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Este blog trata basicamente de ideias, se possível inteligentes, para pessoas inteligentes. Ele também se ocupa de ideias aplicadas à política, em especial à política econômica. Ele constitui uma tentativa de manter um pensamento crítico e independente sobre livros, sobre questões culturais em geral, focando numa discussão bem informada sobre temas de relações internacionais e de política externa do Brasil. Meus livros podem ser vistos nas páginas da Amazon. Outras opiniões rápidas podem ser encontradas no Facebook ou no Threads. Grande parte de meus ensaios e artigos, inclusive livros inteiros, estão disponíveis em Academia.edu: https://unb.academia.edu/PauloRobertodeAlmeida

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quarta-feira, 1 de outubro de 2025

Emmanuel Todd strikes again (j’en ferai ma critique, PRA)

 Un nouveau texte  séminal si je puis en dire, qui mérite toute notre attention et commentaires, à venir. PRA

Dislocation de l’Occident : les menaces

La perversité de Trump se déploie au Moyen-Orient, le bellicisme de l’OTAN en Europe.

Je viens d’écrire à la demande de mon éditeur slovène une nouvelle préface à La Défaite de l’Occident, qu’il m’apparaît nécessaire de publier sur Substack immédiatement. La menace d’une aggravation de tous les conflits se précise. On trouvera dans ce texte une interprétation schématique et provisoire, mais actualisée du développement de la crise que nous vivons. Ce texte est de fait la conclusion de mon dernier entretien avec Diane Lagrange sur Fréquence Populaire : « Victoire de la Russie, enfermement et fracturation de la France et de l’Occident ».

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Préface à l’édition slovène

De la défaite à la dislocation

Moins de deux ans après la publication en français de La Défaite de l’Occident, en janvier 2024, les principales prédictions du livre sont vérifiées. La Russie a militairement et économiquement tenu le choc. L’industrie militaire américaine est épuisée. Les économies et les sociétés européennes sont au bord de l’implosion. Avant même que s’effondre l’armée ukrainienne, le stade suivant de la dislocation de l’Occident est atteint.

Je suis depuis toujours hostile à la politique russophobe des États-Unis et de l’Europe mais, en tant qu’occidental attaché à la démocratie libérale, Français formé à la recherche en Angleterre, enfant d’une mère réfugiée aux États-Unis pendant la deuxième guerre mondiale, je suis catastrophé par les conséquences pour nous, Occidentaux, de la guerre menée sans intelligence contre la Russie.

Nous ne sommes qu’au début de la catastrophe. Un point de bascule approche au-delà duquel se développeront les conséquences ultimes de la défaite.

Le « Reste du monde » (ou Sud global, ou Majorité globale), qui s’était contenté de soutenir la Russie en refusant de boycotter son économie, affiche désormais ouvertement son soutien à Vladimir Poutine. Les BRICS s’élargissent en acceptant de nouveaux adhérents, ils accroissent leur cohésion. Sommée par les États-Unis de choisir son camp, l’Inde a choisi l’indépendance : les photos de Poutine, Xi et Modi réunis à l’occasion de la réunion d’aout 2025 de l’Organisation de Coopération de Shanghai resteront comme le symbole de ce moment clef. Les médias occidentaux ne cessent pourtant de nous représenter Poutine comme un monstre et les Russes comme des serfs. Ces médias avaient déjà été incapables d’imaginer que le Reste du monde les voit comme un dirigeant et des êtres humains ordinaires, porteurs d’une culture russe spécifique et d’une volonté de souveraineté. J’ai peur désormais que nos médias n’aggravent notre aveuglement en étant incapables d’imaginer le regain de prestige de la Russie dans ce Reste du monde, exploité économiquement et traité avec arrogance par l’Occident durant des siècles. Les Russes ont osé. Ils ont défié l’Empire et ils ont gagné.

L’ironie de l’histoire, c’est que les Russes, peuple européen et blanc, de langue slave, sont devenus le bouclier militaire du Reste du monde parce que l’Occident a refusé de les intégrer après la chute du communisme. J’imagine les Slovènes particulièrement bien placés culturellement pour apprécier cette ironie même si ce que je sais bien, en tant qu’anthropologue de la famille et de la religion, que, malgré sa langue slave, la Slovénie est beaucoup plus proche socialement et idéologiquement de la Suisse que de la Russie.

Je peux ébaucher ici un modèle de la dislocation de l’Occident, malgré les incohérences de la politique de Donald Trump, président américain de la défaite. Ces incohérences ne résultent pas, je pense, d’une personnalité instable, et sans doute perverse, mais d’un dilemme insoluble pour les États-Unis. D’une part, leurs dirigeants, au Pentagone comme à la Maison blanche, savent que la guerre est perdue et que l’Ukraine devra être abandonnée. Le bon sens les conduit donc à vouloir sortir de la guerre. Mais d’autre part, le même bon sens leur fait pressentir que le retrait d’Ukraine aura pour l’Empire des conséquences dramatiques que n’avaient pas eu ceux du Vietnam, d’Irak ou d’Afghanistan. Il s’agit en effet de la première défaite stratégique américaine d’échelle planétaire, dans un contexte de désindustrialisation massive des États-Unis et de réindustrialisation difficile. La Chine est devenue l’atelier du monde ; sa très faible fécondité, certes, lui interdira de remplacer les Etats-Unis, mais il est déjà trop tard pour la concurrencer industriellement.

La dédollarisation de l’économie mondiale a commencé. Trump et ses conseillers n’arrivent pas à l’accepter car ce serait la fin de l’Empire. Un âge post-impérial pourtant devrait être le but du projet MAGA, Make America Great Again, qui cherche un retour de l’état-nation américain. Mais pour une Amérique dont la capacité productive en biens réels est aujourd’hui très faible (voir chapitre 9 sur la vraie nature de l’économie américaine), il est impossible de renoncer à vivre à crédit comme elle le fait en produisant des dollars. Un tel retrait impérial-monétaire impliquerait une chute brutale de son niveau de vie, y compris pour les électeurs populaires de Trump. Le premier budget de la deuxième présidence Trump, le « One Big Beautiful Bill Act », reste donc impérial malgré les protections tarifaires qui incarnent le projet ou rêve protectionniste. L’ OBBBA relance les dépenses militaires et le déficit. Qui dit déficit budgétaire aux États-Unis dit, inévitablement, production de dollars et déficit commercial. La dynamique impériale, l’inertie impériale plutôt, n’en finit pas de miner le rêve d’un retour à l’état-nation productif.

En Europe, la défaite militaire reste mal comprise des dirigeants. Ils n’ont pas dirigé les opérations. C’est le Pentagone qui avait mis au point les plans de la contre-offensive ukrainienne de l’été 2023 (durant laquelle j’avais écrit La Défaite de l’Occident). Les militaires américains, même s’ils ont fait mener la guerre par leur proxy ukrainien, savent qu’ils se sont brisés sur la défense russe - parce qu’ils ne pouvaient produire assez d’armes et parce que les militaires russes ont été plus intelligents qu’eux. Les dirigeants européens n’ont fourni que des systèmes d’armes et pas les plus importants. Inconscients de l’ampleur de la défaite militaire, ils savent en revanche que leurs propres économies ont été paralysées par la politique de sanctions, tout spécialement par la rupture de leur approvisionnement en énergie russe bon marché. Couper en deux économiquement le continent européen fut un acte de folie suicidaire. L’économie allemande stagne. Partout à l’ouest, la pauvreté et les inégalités augmentent. Le Royaume-Uni est au bord du gouffre. La France le suit de près. Sociétés et systèmes politiques sont bloquées.

Une dynamique économique et sociale négative préexistait à la guerre et mettait déjà l’Occident sous tension. Elle était visible, à des degrés divers, dans toute l’Europe de l’Ouest. Le libre-échange y mine la base industrielle. L’immigration y développe un syndrome identitaire, particulièrement dans les classes populaires privées d’emplois sûrs et correctement payés.

Plus en profondeur, la dynamique négative de fragmentation est culturelle : l’éducation supérieure de masse crée des sociétés stratifiées dans lesquelles les éduqués supérieurs – 20%, 30%, 40% de la population - se mettent à vivre entre eux, à se penser supérieurs, à mépriser les milieux populaires, à rejeter le travail manuel et l’industrie. L’éducation primaire pour tous (l’alphabétisation universelle) avait nourri la démocratie, créant une société homogène dont le subconscient était égalitaire. L’éducation supérieure a engendré des oligarchies, et parfois des ploutocraties, sociétés stratifiées envahies par un subconscient inégalitaire. Paradoxe ultime : le développement de l’éducation supérieure a fini par produire dans ces oligarchies ou ploutocraties une baisse du niveau intellectuel ! J’avais décrit cette séquence il y a plus d’un quart de siècle dans L’Illusion économique, publiée en 1997. L’industrie occidentale s’en est allée dans le Reste du monde et aussi, bien sûr, dans les anciennes démocraties populaires d’Europe de l’Est qui, libérées de leur sujétion à la Russie soviétique, ont désormais retrouvé leur statut pluriséculaire de périphérie dominée par l’Europe de l’Ouest. Je parle en détail au chapitre 3 de cette espèce de Chine intérieure où les ouvriers d’industrie restent nombreux. Partout cependant en Europe l’élitisme des éduqués supérieurs a engendré le « populisme ».

La guerre a fait monter d’un cran la tension européenne. Elle appauvrit le continent. Mais surtout, échec stratégique majeur, elle délégitime des dirigeants incapables de mener leurs pays à la victoire. Le développement de mouvements populaires conservateurs (habituellement désigné par les élites journalistiques par des termes comme « populistes » ou « d’extrême droite » ou « nationalistes ») s’accélère. Reform UK au Royaume-Uni. AfD en Allemagne, Rassemblement national en France… Ironie toujours : les sanctions économiques dont l’OTAN attendait un « regime change » en Russie sont sur le point d’apporter à l’Europe occidentale une cascade de « regime changes ». Les classes dirigeantes occidentales sont délégitimées par la défaite au moment même où la démocratie autoritaire russe est relégitimée par la victoire, ou plutôt, surlégitimée puisque le retour de la Russie à la stabilité sous Poutine lui assurait au départ une légitimité incontestée.

Tel est notre monde à l’approche de 2026.

La dislocation de l’Occident prend la forme d’une « fracturation hiérarchique ».

Les États-Unis renoncent au contrôle de la Russie, et je le pense de plus en plus, de la Chine. Mis sous blocus chinois pour leurs importations de samarium, cette terre rare indispensable à l’aéronautique militaire, les États-Unis ne peuvent plus rêver d’affronter la Chine militairement. Le Reste du monde – Inde, Brésil, monde arabe, Afrique - en profite et leur échappe. Mais les États-Unis se retournent vigoureusement contre leurs « alliés » européens et est-asiatiques, dans un effort ultime de surexploitation, et aussi, il faut l’admettre, par pur et simple dépit. Pour échapper à leur humiliation, pour cacher au monde et à eux-mêmes leur faiblesse, ils punissent l’Europe. L’Empire se dévore lui-même. C’est le sens des tariffs et investissements forcés imposés par Trump aux Européens, devenus sujets coloniaux dans un empire rétréci plutôt que partenaires. Le temps des démocraties libérales solidaires est fini.

Le trumpisme est un « conservatisme populaire blanc ». Ce qui émerge en Occident n’est pas une solidarité des conservatismes populaires mais une rupture des solidarités internes. La rage qui résulte de la défaite conduit chaque pays, pour éponger son ressentiment, à se retourner contre plus faible que lui. Les États-Unis se retournent contre l’Europe ou le Japon. La France réactive son conflit avec l’Algérie, ancienne colonie. Nul doute que l’Allemagne, qui, de Scholz à Merz, a accepté d’obéir aux Etats-Unis, ne retourne son humiliation contre ses partenaires européens plus faibles. Mon propre pays, la France, me semble le plus menacé.

L’un des concepts fondamentaux de la défaite de l’Occident est le nihilisme. J’explique comment « l’état zéro » de la religion protestante - la sécularisation arrivée à son terme - n’explique pas seulement l’effondrement éducatif et industriel américain. L’état zéro ouvre aussi un vide métaphysique. Je ne suis pas personnellement croyant et je ne milite pour aucun retour du religieux (je ne le crois pas possible) mais je dois, en tant qu’historien, constater que la disparition des valeurs sociales d’origine religieuse mène à une crise morale, à une pulsion de destruction des choses et des hommes (la guerre) et ultimement à une tentative d’abolition de la réalité (le phénomène transgenre pour les démocrates américains et la négation du réchauffement climatique pour les républicains par exemple). La crise existe pour tous les pays complètement sécularisés mais elle est pire dans ceux dont la religion était le protestantisme ou le judaïsme, religions absolutistes dans leur recherche du transcendant, plutôt que le catholicisme, plus ouvert à la beauté du monde et de la vie terrestre. C’est bien en aux États-Unis et en Israël que l’on voit se développer des formes parodiques des religions traditionnelles, parodies d’essence selon moi nihiliste.

Cette dimension irrationnelle est au cœur de la défaite. Celle-ci n’est donc pas seulement une perte « technique » de puissance mais aussi un épuisement moral, une absence de but existentiel positif qui mène au nihilisme.

Ce nihilisme est derrière la volonté des dirigeants européens, particulièrement sur les bords protestants de la Baltique, d’élargir la guerre contre la Russie par des provocations incessantes. Ce nihilisme est aussi derrière la déstabilisation américaine du Proche-Orient, lieu par excellence d’expression de la rage qui résulte de la défaite américaine face à la Russie. Surtout, ne cédons pas à l’évidence trop facile d’une autonomie guerrière du régime Netanyahu en Israël dans le génocide de Gaza ou dans l’attaque contre l’Iran. Protestantisme-zéro et judaïsme-zéro mêlent certes tragiquement leurs effets nihilistes dans ces accès de violence. Mais partout au Moyen-Orient ce sont bien les États-Unis qui, en fournissant les armes et parfois en attaquant eux-mêmes, sont en dernière instance les décideurs du chaos. Ils poussent Israël à l’action comme ils ont poussé les Ukrainiens. La première présidence Trump avait établi l’ambassade des États-Unis à Jérusalem et c’est bien Trump qui le premier a imaginé Gaza transformé en station balnéaire. Je suis conscient qu’il faudrait un livre pour démontrer cette thèse, un livre qui démonterait une à une les interactions entre les acteurs. Mais, historien de métier, et faisant de la géopolitique depuis un-demi-siècle, je sens que, comme l’Europe otanienne, Israël a cessé d’être un état indépendant. Le problème de l’Occident est bien la mort programmée de l’état-nation.

L’Empire est vaste et il se décompose dans le bruit et la fureur. Cet Empire est déjà polycentrique, divisé sur ses buts, schizophrène. Mais aucune de ses parties n’est indépendante du tout. Trump est son « centre » actuel ; il est aussi sa meilleure expression idéologico-pratique en ce qu’il mêle une volonté rationnelle de repliement sur sa sphère de domination immédiate (l’Europe et Israël) à des impulsions nihilistes de préférence pour la guerre. Ces tendances – repliement et violence - s’expriment aussi à l’intérieur du cœur américain de l’Empire où le principe de fracturation hiérarchique fonctionne en interne. Des auteurs anglo-américains de plus en plus nombreux évoquent la venue d’une guerre civile.

La ploutocratie américaine est pluraliste. Il y a celle des financiers, celle des pétroliers, celle de la Silicon Valley. Les ploutocrates trumpistes, pétroliers texans ou ralliés récent de la Silicon Valley, méprisent les élites éduquées démocrates de la côte Est, qui méprisent elles-mêmes les petits-blancs trumpistes du heartland, qui méprisent eux-mêmes les Noirs démocrates, etc…

L’une des particularités intéressantes de l’Amérique actuelle est que ses dirigeants ont de plus en plus de mal à distinguer l’interne de l’externe, malgré la tentative MAGA d’arrêter par un mur l’immigration venue du sud. L’armée tire sur des bateaux qui sortent du Vénézuéla, elle bombarde l’Iran, elle entre dans le centre des villes démocrates des États-Unis, elle commandite l’aviation israélienne pour une attaque sur le Qatar où se trouve une immense base américaine. Tout lecteur de science-fiction reconnaîtra dans cette énumération inquiétante l’amorce d’une entrée en dystopie, c’est-à-dire dans un monde négatif où se mêlent puissance, fragmentation, hiérarchie, violence, pauvreté et perversité.

Restons donc nous-mêmes, hors de l’Amérique. Gardons notre perception de l’intérieur et de l’extérieur, notre sens de la mesure, notre contact avec la réalité, notre conception de ce qui est juste et beau. Ne nous laissons pas non plus entraîner dans une fuite en avant guerrière par nos propres dirigeants européens, ces privilégiés égarés dans l’histoire, désespérés d’avoir été vaincus, terrorisés à l’idée d’être un jour jugés par leurs peuples. Et surtout, surtout, continuons de réfléchir au sens des choses.

Paris, le 28 septembre 2025

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quarta-feira, 23 de julho de 2025

Russia is our Rorschach - Emmanuel Todd (Substack)

Emmanuel Todd ataca outra vez, acusando britânicos e franceses de Russofobia. Talvez ele sofra de Russomania, ou pior, Russofilia. PRA

                 Emmanuel Todd

                Substack, July 20, 2025

Last April, I was interviewed by a Russian television channel about Western Russophobia and I had an epiphany. I more or less replied: "It's going to be unpleasant for you to hear this, but our Russophobia has nothing to do with you. It's a fantasy, a pathology of Western societies, an endogenous need of ours to imagine a Russian monster.”

As I was then in Moscow for the first time since 1993, I had experienced a shock of normality. My usual indicators - infant mortality, suicide and homicide - had shown me, without moving from Paris, that Russia had survived its crisis on the road out of communism. But such a normal Moscow was beyond anything I had imagined. And I had the intuition, on the spot, that Russophobia was a disease.

This intuition solves all sorts of questions. I had persisted, for example, in looking to history for the roots of British Russophobia, the most obstinate of all. The confrontation between the British and Russian empires in the nineteenth century seemed to justify such an approach. But then, in both world wars, Britain and Russia were allies, and they owed each other their survival in the second. So why so much hatred? The geopsychiatric hypothesis provides a solution. British society is the most russophobic, quite simply, because it is the sickest in Europe. As a major player and the first victim of ultraliberalism, the United Kingdom keeps producing dramatic symptoms: the collapse of its universities and hospitals, the malnutrition of its elderly, not to mention Liz Truss, the shortest and craziest of British prime ministers, a dazzling hallucination in the land of Disraeli, Gladstone and Churchill. Who would have dared a collapse of tax revenues without the protection, not just of a national currency, but of an imperial one, the world's reserve currency? Trump is also messing about with his budget, but he is not threatening the dollar. For the time being.

In the space of a few days, Truss had dethroned Macron on the hit-parade of Western absurdities. I confess to expecting a lot from Friedrich Merz, whose anti-Russian warmongering potential threatens Germany with much more than a monetary collapse. The destruction of the Rhine bridges by oreshnik missiles perhaps? Despite French nuclear protection? In Europe, it's carnival every day.

France is going from bad to worse, with its blocked political system, its economic and social system on credit, its rising infant mortality rate. We're sinking. And there we have it: an extra russophobic upsurge. Macron, the Chief of Staff of the French Armed Forces and the head of the DGSE (some secret service of ours) have just started singing the ultimate russophobic song: France now is Russia's number 1 enemy. This is crazy: thanks to our military and industrial insignificance, France is the least of Russia's worries, as it is busy enough with its global confrontation with the United States.

This latest Macronian absurdity makes recourse to geopsychiatry indispensable. A diagnosis of erotomania is inevitable. Erotomania is that condition, usually but not exclusively feminine, which leads the subject to believe that they are universally desired, sexually, and threatened with penetration by, say, all the surrounding males. Russian penetration, then, threatens...

I must confess to being weary of Macron bashing (others are taking care of this, despite general journalistic servility). Fortunately for me, we had been prepared for the President's 14 July speech with brand new official madness: idiotic speeches by two of the regime's little soldiers, Thierry Burkhard (Chief of the Armed Forces Staff) and Nicolas Lerner (head of the DGSE, the French foreign intelligence services). I'm not a constitutionalist, and I can’t tell whether it augurs well for democracy that two of the managers of the State's monopoly on legitimate violence are spilling out over the airwaves, in a press conference (Burkhard) or in anguished ramblings on LCI TV channel (Lerner), to define France's foreign policy in advance.

The fact remains that the public and free expression of their Russophobia is a treasure trove for the geopsychiatrist. I get two essential elements about the state of mind of the French ruling class (these interventions were taken as normal by the majority of the political and journalistic world and therefore tell us about the whole group).

Let's listen to Burkhard first. I'm using the Figaro transcript with its obvious imperfections. I'm not touching anything. How does our Chief of Staff define Russia and Russians? "It's also because of its people's ability to endure, even if the situation is complicated. Here too, historically and culturally, this is a people that is capable of enduring things that seem completely unimaginable to us. This is an important aspect of resistance and the ability to support the State". Let me translate: Russian patriotism is unimaginable for our military. He's not talking about Russia, he's talking about himself and his kind. He doesn't know, they don't know, what patriotism is. Thanks to the Russian fantasy, we are discovering why France has lost its independence, why, integrated into NATO, it has become a proxy for the United States. Our leaders no longer love their country. For them, rearmament is not about France's security, it's about serving an empire in decomposition which, after throwing the Ukrainians and then the Israelis into the fray against the world of sovereign nations, is preparing to mobilise the Europeans to continue sowing havoc in Eurasia. France is far from the front line. If Germany is a Hezbollah, our mission as proxies will be to be the Empire's Houthis.

Let's move on to Nicolas Lerner on LCI. This man seems to be in great intellectual distress. Describing Russia as an existential threat to France... With its shrinking population, already too small for its 17 million square kilometres? Only a nervous wreck could believe that Putin wants to penetrate France. Russia from Vladivostok to Brest? The fact remains that, in his distress, Lerner is useful for understanding the mentality of the people who are leading us to the abyss. He sees Russia imperial where it is national, viscerally attached to its sovereignty. “New Russia”, between Odessa and the Donbass, is quite simply the Alsace-Lorraine of the Russians. Would we have described the France of 1914, ready to resist the German Empire and take back its lost provinces, as imperial? Burkhard does not understand patriotism, Lerner does not understand the nation.

An existential threat to France? Yes of course, they sense it, they are right, but they are mistaken in looking for it in Russia. It is within themselves that they should be looking. The existential threat is twofold. Threat no. 1: our elites no longer love their country. Threat no. 2: they put it at the service of a foreign power, the United States of America, without ever taking our national interests into account.

When they talk about Russia, French, British, German or Swedish leaders tell us who they are. Russophobia is a pathology, no doubt. But above and beyond, Russia has become a formidable projective test. Its image is similar to the plates of the Rorschach test. The subject describes to the psychiatrist what he sees in shapes that are both random and symmetrical. In so doing, he projects some deep, hidden elements of his or her personality. Russia is our Rorschach.


terça-feira, 10 de junho de 2025

Emmanuel Todd: vitória russa na Ucrânia e derrota do Ocidente

Emmanuel Todd insiste na sua tese da vitória da Rússia na Ucrânia, assim precusamente, e na derrota do Ocidente, de maneira geral, em face da “vitória” de Putin. Agora ele vem com essa “tese” do retorno da “questão alemã”, cono se fosse uma reafirmação de maus augurios do passado. PRA

Le retour de la question allemande

Entretien dans Weltwoche, 22 mai 2025

J’ai donné fin mai une interview à M. Jürg Altwegg pour le magazine suisse Weltwoche. Le titre de la publication en allemand est “La Russie a gagné la guerre”. En voici la traduction.

Weltwoche, 22 Mai 2025

Emmanuel Todd avait prédit la chute de l'Union soviétique à l'aide de statistiques. Aujourd'hui, le démographe et historien français voit venir la fin de l'Occident. Selon lui, l'Ukraine est perdue et les Américains n’ont que de mauvaises cartes à jouer contre la Chine. Le plus grand danger pour l'Europe viendrait d'une Allemagne surarmée.

Jürg Altwegg

Un nouveau drapeau pour l’Europe?

Lorsqu'il était question de l'introduction de l'euro en Europe, le démographe et historien Emmanuel Todd était un partenaire d'interview très convoité par les médias allemands. Il avait critiqué le traité de Maastricht, la bureaucratisation et la centralisation croissantes de l'UE, la mise sous tutelle des peuples et la monnaie unique, exigée des Allemands comme prix de la réunification et imposée par le chancelier Helmut Kohl. Todd avait compris que les exportateurs allemands seraient les principaux bénéficiaires de la nouvelle monnaie et que les pays plus étatistes comme la France avaient beaucoup à perdre. Après qu’il eut plaidé pour un protectionnisme européen, l'amour de l’Allemagne pour Todd s'est effrité.

Après l'attentat contre les Twin Towers le 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden, instigateur de l'acte terroriste, a parlé dans une vidéo d'un intellectuel français qui avait prévu la chute de l'Union soviétique et qui prédisait aujourd'hui la fin de l'empire américain. Il s'agissait d'Emmanuel Todd, qui avait publié peu avant son best-seller international « Après l’Empire : Essai sur la décomposition du système américain ».

Nous l'avons interviewé une première fois sur le conflit ukrainien début 2023 (« Cette guerre concerne l'Allemagne »). L'année suivante, Todd a publié un livre qui a été traduit dans de nombreuses langues, y compris en allemand (« La Défaite de l’Occident »). Le plus grand journal japonais a consacré sa première page à l'auteur français de best-sellers, tandis que la Repubblica pro-européenne en a fait sa Une d'un supplément du week-end. Pour la première du livre en Allemagne, Emmanuel Todd s'est rendu à Francfort. Des critiques ? Pas de réponse : « En Allemagne j’ai été passé sous silence. Pas un seul journaliste des principaux journaux ne m'a parlé. Une chape de plomb semble écraser le pays. À mon retour de Francfort, je suis tombé malade, l'Allemagne me fait à nouveau peur ». Après la déclaration gouvernementale de Friedrich Merz le 14 mai 2025, la peur historique de l'Allemagne refait également surface.

Weltwoche : Monsieur Todd, vous êtes rentré de Moscou il y a quelques jours. Qu'avez-vous vu en Russie ?

Emmanuel Todd : Je me méfie des évaluations rapides, je ne suis pas journaliste. Mon père l'était. Je suis certes devenu historien, anthropologue, chercheur parce que je l'avais vu voyager dans le monde entier, écrire de super reportages et faire des interviews. Mais tout ce qu'il voyait, il ne le comprenait pas vraiment.

Weltwoche : Ce n'est pas vrai. Votre père Olivier Todd était un grand et courageux journaliste. Lorsque des journaux comme Le Monde et Libération ont ignoré le génocide des Khmers rouges dans les années de délire maoïste, il a écrit la vérité. Et il a pour ça payé le prix fort.

Todd : Il n'avait qu’une compréhension assez faible du contexte géopolitique. Je me méfie aussi de ma propre perception. Ma méthode repose sur des faits profonds. C’est avec des statistiques de mortalité infantile que j'avais prévu l'effondrement de l'Union soviétique sans jamais m'y être rendu. En France, je dois constater aujourd’hui que la mortalité infantile augmente. En Russie, elle recule et est désormais plus faible qu'en Amérique. Sur la base de cette observation, je suis convaincu que la Russie est sur la voie de la normalisation depuis Poutine. Malgré son système politique, qui est une démocratie autoritaire. C'était ma première visite en Russie depuis 1993.

Weltwoche : Pour quelle raison vous êtes-vous rendu à Moscou ?

Todd : Une invitation, quatre jours. J'ai fréquenté les cercles académiques et donné une conférence. Je n'ai pas rencontré d'opposants. Ce que j'ai vécu a été un choc de normalité : tout y était encore plus normal que je ne le pensais. Les gens ont les yeux rivés sur leur téléphone portable, ils consomment et paient par carte de crédit, ils utilisent des trottinettes électriques comme à Paris. La grande différence, c'est que tous les escalators fonctionnent. On peut parler normalement avec les gens.

Weltwoche : Qu'avez-vous dit à vos auditeurs ?

Todd : J'ai présenté mon nouveau livre et expliqué que j'avais rapidement compris qu'avec Poutine, la Russie était sortie du chaos des années 90. J'ai dit que les États-Unis plongeaient dans un abîme sans fond. J'ai cité comme éléments d’analyse les structures familiales, la mortalité infantile, la disparition des fondements religieux. J'ai été interviewé par un magazine du ministère des Affaires étrangères et par la télévision.

Weltwoche : Chez vous, on vous fera passer pour l'idiot utile de Poutine.

Todd : Cela m'est indifférent. J'ai également dit aux auditeurs que je n’étais pas l’un de ces intellectuels qui éprouvent une sympathie idéologique réactionnaire pour la Russie de Poutine. Je suis un libéral de gauche. Mon attitude positive envers la Russie est l'expression de ma gratitude pour sa victoire dans la Seconde Guerre mondiale. La Russie nous a libérés du nazisme. Les premiers livres d’histoire que j'ai lus pour mon plaisir, vers l'âge de seize ans, parlaient de la guerre menée par l’armée rouge – de Stalingrad et de Koursk. À la télévision, j'ai également parlé de la russophobie de l'Occident. Je pense désormais qu'il s'agit d'une pathologie de nos sociétés, comme l'est l’antisémitisme. On ne peut pas la justifier par ce que j'ai vu en Russie. Je suis effectivement arrivé à cette conclusion d’une pathologie russophobe de l’Occident sur place. Notre haine de la Russie parle de nous, pas de la Russie.

Weltwoche : Auparavant, vous étiez allé en Hongrie.

Todd : Également pour une conférence. Pendant deux heures, j'ai aussi pu m'entretenir avec Viktor Orbán. La Hongrie est très concrète pour moi, j'avais visité le pays quand j'avais 25 ans. C’est en Hongrie que je suis devenu anticommuniste parce que j'ai dû faire mes adieux à la gare à des gens sans savoir si je les reverrais un jour. De la Hongrie communiste, je revenais à la liberté et à la normalité. Maintenant, je reviens de Russie et c'est l'inverse : après la normalité russe, l'irrationalité occidentale. Ce retour-ci a également été un choc. Alors que je me rendais en voiture de Paris en Bretagne, pour m’y reposer quelques jours, j'ai entendu sur France Culture une émission « en provenance de Moscou ». On y racontait que dans les stations de métro, on traquait les jeunes pour les envoyer sur le front en Ukraine. À la télévision, j'ai vu le ballet de Keir Starmer, Friedrich Merz et Emmanuel Macron à Kiev et j'ai compris que l'Occident était complètement sorti de la réalité.

Weltwoche : Quel est le rôle de la guerre dans le processus de normalisation russe ?

Todd : L'Occident a perdu la guerre, on n'en ressent pas les effets à Moscou. Les sanctions ont contraint la Russie à prendre des mesures protectionnistes efficaces que Poutine n'aurait pas pu imposer sans la guerre. Ils ont développé leur commerce avec d'autres pays. Depuis les années 1990, les Russes ont développé une immense capacité d'adaptation. L’Union européenne est rouillée.

Weltwoche : Ai-je bien compris ce que vous avez dit ? La Russie a gagné la guerre ?

Todd : Oui. Les Etats-Unis n'ont pas réussi à battre la Russie avec l'aide de l'armée ukrainienne. C'est pourquoi ils ont déplacé le front et déclaré une guerre commerciale à la Chine. Celle-ci a été gagné par la Chine en une semaine. Les Américains sont en train de perdre le contrôle du système financier international et du commerce mondial. Mon sujet, je le rappelle, n'est pas la Russie mais la défaite de l'Occident. Les pays européens sont parmi ceux qui souffrent le plus de la guerre, avec pour conséquence une montée irrésistible des partis populistes-conservateurs. Qualifier ces partis, de manière anachronique, de partis « d'extrême droite », est selon moi une insulte à l’intelligence.

Weltwoche : Dans notre interview d'il y a deux ans, vous aviez expliqué la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle de 2016 par la destruction de la classe ouvrière américaine par la Chine.

Todd : Il s'agit désormais de bien plus que du déclin de l'industrie américaine. Il y a en Amérique une étrange volonté de destruction – des choses, des personnes et de la réalité. La cause première de cette évolution est le déclin du protestantisme. Il a laissé derrière lui un vide existentiel.

Weltwoche : Que l'on peut également observer en Europe.

Todd : Les pays fondateurs de l'Union européenne - la France, l'Allemagne, l'Italie – ont surtout été ignorés dans cette guerre que se livrent par les armes et parfois par proxy les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, les Anglo-américains et les Russes. L'Europe elle a été restructurée sous tutelle américaine. Certes, ces pays européens sous tutelles font aussi partie des vaincus de la guerre, mais ils ne s'en rendent pas encore compte.

Weltwoche : Il y a au contraire une étonnante disposition à la guerre en Europe, du moins sur le plan rhétorique. On parle d'une « coalition des volontaires ». Comment l'interprétez-vous ?

Todd : J'y vois une pulsion suicidaire. On la voit dans ces sanctions qui font plus de mal à l'Europe qu’à la Russie. L'abandon brutal de l'énergie nucléaire par l'Allemagne témoignait déjà d’une tendance suicidaire, tout comme son choix soudain d’une immigration incontrôlée. La volonté de se passer du gaz russe est également suicidaire. Nous sommes confrontés à une maladie des classes supérieures. Tout cela m’est apparu à Moscou. Je me trouvais dans un état d'esprit étrange. J'avais le trac de faire cette conférence dans un pays « ennemi », contre lequel mon pays est de fait en guerre. Or notre « ennemi » est sur le point de gagner cette guerre. J'ai pensé l'Europe de l'extérieur et j'ai soudain vu sa dérive vers l'autodestruction.

Weltwoche : Qu'en est-il de la Russie ? L'homme politique français, journaliste et spécialiste de la Russie Raphaël Glucksmann a qualifié le système de Poutine de fasciste dans une interview accordée à la Weltwoche.

Todd : Je ne vois pas de fascisme russe. La Russie a une économie de marché qui fonctionne, elle respecte la liberté des entrepreneurs. Les gens peuvent se déplacer librement.

Weltwoche : Parler aussi ? N'y a-t-il pas de dissidents qui sont placés dans des camps ou empoisonnés à l'étranger ?

Todd : La Russie est une démocratie autoritaire. On y trouve une violence qui vient de l’État. Je n’ai nullement l’intention de passer sous silence le traitement des opposants. L'État russe est fort, il dispose de moyens de propagande, d'intimidation et de répression. Du point de vue d’un historien, Poutine a surtout, stratégiquement, utilisé ces moyens contre les oligarques et il a annihilé leur pouvoir. Cela s'est évidement fait de manière autoritaire, violente même, mais aussi démocratique : la population russe soutient Poutine - dans la mise au pas des oligarques comme dans la guerre. Les oligarques ne sont plus un problème maintenant, spectaculaire, que pour l'Occident, particulièrement en Amérique. En Russie, Poutine l'a résolu. D'un point de vue intellectuel, je peux comprendre ce que fait Poutine. Il est rationnel. Je comprends le comportement russe, ce qui ne veut nullement dire que je suis d'accord. Et je suis à tout moment conscient que ma sympathie pour la Russie résulte d’une émotion, d’un sentiment de gratitude historique. Mais l'Occident reste pour moi une énigme.

Weltwoche : Et il n'y a pas de solution à cette énigme ?

Todd : Je ne l'ai pas encore. Mais chaque conférence, chaque interview me fait avancer de quelques pas. J'ai longtemps pensé que la tâche de Donald Trump serait de gérer la défaite de l'Occident. Puis j'ai réalisé qu'il avait même été élu à cause de cette défaite. Si Biden avait réussi à vaincre la Russie sur le plan économique, la victoire de l'empire américain aurait conduit à l'élection d'un démocrate. La révolution Trump, comme la révolution russe et tant d'autres, est survenue après une guerre perdue.

Weltwoche : Trump doit son élection en 2024 à la victoire de la Russie en Ukraine ?

Todd : Cela fait plus de trente ans que je m'intéresse à la mondialisation. J'étais contre le traité de Maastricht. Dès l'introduction de l'euro, que j'avais rejeté, j'ai plaidé pour le protectionnisme européen. Plus tard, j'ai donc défendu l'euro parce qu'il aurait pu permettre un protectionnisme européen. Mais tout ce que je craignais s'est produit : régression industrielle, inégalité des nations européennes, . La guerre en Ukraine nous oblige enfin à regarder la réalité en face. Notre succès économique est une fiction et nous ne pouvons plus nier la réalité : le produit national brut de la Russie représente 3 pour cent de celui de l'Occident et pourtant la Russie est capable de produire plus d'armes que l'Occident.

Weltwoche : Avec Trump, la réalité revient ?

Todd : En Amérique, la révolution de Trump est interprétée par Peter Thiel comme une apocalypse. Comme un changement d'époque et - au sens biblique - la révélation d'une nouvelle vérité. Cette appréciation est juste. Mais nous ne devons pas cette révélation au libertarianisme et à Internet. Nous la devons au choc de réalité provoqué par la défaite en Ukraine. En Amérique, l'apocalypse a commencé, elle révèle la vérité : la guerre est perdue. Les plans de la contre-offensive de 2023 avaient été élaborés par le Pentagone. Les stocks dans les arsenaux américains s’épuisent, le réarmement n'avance pas. L'Amérique veut mettre fin à la guerre parce que les Russes ont gagné. Les Européens, eux, résistent à cette prise de conscience. Ils sont les dindons de la farce dans cette guerre menée par les Ukrainiens et les Américains, mais ils n'ont pas encore réalisé qu'elle était perdue. Ils ont fourni des armes et payé, appliqué les sanctions qui les détruisent eux-mêmes, mais n’ont pas été aux commandes dans la conception et la conduite de cette guerre. Ils rêvent donc de la poursuivre. Pour l'Europe, l'apocalypse, la révélation avec ses conséquences, est encore à venir.

Weltwoche : Et pour l'Ukraine, cette apocalypse signifie la fin du monde, la chute de la nation ?

Todd : L'Ukraine était avant la guerre un failed state, un État en faillite, corrompu, elle a trouvé sa raison d'être dans la guerre. Avec la fin de la guerre, elle perdait sa raison d’être. La paix signifierait pour le régime ukrainien la perte de ses revenus occidentaux et son retour à son statut initial de failed state, avec un territoire diminué. Pour Kiev, la paix, ce serait la mort.

Weltwoche : Une telle fin est-elle en vue ?

Todd : Les Russes ont perdu toute confiance en l'Occident. De leur point de vue, on ne peut plus négocier avec des Américains de bonne foi. Trump est plutôt gentil avec les Russes, mais il reste totalement imprévisible. Les dirigeants russes, qui sont, au contraire des nôtres, ne l’oublions pas, très intelligents, ne peuvent pas les prendre pas au sérieux. Logiquement, ils devraient considérer que les négociations avec Trump sont encore plus impossibles qu'avec Biden.

Weltwoche : Une fin de la guerre serait pourtant bénéfique pour tous.

Todd : La Russie veut atteindre ses objectifs. Elle a payé un lourd tribut à cette guerre et a perdu de nombreux soldats. Poutine doit garantir la sécurité de son pays. Les attaques de drones sur Sébastopol ont montré à quel point sa flotte est vulnérable. Pour la protéger, la Russie devrait prendre Odessa. Je pense donc qu'il va devoir ultimement conquérir Odessa et l'Est de l'Ukraine jusqu'au Dniepr. La partie de Kiev située sur la rive gauche du fleuve deviendrait également russe. Le reste de l'Ukraine tombera sous l'influence de la Russie ou sera neutralisé. Les Russes ne peuvent plus faire confiance aux garanties de sécurité inscrites dans les traités. Ils doivent se mettre en sécurité « sur le terrain ».

Weltwoche : Et donc l’Ukraine ne sera pas non plus membre de l'Union Européenne ?

Todd : Les Russes sont différents des Américains : ils font ce qu'ils disent. Ils ne voulaient pas que l'Ukraine adhère à l'OTAN. C'est ce qui a déclenché la guerre. Aujourd'hui, il est presque impossible de distinguer l'UE de l’OTAN. Une adhésion est devenue inimaginable. La Russie fera la guerre jusqu'à ce que l'Ukraine soit neutralisée.

Weltwoche : Des négociations sont à l'ordre du jour.

Todd : Ce sont des manœuvres de dissimulation. Les Américains veulent mettre fin à la guerre et détourner l'attention du fait qu'ils l'ont perdue. Les larmes de crocodile de Trump, ses lamentations sur les horreurs de la guerre et les nombreux morts des deux côtés sont obscènes. Il suffit de penser aux bombes qu'il fournit à Israël et qui permettent le carnage à Gaza. Je ne parle pas personnellement, au stade actuel, de génocide mais de carnage. En tant qu’historien j’hésite toujours à utiliser des catégories qui conduisent à identifier le présent au passé. Plus tard peut-être. Reste que Trump, après tant d’autres présidents américains, est responsable de Gaza - tout comme les Etats-Unis sont responsables de la guerre en Ukraine. Sa duplicité est insupportable. Mais les Russes sont des gens polis, ils ne veulent pas l'humilier et compliquer davantage les choses. Ils entrent donc dans son jeu. De toute façon, c’est sur le front et dans les usines que se joue cette guerre. La question est maintenant de savoir si Poutine va envoyer les deux armées nouvellement constituées et stationnées dans le Nord-Ouest du pays pour l'offensive finale en Ukraine. Cette dernière a perdu la guerre, ses alliés vont l'abandonner - tout comme l'Amérique a déjà trahi le Vietnam et l'Afghanistan.

Weltwoche : Plus la défaite se dessine clairement, plus la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne se montrent belliqueuses.

Todd : Nous vivons dans un monde à l'envers. C'est comme au Moyen-Âge, quand les pauvres et les riches échangeaient leurs rôles au carnaval. Le comportement des chefs de gouvernement européens, c’est carnaval : ils menacent de sanctions et lancent ultimatum sur ultimatum - sans disposer des armées ou même des armes ou des satellites d’observation qui pourraient donner un poids quelconque à leurs paroles. Ils ne sont même pas en mesure de faire valoir leurs propres intérêts chez eux. Le sabotage de Nord Stream a par exemple prouvé que l'Allemagne était à nouveau un pays occupé.

Weltwoche : Est-ce que c'était les Américains ?

Todd : Le silence des médias allemands sur Nord Stream est assourdissant. L'Allemagne a perdu son indépendance. Sa capitale, depuis le début de la guerre d’Ukraine aura été Ramstein, où se trouve la plus grande base aérienne américaine en Europe.

Weltwoche : Friedrich Merz est désormais le nouveau chancelier. Dans sa déclaration gouvernementale, il a annoncé que l'Allemagne allait mettre en place l'armée la plus puissante d'Europe.

Todd : On atteint ici une nouvelle dimension de l'irresponsabilité historique. Contrairement à la Grande-Bretagne ou à la France, l'Allemagne dispose d'un énorme potentiel industriel qui permettrait à Merz d'atteindre cet objectif. Je compte dans le potentiel allemand l’Autriche, la Suisse et les anciennes démocraties populaires, les anciens satellites de l'Union soviétique, annexés au système industriel allemand, particulièrement la Pologne, et la Tchèquie. Si le système industriel allemand est mis au service du réarmement, l’Allemagne deviendra une vraie menace pour les Russes, qui produisent actuellement sans difficulté plus d'armes que l'Amérique.

Weltwoche : Guerre ou paix, c'est le comportement de l'Allemagne qui en décidera ?

Todd : En tout cas, beaucoup plus que celui de la Grande-Bretagne ou de la France. Les Premiers ministres britanniques sont de plus en plus ridicules, et ça n’a aucune importance. Macron est ridicule depuis toujours et ça n'a aucune importance. Mais le basculement allemand de Scholz à Merz change beaucoup de choses - d'un point de vue psychologique et géopolitique. Merz est un belliciste hostile à la Russie. Alors qu'il n’était encore que candidat, il s'est prononcé en faveur de la livraison de missiles Taurus à l'Ukraine. Ceux-ci permettent d’atteindre des objectifs en Russie, dont le pont de Crimée. Nos contemporains ne semblent pas mesurer la portée historique et morale d’un tel choix.

Weltwoche : Maintenant, vous aussi vous parlez de morale.

Todd : Je suis pour le pardon des crimes historiques, mais pas pour l'oubli. L'Allemagne est responsable de la mort de 25 à 27 millions de Soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. Et aujourd'hui, elle voudrait à nouveau s'engager militairement contre la Russie. C'est inimaginable. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez les Allemands ?

Weltwoche : Avez-vous une réponse ?

Todd : Je ne suis pas spécialiste de l’Allemagne mais je connais son comportement dans l’histoire. Un élément important qui explique l’amnésie est certainement la population vieillissante, l'âge médian est de 46 ans. Je travaille sur la nouvelle irresponsabilité des gens âgés, y compris en France. L’Allemagne, quant à elle, si elle est efficace économiquement semble perdue dans son histoire. Se frapper la poitrine pour expier la shoah ne suffit pas. Il y a bien d’autres erreurs dans l’histoire allemande que la shoah. A commencer par la première guerre mondiale. Plus récemment, l'Allemagne, depuis qu’elle domine l’Europe, depuis la crise financière de 2007-2008, a recommencé à être historiquement irresponsable. Elle prend des décisions absurdes sans consulter ses partenaires : sortie du nucléaire, immigration, absence d’un sentiment quelconque de responsabilité pour ce qui concerne l’équilibre économique de l’Europe, qu’elle domine et dirige pourtant. Sans oublier bien sûr bien sûr, la volonté de l’Allemagne d’intégrer l’Ukraine, ou en tout cas sa population active, à son potentiel industriel qui a contribué à Maidan et à la marche à la guerre. Puis-je formuler un scénario-catastrophe ?

Weltwoche : Je vous en prie.

Todd : En réponse à Trump, par qui elle se sent trahie, l’Europe tente désespérément de faire revivre le mythe de sa fondation : la fin des guerres entre les nations. L’Europe est désormais tellement obsédée par ses valeurs pacifistes-moralisatrices qu’elle refuse de seulement réfléchir aux causes de l’intervention militaire russe, classée abomination pour l’éternité, inacceptable pour l’éternité. L’Europe s’obstine donc en Ukraine, pour y nourrir une guerre sans fin menée au nom de ses valeurs pacifistes. Mais quelle est cette Europe rendue guerrière par son idéologie pacifiste ?

Le réarmement n’est possible qu’en Allemagne, première puissance industrielle du continent. Or, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l’Allemagne ne s’intéressait qu’à l’économie. L’unification européenne n’avait été possible que parce que l’Allemagne avait renoncé à la puissance militaire et était devenue pacifiste. Lors de la crise grecque, l’Allemagne a de fait pris le pouvoir économique en Europe. La Banque centrale européenne est à Francfort, Ursula von der Leyen est à la tête de l'UE à Bruxelles. Nous marchons donc vers une Europe centralisée avec l’Allemagne comme centre du pouvoir. Cette Allemagne économiquement dominante veut désormais construire l’armée la plus puissante d’Europe.

Weltwoche : La Bundeswehr est encore loin d’y parvenir. L'armée française est la seule en Europe à posséder l'arme nucléaire. En Allemagne, c'est tabou.

Todd : Macron est prêt à la partager. Et si la volonté de construire une puissance militaire prévaut en Allemagne, l’Allemagne mettra en œuvre son projet. À l’heure actuelle, la peur de la Russie prévaut en Europe. Poutine a pris dans nos cerveaux affaiblis la place d’Hitler. Mais la Russie est loin et ne pose en réalité aucun problème, et surtout pas à la France ou au Royaume-Uni. Mais les Français et les Polonais pourraient avoir bien vite plus peur des Allemands que des Russes. L’histoire est oubliée mais la géographie, immuable, reste là pour nous dire où est le danger.

Weltwoche : Ce serait alors l’apocalypse en Europe. Avec le retour des nations et la peur des Allemands ?

Todd : La mondialisation a tenté d’imposer la croyance que les nations n’existent plus et que les frontières doivent être ouvertes. Que les gens partout dans le monde sont les mêmes et qu’ils sont interchangeables, comme des produits ou des signes monétaires. Il n’y aurait plus de spécificités culturelles, seul le marché compte. Mais ce monde rêvé se dissout sous nos yeux. On voit des révoltes partout : le Brexit, Trump, le Rassemblement national, l’AfD. On sent aujourd’hui une certaine solidarité entre ces mouvements populistes-conservateurs. Le vice-président américain J. D. Vance a plaidé à Munich pour leur liberté d'expression. Mais nous sommes dans une phase de transition. Lorsque le mythe de la mondialisation s’effondrera et que chaque peuple redeviendra lui-même, qu’il le veuille ou non, nous découvrirons que les peuples sont différents. Les Italiens sont Italiens et les Français sont Français. L’implosion de la mondialisation conduira, entre autres, à une apocalypse européenne qui pourrait bien être l’effondrement de l’Union.

Weltwoche : Cela va conduire à de nouveaux conflits. Guerres, nationalisme, fascisme ?

Todd : Je n’ai pas de véritable inquiétude concernant la France. Non parce que les Français sont meilleurs en tant qu’êtres humains, mais parce que nous ne sommes jamais complètement sérieux. Les Allemands le sont toujours. Quand ils commencent quelque chose, ils le terminent. Si l’on tient vraiment à parler d’un danger « fasciste », alors je pense à celui qui pourrait venir d’Allemagne, plutôt que de France, des Etats-Unis ou de Russie. Mais je ne sais pas si la menace fasciste viendra de l’AfD ou de ceux qui la combattent.

Weltwoche : L’AfD est contre la guerre en Ukraine, mais probablement pas seulement par sympathie idéologique et réactionnaire pour Poutine.

Todd : Nous avons un parallèle en France. Une décision de justice a interdit à Marine Le Pen, en tête dans les sondages d’opinion, de participer à l'élection présidentielle. Par rapport à l’AfD, son Rassemblement national est un parti de centre- gauche ! Reste que le classement de l’AfD comme parti d’extrême droite m’a consterné. Non pas en lui-même, mais parce qu’il a été proposé par les services de renseignement allemands. Je suis, comme beaucoup, inquiets de l’irruption des juges, roumains ou français, en politique ; mais l’irruption des services de renseignements ! Mon dieu…Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie, en profondeur ? J'ai ici un autre scénario catastrophe. Et si vous le reprenez dans votre texte final, sachez que je tiens à m'excuser à l'avance auprès des Allemands. Et j’espère que vous le présenterez de manière telle que j'apparaisse comme un historien raisonnable.

Weltwoche : Je le promets.

Todd : C'est la vision d’Allemands qui, par antifascisme, mettent des gens classés extrémistes de droite dans des camp de concentration.

J’ai été horrifié par les cérémonies occidentales du 8 mai pour commémorer la fin de la Seconde Guerre mondiale. Vouloir oublier que c’est la Russie qui a écrasé l’Allemagne nazie n’est pas seulement immoral, c’est extrêmement dangereux.

Weltwoche : Les Russes avaient déjà été exclus des cérémonies marquant à Auschwitz la libération du camp par l'Armée rouge.

Todd : Tout le monde parle sans cesse de l’Holocauste. Mais le reste de l’histoire est oublié. Les Allemands savent très bien qu’ils ont été vaincus par les Russes. Si l’idée prévaut que les Russes n’ont pas gagné la guerre, les Allemands finiront par s’imaginer qu’ils ne l’ont pas perdue. Le réarmement et la militarisation de l’Allemagne, dans une Europe qu’elle domine, constituent une menace pour la Russie. N’oublions pas, de grâce, que dans un tel cas de figure, la doctrine militaire russe considère comme possible l’utilisation d’armes nucléaires tactiques. Nous assisterions alors à une reprise de la Seconde Guerre mondiale.