Comme
un signal de détresse, la sonnette a retentie cinq fois. Il était 6
heures du matin lorsque le 4 mars les policiers ont perquisitionné le
domicile de l’ancien président Lula da Silva (en exercice de 2003 à
2010), à Sao Bernardo, dans la grande banlieue de Sao Paulo, capitale
économique du pays. Ils étaient nombreux et déterminés à agir vite dans
cette vaste opération judiciaire qui visait à interpeller sur place le
fondateur du PT (Parti des Travailleurs), icône de la gauche radicale au
Brésil, soupçonné d’être au cœur du système de corruption tentaculaire
de la « Pieuvre Petrobras » dont l’un des rouages clés est le
« Lava-Jato » (« lavage express »), système de pots-de-vin et de
trucages d’appels d’offres, objet d’une enquête diligentée par le juge
Sergio Moro, surnommé au Brésil « Zorro » ou « Eliott Ness » pour son
tempérament incorruptible.
21 milliards d’euros détournés
Première entreprise brésilienne, le groupe pétrolier semi-étatique
est devenu outre le plus endetté (86,5 milliards d’euros), le symbole
du clientélisme (fraudes à grande échelle et pots-de-vin). Dans le cadre
de l’enquête ouverte en 2014, le préjudice a été évalué par le groupe
pétrolier lui-même, à plus de « 88 bilhoes » de réaux (réal brésilien),
88 milliards de réaux, faisant le bonheur des réseaux sociaux dénonçant
la corruption au Brésil avec un hachtag #88bilhoes; soit le détournement
de plus de 21 milliards d’euros.
L’ancien président Lula serait l’un des « principaux bénéficiaires »
du système Petrobras, il a « reçu beaucoup de faveurs d’entreprises
corrompues » a indiqué le procureur Carlos Fernando dos Santos Lima.
Vendredi 4 mars alors que les hélicoptères de la police fédérale
tournoyaient au-dessus des gratte-ciel de Sao Paulo, quelques 200
policiers auraient été mobilisés pour mener simultanément plusieurs
perquisitions dans la mégapole : outre au domicile de Lula da Silva, à
celui de « Lulinha, » surnom de l’un de ses fils, Fabio Luis Lula ainsi
qu’aux sièges de l’Institut Lula, d’une ONG, et de deux entreprises de
BTP , Odebrecht et OAS que l’on sait impliquées dans le « scandale
Petrobras » depuis l’ouverture de l’enquête (2014) au point d’être
surnommées avec trois autres piliers des travaux publics, les « ripoux
du pétrole ». Dans trois états, 33 mandats de perquisition et 11 mandats
de détentions ont été menés.
7,5 millions d’euros à Lula
A titre personnel, le fondateur du PT qui continue de nier avec
véhémence tout acte répréhensible, aurait reçu des entreprises de BTP
corrompues plus de 7,5 millions d’euros (plus de 30 millions de réaux)
entre 2011 et 2014. Le financement de travaux réalisés dans un triplex
dans une station balnéaire et par ailleurs dans le domaine à Atibaia
dans l’Etat de sao Paulo est visé par l’enquête.
Les cinq groupes de BTP impliqués dans l’enquête Lava-Jato auraient
par ailleurs financés à 47% les conférences facturées par Lula depuis
qu’il n’est plus au pouvoir. Enfin, 60% des donateurs faites à
l’Institut Lula auraient pour créditeurs, ces mêmes piliers du Travaux
publics, pour un montant non confirmé par le procureur. Celui-ci a par
ailleurs contesté l’existence d’une enquête en cours contre la
Présidente Dilma Rousseff qui a regretté « une interpellation
inutile » de Lula et s’est montée le dimanche 6 mars à ses côtés. Elle
est venue le soutenir à son domicile de Sao Bernardo et s’est laissée
photographiée en sa compagnie à la fenêtre de son domicile, saluant des
supporters qui s’étaient rassemblés.
Dilma comme l’appellent les Brésiliens, est elle aussi, dans la
tourmente. Pas seulement parce que la Présidente est reconnue comme la
protégée du fondateur du PT, voire par ses détracteurs comme « la
marionnette de Lula jusqu’aux élections de 2018 où il se présentera ».
L’ancienne révolutionnaire de gauche est torpillée par de nouvelles
accusations alors que le pays traverse une crise économique historique :
la plus grave depuis trente ans ; -3,8% en 2015, entre -3 et – 4%
attendus en 2016, préfigurant selon les l’Oxford Economics, une « lost
decade » (décennie perdue).
Enquête Petrobras : Dilma a-t-elle « fait pression » ?
Pour avoir été Présidente du conseil d’administration de Petrobras
de 2003 à 2010, le nom de la Présidente du Brésil apparait dans
l’enquête Petrobras depuis 2014. En cause la raffinerie de Pasadena
(Etats-Unis) qui a pris feu de manière inexplicable le jour même de
l’interpellation de Lula (4 mars). Son rachat douteux en 2006 met
directement en cause la présidente Dilma. Il s’est opéré avec une
gigantesque surfacturation : la raffinerie a été acquise initialement à
50%, pour 109 millions de dollars à son partenaire belge Astra Oil
Trading qui l’avait acheté, à peine un an plus tôt, 43 millions de
dollars. Ce n’est pas tout. Petrobras a déboursé dans la foulée de ce
contrat, plus de 1.2 milliard de dollars pour son acquisition en raison
d’une étonnante clause stipulant l’intégralité du rachat en cas de
mésentente entre actionnaires, processus opéré par un comité secret,
intitulé non sans ironie, « comité des propriétaires ». « Coupable ou
incompétente, Dilma ne pouvait ignorer les détails de ce rachat »
accusent l’opposition depuis des mois alors qu’elle tente par ailleurs
une procédure d’ « impeachement » (destitution) en raison
d’irrégularités budgétaires.
On sait depuis presque deux ans que le« comité occulte » de Petrobras
était dirigé avec un ancien directeur, Paulo Roberto Costa, déjà
condamné dans une autre affaire de blanchiment de 4,5 milliards avec un
agent de change Alberto Youssef qui a témoigné pour obtenir une remise
de peine. C’est grâce aux déclarations en cascade de ce repenti que
l’enquête pour corruption menée par la police fédérale s’est alors
accélérée. Les enquêteurs ont commencé à éplucher les comptes d’une
myriade de sociétés du BTP et entendus 39 politiciens, députés,
sénateurs, anciens ministres, principalement élus de la majorité (PT,
PMBD,PP). L’enquête aurait désormais dans le collimateur plus d’une
centaine de figures du monde politico-financier. « Petrobras était un
réservoir à pots-de-vin et une plate-forme à fraude qui mène au sommet
du pouvoir » insiste un ancien cadre du pétrolier.
Comme pour l’illustrer, surnommé l’ « allié frondeur » du PT au
Congrès, l’ancien président de l’assemblée Edouardo Cunha (PMDB) qui nie
tout en bloc, n’a pas pu échapper à la justice, malgré toutes ses
tentatives de recours et ses menaces visant la BNDES. Le 3 mars, la Cour
suprême a confirmé l’accusation de corruption et de blanchiment
d’argent à son encontre.
Le 3 mars, un autre coup a été porté à Dilma en raison de nouvelles
révélations qui émaneraient d’un autre repenti, le sénateur Delcidio do
Amaral (PT) poursuivi depuis cet automne. Le magazine d’informations
Istoé lui a consacré sa Une, à l’occasion de la parution en
« exclusivité » d’un florilège de documents accompagnant sa supposée
déposition (que l’intéressé conteste depuis).
Multiples accusations contre Lula et Dilma
Delcidio do Amaral s’est toutefois abstenu de tout commentaire sur
les documents reproduits. L’enquête, publiée sur plusieurs pages et
consultable sur le site du magazine (
www.istoe.com..br
) est nourrie de détails édifiants. Parmi les accusations, l’allégation
que la Présidente Dilma Rousseff était non seulement au courant des
détails du contrat de Pasadena mais qu’elle aurait fait depuis pression,
et ce, à plusieurs reprises, sur le déroulement de l’enquête
Lava-Jato. Selon Istoé, Delcidio aurait par ailleurs clairement désigné
Lula comme pièce centrale du puzzle de ce système de corruption. Il
l’accuserait d’avoir fait pression sur des témoins notamment dans
l’affaire Mensalao (des mensualités) pots-de-vin qui avait aboutie à un
retentissant procès (2012) condamnant l’entourage proche de Lula.
Mensalao, considéré au Brésil comme « le procès du siècle », était
l’aboutissement d’une longue enquête judiciaire entreprise contre le PT
dès 2005, à la suite des révélations du magazine Veja (14 mai 2005).
Aveu de faiblesse pour Lula ?
Le Brésil connait un moment critique, avec dans les rues, un
affrontement à craindre des « pro » et « anti » Lula. A ceux qui
scandent « Povo com Lula » (le Peuple avec Lula) , criant au complot,
voire au « coup d’Etat militaire » ( !) lors de son interpellation, ceux
qui espèrent depuis longtemps la chute de l’icône de la gauche la plus
radicale, répondent sans davantage de nuance « Lula, o cancer do
Brasil ». Le pays en récession est aussi sous tension, avec des
divisions très marquées.
« Lula n’est pas encore totalement impopulaire mais il est à genou.
Il dit qu’il n’a pas peur mais pour la première fois, comme un aveu de
faiblesse, il a sommé ses supporters de manifester pour le soutenir »
estime l’ancien cadre de Petrobras qui parle sans détours de « méthodes
mafieuses ».
L’ancien président devrait être prochainement à nouveau entendu,
vraisemblablement « convoqué le 13 mars » assure une source proche de
l’enquête. «
Le diable se niche dans les détails mais au Brésil,
depuis 2003, c’est la main de Lula qui se faufile partout ; pas vraiment
un signe de la maturité de notre démocratie » jugeait sévèrement un universitaire dès les premières révélations de l’enquête Lava-Jato.
Gare au grondement des « panelaços »
Seule bonne nouvelle, l’affaire Petrobras a fait grimper les ventes
de journaux (« historiques », pour Fohla le 5 mars), signe d’un peuple
loin d’être résigné.
Depuis des mois, les discours télévisés du PT sont inaudibles. Dans
les grandes villes, lors de leur diffusion, le son des bruits de
casseroles (panelaços) résonnent aux abords des fenêtres d’immeubles en
guise de contestation. Et comme pour preuve que le colosse vacillant
appartient bien à la catégorie des « émergents » ultra connectés, à cinq
mois de l’organisation des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro, certains
font alors simplement résonner l’application « panelaço » de leur
portable.