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quinta-feira, 27 de abril de 2023

Le Capitaine Volkonogov s'est échappé: un filme russe sur la Grande Terreur stalinienne, pas encore sorti em Russie

 

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Le Capitaine Volkonogov s'est échappé : verbatim

Réalisé par Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov, Le Capitaine Volkonogov s'est échappé est un film russe sorti en France le 29 mars 2023. Sa projection au cinéma Le Balzac, le 11 avril, fut l’occasion d’un dialogue organisé par L’Histoire entre Sabine Dullin, professeure à Sciences Po et spécialiste de l’histoire de l’Union soviétique, et Antoine de Baecque, historien et critique du cinéma.

Cette rencontre s’est tenue en l’absence des réalisateurs, vivants en exil au Kazakhstan depuis le début de la guerre en Ukraine.

 

Pourquoi un film sur la Grande Terreur ne peut-il pas sortir en Russie ?

Sabine Dullin : Le film avait obtenu l’autorisation de sortie en août 2021. Toutefois, la guerre en Ukraine a remis en cause sa sortie en salle. Le producteur Evgeni Nikishov a donné un interview en avril 2022 au moment où cela aurait dû avoir lieu pour dire qu'il ne voyait pas de perspective de distribution pour un film de ce genre à l'heure de « l'opération spéciale en Ukraine » et qu'on allait attendre l'automne. Central Partnership le distributeur qui appartient au groupe Gazprom-Média n'a pas donné suite et a annulé la sortie. Mais le film s'est tout de même retrouvé sur l'internet russe et sa diffusion sur des plateformes de streaming semble avoir été faite à l'initiative d'un producteur du film. La censure n'est donc pas complète. Les réalisateurs font un film sur la grande Terreur sans intention de faire des parallèles avec le temps présent. Mais le film les établit de fait. En racontant un passé très douloureux aux Russes qui ne le connaissent plus, le film agit à la manière de l'ONG Mémorial interdite depuis décembre 2021 et qui menait le travail de mémoire sur les crimes du stalinisme. La stigmatisation des « agents de l'étranger » dans la Russie actuelle résonne avec les accusations d'ennemis du peuple et de cinquièmes colonnes de la grande Terreur qu'évoque magistralement le film.

Pourquoi et comment la Grande Terreur (1936-1938) s’est-elle mise en place ?

Sabine Dullin : Dans la société stalinienne, on entend forger l'homme nouveau et la femme nouvelle. L'épuration des éléments socialement nuisibles, politiquement suspects, des contre-révolutionnaires, des saboteurs, des traîtres est une entreprise de longue haleine, une ingénierie sociale. Elle a commencé au début des années 1930 avec la dékoulakisation lors de la collectivisation des campagnes. L'assassinat de Sergueï Kirov, un proche de Staline en décembre 1934, provoque le début d'une épuration massive du Parti communiste. Les menaces extérieures font qu'on déporte des nations jugées non fiables aux frontières comme les Polonais ou les Coréens. Mais avant l'ouverture des archives, on ne connaissait pas grande chose de cette Grande Terreur. Robert Conquest aux Etats-Unis la décrivait comme l'épuration des anciens compagnons de Lénine et de tous les cadres de l'Etat-Parti. Une Grande Terreur contre les élites dont les procès de Moscou et les aveux des vieux bolcheviks reconnaissant des crimes insensés sont l'épisode le plus connu. Mais, ce n’était que la partie émergée de l’iceberg. 10 % des victimes. Au début des années 1990, les historiens de Mémorial ont découvert dans les archives les opérations secrètes de 1937-1938 lancées par Staline et Nikolaï Iejov le chef de la police politique. Ces opérations de la Grande Terreur ciblaient des catégories sociales entières, des minorités nationales entières. 90 % des victimes. Durant ces deux années de Terreur, 750 000 personnes sont exécutées, et 1,5 million de personnes arrêtées.

Pour arriver à ces chiffres énormes, la logique a été celle des quotas par régions et par républiques définis par les chefs du NKVD et souvent dépassés. On sollicite les fichiers multiples de police, on élabore des listes de suspects, on constitue des dossiers, les juridictions d'exception appelées troïka formées du chef du Parti, du chef du NKVD et du procureur condamnent à tour de bras. Comme l'explique son supérieur à Volkonogov, l'URSS est « un Etat de droit » et tout doit se faire dans les règles. Dans le palais où travaillent les tchékistes de Leningrad, la torture est ainsi un appendice du travail bureaucratique. Il faut bien une signature des aveux dans le dossier d'instruction pour que l'exécution ne soit entachée d'aucune irrégularité ! Mais comme il faut faire du chiffre, il faut aussi torturer de manière à boucler un cas le plus vite possible avant de passer au suivant.

Dans le film, on exécute ceux qui ont mené la Grande Purge pendant 2 ans. C’est l’histoire de la fin de la Grande Terreur.

Sabine Dullin : C'est à l'automne 1938, le moment où les bourreaux deviennent victimes. Staline arrête la machine de l'épuration, met en cause les méthodes spéciales employés et s'en prend à Nikolaï Iejov, le chef de la police politique, qui est arrêté et condamné. A l'époque, la police politique s'appelle le NKVD mais on continue à appeler ses membres les tchékistes du nom de la Tchéka née avec la révolution russe. La chute de Iejov entraîne celle de ses collaborateurs dans les Républiques et les régions, ceux même qui ont mené les opérations de la grande Terreur. Le chef de Volkonogov, le major Gvozdev se suicide pour échapper à l'arrestation comme le vrai Mikhaïl Litvin, chef du NKVD de Leningrad, connu pour avoir pratiqué largement la torture. Le rouge sang de la cerise ou du cassis évoqué comme jus préféré par Veretennikov, l'ami du capitaine, rappelle une blague qui circulait sur le goût des bais de Litvin. La purge de toute la brigade de Volkonogov démarre. C'est la raison de sa fuite.

C’est vraiment un film sur cette sorte de communauté de tchékistes, on ne voit pas de haute hiérarchie. Mais on la sent, on sent que les ordres arrivent d’en haut.

Sabine Dullin : Le film ne montre pas la chaîne de commandement descendante depuis Moscou et le bureau de Staline. Il montre les exécutants de la Grande Terreur à la direction régionale du NKVD de Leningrad. Les purges à Leningrad ont été particulièrement violentes et massives. La ville était aux yeux de Moscou suspecte. Sergueï Kirov y avait été assassiné. L'intelligentsia y était nombreuse. L'opposition à Staline plus forte. C'était une ville située à 30 km de la frontière de la Finlande, proche des ennemis. Dans le film, on y aperçoit sur un mur de brique la reproduction street art d'un tableau de Malevitch : La charge de la cavalerie rouge. Un rappel de l'avant-garde artistique. L'ancienne Petrograd était la capitale de la révolution. Plutôt que des drapeaux dans les rues, cet héritage révolutionnaire à la fois piétiné et récupéré par Staline éclate dans le rouge flamboyant des joggings des tchékistes...

Comment cette année 1938 s’inscrit-elle dans le contexte international ?

Sabine Dullin : L'Union soviétique est alors sous la menace des Japonais à l'Est qui sont en Mandchourie et en Chine. A l'Ouest, les États hostiles du Sud au Nord de la Roumanie, de la Pologne, des Pays Baltes, de la Finlande sont perçus comme une place d'armes possible pour l'Allemagne nazie qui vient de signer un pacte anti-Komintern, donc anti-communiste avec le Japon et l'Italie. La guerre entre le fascisme et l'antifascisme a déjà commencé à l'autre bout du continent, en Espagne où s'opposent depuis 1936 les Républicains et les franquistes. Staline est à ce moment-là dans le camp antifasciste (cela changera avec le pacte germano-soviétique en août 1939). Il aide à sa manière les Républicains espagnols mais en essayant de noyauter leurs rangs et d'en éliminer anarchistes et surtout trotskistes. Le terme de « cinquième colonne » vient de la guerre civile espagnole. Il s'agit des traîtres infiltrés dans son propre camp et au service de l'adversaire. Staline en fait un usage immédiat en URSS en faisant pourchasser les ennemis intérieurs reliés aux ennemis extérieurs. Le vocable « hitléro-trotskistes » inventé à ce moment-là en dit long sur les amalgames forgés au nom de la cinquième colonne. L'enfant à qui Volkonogov demande le pardon et qui lui répond qu'il ne l'aura jamais a eu son père engagé dans la guerre d'Espagne torturé par les franquistes avant de l'être par les tchékistes, au préalable de son exécution. On peut trouver bizarre qu'un régime qui se sent en danger de guerre en vienne à purger y compris les officiers de l'Armée rouge et tout son État-Major. Mais pour Staline, la vraie garantie de sécurité n'est pas la compétence d'un général comme Toukhachevsky ancien officier de l'armée tsariste rallié à l'Armée rouge, mais la loyauté et le dévouement des jeunes comme Joukov qui lui doivent tout.

Que penser de ce film en historienne ?

Sabine Dullin : Le film témoigne d'une très bonne connaissance des pratiques de la Grande Terreur et du discours qui les entourent. On voit la matérialité des dossiers. Les tchékistes travaillent les biographies de ceux dont ils doivent obtenir les aveux. On voit les interrogatoires : des scènes de violences et d'humiliation. Puis le bourreau à l'œuvre dans une cour pour des exécutions à la chaîne d'une balle dans la tête. Le moteur en marche d'une machine doit recouvrir le bruit des coups de feu car on est en pleine ville.

Les explications données à Volkonogov par Gvozdev, alias Litvin, disent parfaitement l'idéologie de la Terreur stalinienne qui n'a pas besoin de faits ni d'intentions. Les fusillés sont non coupables mais pourraient l'être et cela suffit à leur extorquer les aveux et à les exécuter, La profession (médecin) suffit ainsi à ce qu'on vous condamne pour empoisonnement comme ennemi du peuple contre-révolutionnaire selon l'article 58 du code pénal. Une tache dans la biographie suffit : avoir été paysan riche, avoir des parents à l'étranger, être polonais ou allemand, avoir eu des opposants dans la famille...

La force du film est cependant dans la transgression de ce régime de Terreur par un individu, le capitaine joué par Yuri Borisov. Cela met le système terroriste encore mieux en relief. Acte transgressif face au secret : Volkonogov sort son agenturnoe delo (dossier) ultra-confidentiel du bâtiment du NKVD. Il va montrer aux parents de ses victimes leur acte de décès. Celui-ci n'était jamais montré à la famille. La fille porte ainsi des colis à son père médecin sans savoir qu'il est mort. L'incarcération sans droit de correspondance permettait de camoufler l'exécution. Au moment de la déstalinisation de Khrouchtchev et des premières réhabilitations, l'État a parfois fabriqué des faux certificats avec une soit-disant mort de maladie ou d'accident après des années d'incarcération. Cela permettait à une veuve de toucher enfin une pension parce que son mari était décédé mais cela ne disait rien de la vérité de sa mort. Il faut attendre l'ouverture des archives dans les années 1990 pour que les historiens de Memorial effectuent le travail immense de redonner la vraie date et le lieu de décès aux familles, qui n'en savaient rien depuis des décennies. La volonté de se faire pardonner est aussi une transgression et aucun des interlocuteurs de Volkonogov n'y croit ou ne veut y croire dans une société où le mensonge et le parler faux est omniprésent et où bien souvent on a renié son fils ou sa femme pour survivre.

Un autre imaginaire est aussi présent, celui de l’athlète.

Sabine Dullin : Le film commence par une scène incroyable, une partie de volley au milieu des lustres de l'ancien palais et cela fait ressortir la carrure athlétique des tchékistes. Le jogging rouge vif qui est leur uniforme dans le film est une idée superbe. Tous les autres, les gens ordinaires, les victimes, sont vêtus de vestes matelassés ternes, couleur vert de gris. Les survêtements rouges donnent l'esthétique du surhomme communiste au-dessus des masses. Volkonogov habite pourtant comme les autres dans un appartement communautaire et prend le tramway pour aller au travail. Mais il est à part. Dans la cuisine collective comme dans le tramway, il domine. Même les femmes avec qui ils ont des rapports sexuels savent qu'ils sont d'un autre monde. Le culte du corps de l’athlète soviétique renvoie à la jeunesse, à la puissance virile, à l'homme nouveau. La statuaire réaliste socialiste célèbre ce corps athlétique.

Il y a un autre imaginaire présent, celui de la rédemption. Le camarade du capitaine Volkonogov, joué par le remarquable acteur de théâtre Nikita Kukushkin, est celui qui réoriente le scénario. Torturé et exécuté, il vient hanter le capitaine en fuite, lui intimer la nécessité de se racheter. Évidemment, on pense à l'univers de Dostoïevski, à Crime et Châtiment. L'avant-dernière scène du film, celle du rachat, a l'esthétique d’une piéta inversée, lorsque Volkonogov tient dans ses bras une femme mourante qui lui pardonne.

Est-ce qu’il existe un corpus du cinéma de la Grande Terreur ?

Sabine Dullin : Les films sur la Grande Terreur ne sont pas très nombreux en Russie. On préfère montrer les dernières années de Staline. Ceux qui existent portent habituellement sur les victimes comme Soleil trompeur (Nikita Mikhalkov, 1994). Le film est ici centré sur les bourreaux. En cela, il accompagne l'évolution de l'historiographie russe et occidentale de l'étude des victimes vers celle des « perpetrators », comme cela avait été le cas mais plus tôt dans l'historiographie sur la Shoah.

Le film joue beaucoup sur le rouge, et sur son inventivité graphique.

Sabine Dullin : La volonté de toucher un public plus jeune est très importante chez les réalisateurs. Leningrad filmé ici comme une ville d'arrière-cours miteuses et de palais décatis, les hommes en rouge qui sont les héros de l'histoire, tout ceci donne une tonalité dystopique, l'atmosphère d'un conte ou d'un cauchemar. Certains visuels font penser à Tarkovski. Le film navigue dans les grands genres du cinéma, de l'esthétique réaliste socialiste à la Tchapaïev (film des Vassiliev de 1934, un des plus célèbres de l’entre-deux-guerres), jusqu'à Stalker (Tarkovski, 1981). On peut aussi noter les influences américaines, comme celle du film d’horreur de Cronenberg, ou les scènes de torture à la Tarantino.

Ce thriller est très rythmé, avec une double quête : Volkonogov cherche les parents de ses victimes pour obtenir leur rachat, le nouveau major qui remplace celui qui s'est suicidé chasse le fuyard. L’esthétique n'a rien de classique. On n'y voit pas les grandes affiches de propagande, les portraits de Staline qui ornaient les rues et les bureaux. On y voit un dirigeable et surtout du rouge.

Propos recueillis par Charlotte Pangrazzi.


A lire : « La fuite de Volkonogov », Antoine de Baecque, L’Histoire n°506, avril 2023.


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