Brésil avec des
pays qui subissaient des oppositions obstinés dans leurs régions, ce qui est
probablement le cas de la Chine envers le Japon (probablement aussi celles de
l’Italie et de l’Espagne contre l’Allemagne). Cela a pu renforcer l’action de
l’Argentine dans la région et ailleurs (puisque le président Kirchner est allé
jusqu’à signer une déclaration très critique a cet effet avec le président du
Pakistan) ; le voisin de la Plata s’est attaché, ensuite, a proposer la
formule rotative, ce que Lula refuse comme étant une diminution de status. Le dossier est toujours tenu à
l’ordre du jour des pays candidats – mais pas dans celui de l’organisation
elle-même – sans qu’il soit possible de constater un quelconque progrès réel
dans ce processus depuis au moins 2007. La Chine et les États-Unis en sont les
pays clés, et il ne semble pas qu’ils soient disposés a bouger bientôt dans
cette affaire.
En ce qui concerne l’intégration régionale et le
renforcement du Mercosur, il n’est pas non plus possible de reconnaître des
progrès réels, même si la rhétorique présidentielle en veut autrement. Il y
eut, bien sur, beaucoup d’initiatives brésiliennes pour relancer le processus
d’achèvement de la zone de libre échange – toujours pas réalisée pour le sucre
et les automobiles, ainsi que pour quelques autres produits – et, surtout, dans
le cas de l’union douanière, fragmentée par une adhésion théorique au Tarif
Extérieur Commun – en fait, appliqué uniformément à un pourcentage minime du
commerce global – et gravement atteinte par des actions unilatérales illégales
et abusives (surtout de la part de l’Argentine, à l’encontre de produits
brésiliens). Ces tentatives brésiliennes n’ont cependant pas abouti, surtout à
cause de ces restrictions introduites par les argentins, mais aussi en fonction
d’une inversion complète des priorités du Brésil dans ce chapitre, consistant à
attribuer beaucoup plus d’importance aux aspects politiques et sociaux de
l’intégration, au lieu de se concentre sur l’essentiel, qui est bien sur le
déblayage des obstacles nationaux à l’achèvement de la libéralisation
commercial la plus étendue possible. En fait, l’intégration a été conçue comme
une fin en soi même, pas en tant que moyen d’atteindre des buts économiques.
L’inversion de nature politique a en vérité commence par
un exercice de blocage, celui du projet américain du libre échange
hémisphérique. L’idée était de se concentrer sur les négociations entre l’Union
Européenne et le Mercosur, e de miser en parallèle sur les tractations
multilatérales du Doha Round ; ce faisant, on a oublié complètement que
ces trois processus devaient avancer simultanément pour préserver justement les
facteurs d’équilibre et les éléments de compensation dans chacun des trois
fronts. Une fois conduit la tâche d’implosion de la ZLEA – par l’action
conjointe et en grande mesure coordonnée de l’Argentine, du Brésil et du
Venezuela – les européens se sont montrés peu disposés à faires des concessions
(surtout en agriculture), et ont augmenté, au contraire, leurs demandes (dans
le secteur industriel, mais aussi en services et propriété intellectuelle).
Mis à part le protectionnisme argentin, responsable en bonne
partie des reculs institutionnels dans le Mercosur, le changement de priorités
brésiliennes et l’approche essentiellement politique – ayant également en vue
étayer le désir de leadership dans la région – de l’intégration sont aussi à
blâmer pour la perte de dynamisme et l’égarement de ce processus. S’appuyant de
manière totalement équivoquée sur l’exemple de l’intégration européenne, la
diplomatie de Lula a fortement soutenu l’idée que les principaux obstacles à
l’approfondissement des liens économiques entre les pays membres étaient
constitués par des « asymétries » entre le Brésil et les autres pays,
et que le plus grand se devait de surmonter ces « différences ».
Outre les conditions propres, structurelles, à chaque pays – soit, le fait que
le Brésil soit grand en territoire, population, économie et, donc, en termes de
marchés, flux de commerce et attrait naturel des investissements étrangers – il
y en existente, en fait, des « asymétries » sociales et autres qui
jouent contre le Brésil, pas en sa faveur, en commençant par le fait que les
différences sociales et régionales existant à l’intérieur du Brésil sont beaucoup
plus importantes que celles qui séparent les pays du Mercosur les uns des
autres. Concrètement, sauf quelques indicateurs plus défavorables au Paraguay,
le Brésil est à la traine par rapport à ses partenaires pour la plupart des
indices sociaux (notamment l’inégalité et l’éducation).
Sous la justificative, totalement contestable, que le
Brésil, du fait d’être grand, devait faire les plus grands
« sacrifices », le gouvernement Lula a été tolérant envers les
mesures unilatérales prises à l’encontre des ses exportations par l’Argentine,
qui en a profité pour en créer d’autres, en poussant aussi les petits pays à
demander des avantages en leur faveur. Au lieu de renforcer le Mercosur, ces
attitudes ont en fait dilué les obligations communes à l’abri des principes de
base de son architecture. Le Brésil a aussi proposé, et s’est déclaré disposé à
le financer à la hauteur de 70% des ressources, un Fonds de « correction
d’asymétries » qui reste bien sur symbolique et qui redouble le travail
déjà accompli par les banques régionales de développement, sans en accroitre la
qualité des projets retenus (car décidés plutôt de manière bureaucratique, en
séparation totale des réalités des marchés).
La même « diplomatie de la générosité » a
conduit le gouvernement Lula à se montrer totalement passif en face de
violations claires de traités en vigueur, comme ce fut le cas de la
nationalisation unilatérale – sans aucun préavis ou consultation, ne fut-ce que
pour courtoisie – des investissements de Petrobras en Bolivie, dont les installations
ont été occupés militairement en contradiction flagrante avec les procédés
diplomatiques habituels. En réponse, la seule attitude du gouvernement Lula a
été d’émettre une note diplomatique reconnaissant le « droit » et la
« légitimité » de la Bolivie à disposer librement de ses ressources
naturelles, ce qui a complètement surpris la plupart des diplomates brésiliens.
Les mêmes attitudes conciliatrices se sont reproduites dans des cas similaires
en Équateur – investissements brésiliens dans des ouvrages d’infrastructure –
et au Paraguay, que a « exigé » la renégociation du traité d’Itaipu
sur l’usine hydroélectrique sur le Paraná. À chaque fois, le gouvernement Lula
a défendu les intérêts des pays voisins, au lieu de ceux nationaux.
Les cas les plus graves ont été représentés, bien sur,
par les différentes étapes du conflit entre la Colombie et ses deux voisins à
propos des groupes terroristes des Farc installés en Équateur et au Venezuela,
qui ont reçu l’appui politique de la diplomatie de Lula, qui n’a jamais reconnu
la gravité de la menace représentée par le narco-terrorisme pour la démocratie
dans la région. Cette sympathie s’est étendue aussi dans le cas de la tolérance
démontrée par le gouvernement d’Evo Morales, en Bolivie, à l’égard des plantations
de coca dans son territoire, qui possèdent des implications très sérieuses de
sécurité et de santé publique au Brésil. Pire encore, les sympathies et l’appui
politique explicite envers le leader militaire vénézuélien ont peut être facilité
la tâche de démantèlement de la démocratie dans le pays Andin, tout comme ont
conduit le Brésil a violer sa propre Constitution, en soutenant l’aventure de
Chávez en Honduras, en très nette contradiction avec les principes de
non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays. Ce genre de
pratique s’était d’ailleurs déjà manifesté plus tôt, quand Lula a
systématiquement déclaré son appui politique pour des candidats de
« gauche » disputant des élections dans les pays voisins (ce qui est
arrivé dans les cas de l’Argentine, de l’Uruguay, de la Bolivie, de l’Équateur,
du Chili, du Paraguay et, certainement, à plusieurs reprises lors des
innombrables affrontements politiques et électoraux survenus au Venezuela).
D’autres initiatives de la diplomatie de Lula – comme la Communauté
Sud-Américaine des Nations, dédaigné par Chávez au profit de sa proposition d’une
Union de Nations Sud-Américaines, que celui-ci espère contrôler – n’ont servi
qu’à offrir des tribunes politiques à de vieux exercices rhétoriques en faveur de
l’intégration, quand en vérité la région n’a jamais été aussi éloignée des
rêves d’unité politique ou de coopération économique. En spécial, l’appui de
Lula et de sa diplomatie au régime de Chávez a peut-être demandé un prix en termes
de prestige diminué à l’égard du président et de l’Itamaraty, en aliénant une
partie de l’opinion publique mondiale, qui voit avec préoccupation les regains
autoritaires et militaristes du colonel de Caracas. De la même façon, l’alignement
aux frères Castro à Cuba et au régime iranien d’Ahmadinejad, ainsi que le
dédain pour les violations des droits de l’homme dans beaucoup de cas pourtant
flagrants, ont aussi contribué à éroder le capital de sympathie qui avait été accumulé
par Lula au début de son gouvernement.
Finalement, le pari exclusif dans la Ronde Doha à l’OMC,
sans des réelles négociations parallèles d’accords commerciaux expressifs – ceux
qui ont été conclus exhibent un impact minimal sur les échanges courants – ont
laissé le Brésil et le Mercosur sans des grandes opportunités sur des nouveaux
marchés, pendant une phase de grande croissance du commerce international. Le
Brésil a augmenté, c’est un fait ses exportations; mais cela est arrivé plutôt
du coté des valeurs – qui ne dépendent pas du Brésil – que de celui des volumes,
et beaucoup plus dans les matières premières que dans les manufactures. En
vérité, le Brésil a été plutôt “acheté” qu’il n’a vendu à l’étranger, ayant
bénéficié de l’énorme expansion de la demande mondiale, surtout celle tirée par
les émergeants dynamiques, en spécial la Chine (devenue le premier partenaire
commercial du Brésil en 2009, mais dont les échanges reflètent le vieux modèle
Nord-Sud, fait de manufacturés contre commodities).
Sur le plan négociateur, il est un fait que le Brésil a
joué un rôle de première grandeur dans la dynamique du Doha Round, ayant pris
la tête, dès la ministérielle de Cancun (2003), d’un groupe de pays en
développement qui demandait l’élimination des subsides internes à la production
agricole dans les pays avancés et de leurs subventions à l’exportation des mêmes
produits, groupe connu comme G20 (devenu par après G20 commercial, pour le
distinguer de l’autre G20, celui financier). Cet ensemble de pays réunissait,
paradoxalement, quelques grands pays – comme la Chine et l’Inde – qui
pratiquaient, eux-mêmes, une protection exacerbée de leur agriculture, y
compris au moyen de formes diverses de subvention, ce qui allait tout à fait
dans le sens opposé aux intérêts brésiliens, si l’on part de la constatation
évidente que les sources principales de la demande pour produits agricoles dans
l’avenir ne peuvent se situer, essentiellement, que dans les grands pays en
développement. La même contradiction pour un succès dans le domaine industriel
et de propriété intellectuelle se retrouvait au sein du Mercosur, où
l’Argentine s’opposait à toute libéralisation des tarifs industriels ou à
l’ouverture dans le domaine des services, qui étaient deux des concessions
possibles que le Brésil se trouvait capable de faire pour conclure de manière
satisfaisante le Doha Round. En ménageant les positions de l’Argentine, de
l’Inde, et d’autres pays en développement, en s’attaquant presque exclusivement
aux postures des pays avancés, le Brésil n’a pas en fait exercé le comportement
qu’on est en droit d’espérer d’un pays leader.
En tout et pour tout, la diplomatie commerciale du
Brésil, encadrée de près par la conception politique manichéiste du parti au
pouvoir, a imprimé à son action à Genève le même vieux style des années 1970,
qui consistait à diviser le monde entre Nord et Sud et à organiser les
alliances préférentielles autour de ce dernier axe, ce qui s’accommode mal des
alignements qu’il est possible, et nécessaire, de faire dans le domaine du commerce
multilatéral. En vérité, la même volonté de se présenter en tant que leader
d’un Tiers Monde déjà dépassé, et inexistant dans faits, a conduit la diplomatie
commerciale de Lula à sacrifier les intérêts concrets du Brésil au nom de ces
principes douteux et manichéens. Nombre d’opportunités ont été perdues à cause
de la courte vision idéologique imprimée à la politique étrangère, entre autres
le refus d’accepter l’invitation de l’OCDE pour renforcer le dialogue ayant en
vue une possible adhésion future.
3. Le style politique
de la diplomatie de Lula
Beaucoup du succès escompté par la diplomatie de Lula peut
être attribué, bien sur, à la personnalité de son principal activiste, le
président lui-même, toujours prêt à monter dans son avion officiel pour
s’embarquer pour encore un chapitre de plus de sa diplomatie présidentielle
aérienne, un procédé qu’il ne s’était jamais vexé de critiquer à l’époque de
l’« inventeur » de la diplomatie présidentielle, son antécesseur
Fernando Henrique Cardoso. Il est vrai que l’histoire de vie de Lula, du moins
celle construite exprès pour soutenir dans une version pas très honnête sa
carrière politique – qui est beaucoup plus importante que ses quelques années
de « pauvre travailleur » et de syndicaliste « alternatif »
–, servait à merveille pour composer un bon récit de « réussite
individuelle », ce qui a été exalté à outrance dans la presse brésilienne,
mais surtout étrangère, en grande mesure responsable de la transformation du
leader d’un parti gauchiste, typiquement latino-américain – y compris dans son
anti-américanisme primaire – en véritable leader providentiel et responsable de
la politique nouvelle issue d’un Tiers Monde respectable et assagi.
La grande presse internationale a collaboré, peut-être
involontairement, à la construction de cette version contemporaine do mythe du
« bon Sauvage », sur la base de matériaux soigneusement fabriqués par
le PT et par le président lui-même, pour étayer ses prétentions à être invité à
la « table des Grands décideurs mondiaux ». Ce nouvel aura, stimulé
et agrandi par la publicité personnelle autour de Lula et mis au service de sa
diplomatie personnaliste, a été l’une des grandes réussites au plan
international, peut-être la seule, de ses deux mandats. Le staff professionnel
de l’Itamaraty, à commencer par le ministre lui-même, a été activement mobilisé
autour de cet objectif prioritaire du chef d’État.
Les véritables raisons du succès du Brésil, en tant que
pays – le maintien de la stabilité économique, y compris les accords avec le
FMI, la responsabilité fiscale, la préservation du régime d’échange flottant
issu do gouvernement précédant, la très grande croissance de l’économie mondiale
et l’offre abondante de capitaux de risque et d’emprunt – ont été laissées en
second plan vis-à-vis les initiatives lancées par le président pour se
promouvoir sur la scène internationale, à commencer par une version mondiale du
programme qui, en fait, a été un échec au Brésil : le « Faim
Zéro ». Cette initiative, que Lula voulait transformer en véritable
croisade internationale contre la faim et la pauvreté, prévoyait, dans la
pratique, regrouper tous les efforts de secteurs de la communauté internationale
engagés dans ce genre d’activité dans une seule unité de décision et
d’application de ressources multilatérales et nationales ; étant données
les responsabilités diversifiés des agences de l’ONU déjà compromises par des
programmes spécifiques – y compris dans la lutte contre la faim, tels la FAO, le
PNUD et le Programme Mondial pour l’Alimentation, etc. – l’initiative de Lula a
été déviée, dans une conformation très traditionnelle, vers la constitution
d’un bureau de coordination pour dispenser des médicaments anti-Sida en
Afrique, avec des nouveaux fonds ; en fait, ces nouveaux ressources, en
dépit des efforts de la diplomatie brésilienne (en coordination avec la France)
pour créer des « mécanismes novateurs de financement », ont été
constitués essentiellement à partir de nouveaux impôts ou taxes introduits par
certains pays – comme la France et la Norvège – et basés surtout sur l’émission
de tickets de voyages aériennes internationales. Il est n’est pas nécessaire de
dire que les résultats effectifs se sont maintenus très en deçà des
expectatives déployées au départ ; de la même manière, les efforts accrus
du Brésil dans le domaine de la coopération au développement ont eu tendance à
reproduire les vieux schémas dans ce domaine, avec les maigres résultats déjà
connus par les pays avancés, traditionnels dans ce genre d’activité.
Une caractéristique générale de la diplomatie de Lula,
tout comme de certaines de ses politiques mis en œuvre sur le plan interne, est
une espèce de retour à un passé mythique, celui du
« developpementalisme » des années 1950 et du planning étatique dans
le style du régime militaire (1964-1985), en spécial le fort dirigisme
économique par les mains d’un État fort, caractéristique qui avait surtout marqué
la présidence du général Ernesto Geisel (1974-1979). En politique étrangère les
références à la « politique extérieure indépendante » du début des
années 1960 sont constantes dans les discours des responsables d’une diplomatie
qui a déjà été décrite comme « active et fière ». En fait, elle a été
osée, même dans des régions ou sur des sujets pas très fréquentés par la
diplomatie brésilienne, comme par exemple le Moyen Orient ou des questions
stratégiques et de sécurité internationale.
Cet activisme a parfois conduit le président Lula sur des
sentiers compliqués, comme celui de la paix entre Israéliens et Palestiniens et
Arabes, ou encore celui, beaucoup plus dangereux, du programme nucléaire
iranien et son éventuelle – pour certains, presque certaine – dérivation
militaire. Plus surprenante encore a été le net recul de la posture brésilienne
dans les cas de violations des droits de l’homme, où les prises de position sur
le plan international ont toujours été en bénéfice de dictatures et de régimes
connus par la dénégation systématique des droits les plus élémentaires. Au
Conseil des Droits de l’Homme, par exemple, le Brésil a voté avec, plutôt en
faveur des « suspects habituels », quand auparavant l’orientation de
sa diplomatie professionnelle tendait à l’abstention, sous justificative de ne
pas « politiser » le traitement des accusations de violations les
plus graves des droits de l’homme. Tout cela n’a probablement pas
représenté une surprise complète pour
les observateurs les plus attentifs, puisque les principaux responsables du PT
ont toujours été des grands amis de la dictature cubaine ou de mouvements
révolutionnaires qui se sont parfois laissé aller dans le narco-terrorisme
(comme les Farc de Colombie).
Outre caractéristique générale de la diplomatie de Lula
est représenté para la tendance politique à concevoir le monde comme étant
toujours divisé entre Nord et Sud, ajoutée d’une méfiance constante envers les
intentions des « puissances hégémoniques », en premier lieu, comme
espéré, l’« impérialisme américain ». De manière systématique, toutes
les actions de la diplomatie de Lula en Amérique du Sud ont eu pour but central
l’éloignement des États-Unis des affaires sud-américaines. Cette disposition,
en plus des sympathies idéologiques déjà connues, a conduit la diplomatie
brésilienne à soutenir politiquement le régime progressivement autoritaire du
colonel Chávez, au Venezuela, tout comme à s’opposer de façon très active à la
coopération militaire entre les États-Unis et la Colombie. Le double langage
sur la démocratie dans la région a certainement choqué plusieurs observateurs,
puisque il s’est montré très vocal dans le cas de la crise politique en
Honduras et spécialement tolérant envers la nette dégradation de la situation
politique et des libertés au Venezuela, pays où, selon le président Lula, il y
en existerait, au contraire, un « excès de démocratie ».
En effet, la plupart des prises de position sur la
situation politique dans le continent ou ailleurs a toujours été marquée par la
prééminence des options du parti au pouvoir sur l’avis beaucoup plus
circonspect, mais toujours technique, de la diplomatie professionnelle, qui a
été, ainsi, mise au service d’un parti, pas des intérêts nationaux brésiliens.
En conséquence, le consensus national dont elle disposait auparavant a été
remplacé par un débat acrimonieux entre opposants et partisans des nouvelles
positions de la politique extérieure : certains observateurs ont vu dans
cette diplomatie supposément de « gauche » une sorte de compensation
pour une politique économique « néolibérale », ce qui ne traduit pas
exactement l’extension et la nature du débat en cours. Il est facile de
constater, par exemple, que cette diplomatie reflète exactement les positions
politiques historiques du PT, sans aucun aggiornamento.[ii]
En tout cas, il faut reconnaître que
cette diplomatie dispose de beaucoup d’appuis dans les mouvements de gauche et
dans l’académie de manière générale.
En synthèse, donc, le legs diplomatique de Lula est celui
d’une politique étrangère très active, certainement responsable pour la
présence accrue du Brésil sur la scène internationale, mais faite aussi de
choix politiques – dans les domaines de la démocratie et des droits de l’homme
– et d’alliances préférentielles pour le moins suspects, sinon critiquables du
point de vue des intérêts du Brésil en tant que pays (et explicables seulement
par sa capture par les intérêts étroits de son parti et son idéologie anachronique).
La rhétorique « tiers-mondiste », par exemple, et l’anti-impérialisme
presque enfantin constituent des résidus politiques d’un âge révolu et
certainement peu conformes aux nouvelles responsabilités internationales d’une
nation émergeante comme le Brésil. Les illusions de changement de l’ordre
international sur la base d’une coalition de forces « anti-hégémoniques »
représente un mauvais calcul sur les intérêts politiques prioritaires de
partenaires comme la Chine, l’Inde ou même la Russie. De même, les paris sur
l’acceptation facile des prétentions brésiliennes à conquérir « son »
siège permanent au CSNU ou à exercer un leadership régional n’ont pas résisté à
des tests pratiques, au-delà de la rhétorique diplomatique coutumière. En tout
état de cause, les « nouveaux habits » de la diplomatie brésilienne étaient
construits sur en ensemble de mythes politiques, entretenus par le parti au
pouvoir, qui se sont vite choqués avec la réalité. Une diplomatie post-Lula,
dévêtue de son charisme[iii]
et style, devra retrouver l’ancien professionnalisme abandonné de l’Itamaraty,
un service diplomatique qui a toujours recruté les meilleurs, hélas mis
temporairement au service de causes douteuses.
Paulo Roberto de
Almeida est Docteur es Sciences Sociales, diplomate de carrière et auteur de plusieurs
ouvrages sur les relations
internationales du Brésil (www.pralmeida.org).
[Beijing-Shanghai, 28.06.2010; Shanghai, 4.07-18.09.
2010.]
Résumé : Le travail analyse en premier lieu les priorités
politiques et les objectifs de la politique étrangère du gouvernement Lula,
tels qu'établis par le président lui-même: l'entrée au Conseil de Sécurité des
Nations Unies; le renforcement et l'élargissement du Mercosur en Amérique du
Sud, en tant que base de l'intégration régionale sud-américaine; et la
conclusion des négociations commerciales multilatérales du Doha Round (OMC). La
deuxième partie traite des raisons par lesquelles aucun de ces objectifs n'ont
pas été atteints. La troisième partie aborde les méthodes de la diplomatie de
Lula, ce qui pourrait expliquer en partie ses échecs.
[ii]
Pour un exposé sur les
positions historiques du Parti des Travailleurs, voir mon article à ce
sujet : “La politique internationale du Parti des Travailleurs: de la fondation du
parti à la diplomatie du gouvernement Lula”,
In: Denis Rolland et Joëlle
Chassin (orgs.), Pour Comprendre le
Brésil de Lula (Paris: L’Harmattan, 2004) p. 221-238.
[iii] Voir, à nouveau, l’article de Rubens Ricupero, « À sombra de De Gaulle: uma diplomacia carismática
e intransferível », op. cit.
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