Et Lula sombra…
21 milliards d’euros détournés
Première entreprise brésilienne, le groupe pétrolier semi-étatique est devenu outre le plus endetté (86,5 milliards d’euros), le symbole du clientélisme (fraudes à grande échelle et pots-de-vin). Dans le cadre de l’enquête ouverte en 2014, le préjudice a été évalué par le groupe pétrolier lui-même, à plus de « 88 bilhoes » de réaux (réal brésilien), 88 milliards de réaux, faisant le bonheur des réseaux sociaux dénonçant la corruption au Brésil avec un hachtag #88bilhoes; soit le détournement de plus de 21 milliards d’euros.
L’ancien président Lula serait l’un des « principaux bénéficiaires » du système Petrobras, il a « reçu beaucoup de faveurs d’entreprises corrompues » a indiqué le procureur Carlos Fernando dos Santos Lima. Vendredi 4 mars alors que les hélicoptères de la police fédérale tournoyaient au-dessus des gratte-ciel de Sao Paulo, quelques 200 policiers auraient été mobilisés pour mener simultanément plusieurs perquisitions dans la mégapole : outre au domicile de Lula da Silva, à celui de « Lulinha, » surnom de l’un de ses fils, Fabio Luis Lula ainsi qu’aux sièges de l’Institut Lula, d’une ONG, et de deux entreprises de BTP , Odebrecht et OAS que l’on sait impliquées dans le « scandale Petrobras » depuis l’ouverture de l’enquête (2014) au point d’être surnommées avec trois autres piliers des travaux publics, les « ripoux du pétrole ». Dans trois états, 33 mandats de perquisition et 11 mandats de détentions ont été menés.
7,5 millions d’euros à Lula
A titre personnel, le fondateur du PT qui continue de nier avec véhémence tout acte répréhensible, aurait reçu des entreprises de BTP corrompues plus de 7,5 millions d’euros (plus de 30 millions de réaux) entre 2011 et 2014. Le financement de travaux réalisés dans un triplex dans une station balnéaire et par ailleurs dans le domaine à Atibaia dans l’Etat de sao Paulo est visé par l’enquête.
Les cinq groupes de BTP impliqués dans l’enquête Lava-Jato auraient par ailleurs financés à 47% les conférences facturées par Lula depuis qu’il n’est plus au pouvoir. Enfin, 60% des donateurs faites à l’Institut Lula auraient pour créditeurs, ces mêmes piliers du Travaux publics, pour un montant non confirmé par le procureur. Celui-ci a par ailleurs contesté l’existence d’une enquête en cours contre la Présidente Dilma Rousseff qui a regretté « une interpellation inutile » de Lula et s’est montée le dimanche 6 mars à ses côtés. Elle est venue le soutenir à son domicile de Sao Bernardo et s’est laissée photographiée en sa compagnie à la fenêtre de son domicile, saluant des supporters qui s’étaient rassemblés.
Dilma comme l’appellent les Brésiliens, est elle aussi, dans la tourmente. Pas seulement parce que la Présidente est reconnue comme la protégée du fondateur du PT, voire par ses détracteurs comme « la marionnette de Lula jusqu’aux élections de 2018 où il se présentera ». L’ancienne révolutionnaire de gauche est torpillée par de nouvelles accusations alors que le pays traverse une crise économique historique : la plus grave depuis trente ans ; -3,8% en 2015, entre -3 et – 4% attendus en 2016, préfigurant selon les l’Oxford Economics, une « lost decade » (décennie perdue).
Enquête Petrobras : Dilma a-t-elle « fait pression » ?
Pour avoir été Présidente du conseil d’administration de Petrobras de 2003 à 2010, le nom de la Présidente du Brésil apparait dans l’enquête Petrobras depuis 2014. En cause la raffinerie de Pasadena (Etats-Unis) qui a pris feu de manière inexplicable le jour même de l’interpellation de Lula (4 mars). Son rachat douteux en 2006 met directement en cause la présidente Dilma. Il s’est opéré avec une gigantesque surfacturation : la raffinerie a été acquise initialement à 50%, pour 109 millions de dollars à son partenaire belge Astra Oil Trading qui l’avait acheté, à peine un an plus tôt, 43 millions de dollars. Ce n’est pas tout. Petrobras a déboursé dans la foulée de ce contrat, plus de 1.2 milliard de dollars pour son acquisition en raison d’une étonnante clause stipulant l’intégralité du rachat en cas de mésentente entre actionnaires, processus opéré par un comité secret, intitulé non sans ironie, « comité des propriétaires ». « Coupable ou incompétente, Dilma ne pouvait ignorer les détails de ce rachat » accusent l’opposition depuis des mois alors qu’elle tente par ailleurs une procédure d’ « impeachement » (destitution) en raison d’irrégularités budgétaires.
On sait depuis presque deux ans que le« comité occulte » de Petrobras était dirigé avec un ancien directeur, Paulo Roberto Costa, déjà condamné dans une autre affaire de blanchiment de 4,5 milliards avec un agent de change Alberto Youssef qui a témoigné pour obtenir une remise de peine. C’est grâce aux déclarations en cascade de ce repenti que l’enquête pour corruption menée par la police fédérale s’est alors accélérée. Les enquêteurs ont commencé à éplucher les comptes d’une myriade de sociétés du BTP et entendus 39 politiciens, députés, sénateurs, anciens ministres, principalement élus de la majorité (PT, PMBD,PP). L’enquête aurait désormais dans le collimateur plus d’une centaine de figures du monde politico-financier. « Petrobras était un réservoir à pots-de-vin et une plate-forme à fraude qui mène au sommet du pouvoir » insiste un ancien cadre du pétrolier.
Comme pour l’illustrer, surnommé l’ « allié frondeur » du PT au Congrès, l’ancien président de l’assemblée Edouardo Cunha (PMDB) qui nie tout en bloc, n’a pas pu échapper à la justice, malgré toutes ses tentatives de recours et ses menaces visant la BNDES. Le 3 mars, la Cour suprême a confirmé l’accusation de corruption et de blanchiment d’argent à son encontre.
Le 3 mars, un autre coup a été porté à Dilma en raison de nouvelles révélations qui émaneraient d’un autre repenti, le sénateur Delcidio do Amaral (PT) poursuivi depuis cet automne. Le magazine d’informations Istoé lui a consacré sa Une, à l’occasion de la parution en « exclusivité » d’un florilège de documents accompagnant sa supposée déposition (que l’intéressé conteste depuis).
Multiples accusations contre Lula et Dilma
Delcidio do Amaral s’est toutefois abstenu de tout commentaire sur les documents reproduits. L’enquête, publiée sur plusieurs pages et consultable sur le site du magazine (www.istoe.com..br ) est nourrie de détails édifiants. Parmi les accusations, l’allégation que la Présidente Dilma Rousseff était non seulement au courant des détails du contrat de Pasadena mais qu’elle aurait fait depuis pression, et ce, à plusieurs reprises, sur le déroulement de l’enquête Lava-Jato. Selon Istoé, Delcidio aurait par ailleurs clairement désigné Lula comme pièce centrale du puzzle de ce système de corruption. Il l’accuserait d’avoir fait pression sur des témoins notamment dans l’affaire Mensalao (des mensualités) pots-de-vin qui avait aboutie à un retentissant procès (2012) condamnant l’entourage proche de Lula. Mensalao, considéré au Brésil comme « le procès du siècle », était l’aboutissement d’une longue enquête judiciaire entreprise contre le PT dès 2005, à la suite des révélations du magazine Veja (14 mai 2005).
Aveu de faiblesse pour Lula ?
Le Brésil connait un moment critique, avec dans les rues, un affrontement à craindre des « pro » et « anti » Lula. A ceux qui scandent « Povo com Lula » (le Peuple avec Lula) , criant au complot, voire au « coup d’Etat militaire » ( !) lors de son interpellation, ceux qui espèrent depuis longtemps la chute de l’icône de la gauche la plus radicale, répondent sans davantage de nuance « Lula, o cancer do Brasil ». Le pays en récession est aussi sous tension, avec des divisions très marquées.
« Lula n’est pas encore totalement impopulaire mais il est à genou. Il dit qu’il n’a pas peur mais pour la première fois, comme un aveu de faiblesse, il a sommé ses supporters de manifester pour le soutenir » estime l’ancien cadre de Petrobras qui parle sans détours de « méthodes mafieuses ».
L’ancien président devrait être prochainement à nouveau entendu, vraisemblablement « convoqué le 13 mars » assure une source proche de l’enquête. « Le diable se niche dans les détails mais au Brésil, depuis 2003, c’est la main de Lula qui se faufile partout ; pas vraiment un signe de la maturité de notre démocratie » jugeait sévèrement un universitaire dès les premières révélations de l’enquête Lava-Jato.
Gare au grondement des « panelaços »
Seule bonne nouvelle, l’affaire Petrobras a fait grimper les ventes de journaux (« historiques », pour Fohla le 5 mars), signe d’un peuple loin d’être résigné.
Depuis des mois, les discours télévisés du PT sont inaudibles. Dans les grandes villes, lors de leur diffusion, le son des bruits de casseroles (panelaços) résonnent aux abords des fenêtres d’immeubles en guise de contestation. Et comme pour preuve que le colosse vacillant appartient bien à la catégorie des « émergents » ultra connectés, à cinq mois de l’organisation des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro, certains font alors simplement résonner l’application « panelaço » de leur portable.
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