CE QUE VEULENT LES GRANDES PUISSANCES
LA QUÊTE DE STATUT DE LA CHINE ET L’AVENIR DE L’ORDRE INTERNATIONAL
Dr Élie Baranets
Chercheur Sécurité internationale à l’IRSEM
https://www.irsem.fr/media/5-publications/etudes/etude-irsem-114-baranets-grandes-puissances.pdf
PRÉSENTATION DE L’IRSEM
Créé en 2009, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) est l’organisme de recherche stratégique du ministère des Armées. Composé d’une cinquantaine de personnes, civiles et militaires, dont la plupart sont titulaires d’un doctorat, il est le principal centre de recherche en études sur la guerre (War Studies) dans le monde francophone. En plus de conduire de la recherche interne (au profit du ministère) et externe (à destination de la communauté scientifique) sur les questions de défense et de sécurité, l’IRSEM apporte un soutien aux jeunes chercheurs (la « relève stratégique ») et contribue à l’enseignement militaire supérieur et au débat public. L’équipe de recherche est répartie en six domaines :
• Le domaine Europe, Espace transatlantique et Russie analyse les évolutions stratégiques et géopolitiques en Amérique du Nord, en Europe, en Russie et dans l’espace eurasiatique qui comprend l’Europe orientale (Moldavie, Ukraine, Biélorussie), le Caucase du Sud (Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan) et les cinq pays d’Asie centrale. Il s’intéresse plus particulièrement à la compétition de puissances dans cette zone, aux évolutions du rôle de l’OTAN, à la sécurité maritime et aux stratégies d’influence.
• Le domaine Afrique – Asie – Moyen-Orient analyse les évolutions stratégiques et géopolitiques en Afrique, Asie et Moyen-Orient, autour des axes transversaux suivants : autoritarisme politique et libéralisation économique dans les pays émergents ; rôle et place des armées et des appareils de sécurité dans le fonctionnement des États et des sociétés ; enjeux stratégiques et de sécurité régionale ; idéologies, nationalismes et recomposition des équilibres interétatiques régionaux.
• Le domaine Armement et économie de défense s’intéresse aux questions économiques liées à la défense et, plus largement, a vocation à traiter des questions stratégiques résultant des développements technologiques, des problématiques d’accès aux ressources naturelles et de celles liées aux enjeux environnementaux. Les travaux de recherche du domaine s’appuient sur une approche pluridisciplinaire, à la fois qualitative et quantitative, qui mobilise des champs scientifiques variés : économie de défense, histoire des technologies, géographie.
• Le domaine Défense et société est à l’interface des problématiques spécifiques au monde militaire et des évolutions sociétales auxquelles celui-ci est confronté. Les dimensions privilégiées sont les suivantes : lien entre la société civile et les armées, sociologie du personnel militaire, intégration des femmes dans les conflits armés, relations entre pouvoir politique et institution militaire, renouvellement des formes d’engagement, socialisation et intégration de la jeunesse, montée des radicalités. Outre ses activités de recherche, le domaine Défense et société entend aussi promouvoir les questions de défense au sein de la société civile, auprès de l’ensemble de ses acteurs, y compris dans le champ académique.
• Le domaine Stratégies, normes et doctrines a pour objet l’étude des conflits armés contemporains, en particulier sous leurs aspects politiques, militaires, juridiques et philosophiques. Les axes de recherche développés dans les productions et événements réalisés portent sur le droit international, en particulier sous l’angle des enjeux technologiques (cyber, intelligence artificielle, robotique), les doctrines de dissuasion, la maîtrise des armements avec la lutte contre la prolifération et le désarmement nucléaires. Les transformations des relations internationales et leurs enjeux de puissance et de sécurité ainsi que la philosophie de la guerre et de la paix font également partie du champ d’étude.
• Le domaine Renseignement, anticipation et stratégies d’influence mène des recherches portant sur la fonction stratégique « connaissance et anticipation » mise en avant par le Livre blanc de la défense depuis 2008. Ce programme a donc d’abord pour ambition de contribuer à une compréhension plus fine du renseignement entendu dans son acception la plus large (c’est-à-dire à la fois comme information, processus, activité et organisation) ; il aspire ensuite à concourir à la consolidation des démarches analytiques, notamment dans le champ de l’anticipation ; enfin, il travaille sur les différentes dimensions de la guerre dite « hybride », en particulier les manipulations de l’information. Le domaine contribue du reste au renforcement du caractère hybride de l’IRSEM en diffusant des notes se situant à l’intersection de la recherche académique et de l’analyse de renseignement en sources ouvertes.
BIOGRAPHIE
Élie Baranets est docteur en science politique de l’Université de Bordeaux. Il est l’auteur de nombreux articles en Relations internationales et études stratégiques. Il a publié Comment perdre une guerre. Une théorie du contournement démocratique (CNRS Éditions, 2017) et Théories des relations internationales (Presses de Sciences Po, 2019, avec Dario Battistella et Jérémie Cornut). Chercheur Sécurité internationale à l’IRSEM depuis 2019, il est qualifié aux fonctions de maître de conférences en science politique. Ses recherches portent actuellement sur les causes des conflits armés, sur le lien entre le régime politique et la guerre et plus précisément sur l’impact stratégique des discours politiques. Il enseigne les Relations internationales et la politique étrangère des ÉtatsUnis dans plusieurs établissements, dont Sciences Po Paris.
SOMMAIRE
RÉSUMÉ...11
INTRODUCTION....13
I. UNE COURSE À LA PUISSANCE ? ......15
L’approche incontournable de l’équilibre des puissances ..15
Perceptions et pratiques ....15
Une notion controversée........19
La conception tragique de la compétition entre grandes puissances ....24
Les contours généraux d’une théorie élégante ....24
Les limites d’une approche engagée........29
II. UNE COURSE AU PRESTIGE ?......35
Le statut comme enjeu structurant de la rivalité entre grandes puissances ....35
Une fin en soi.......35
Un impact à déterminer ......41
L’écart entre la puissance et le statut comme source d’antagonismes ....50
III. QUELLES CONSÉQUENCES POUR L’AVENIR DE L’ORDRE INTERNATIONAL ?..55
Les degrés classiques de changements envisageables...55
Un système international adaptable ? ......59
CONCLUSION ....67
RÉSUMÉ
Course à la puissance, à la sécurité, à la technologie, ou encore aux retombées économiques, la rivalité sino-américaine est généralement décrite comme une compétition qui englobe tous les domaines. Ces différentes dimensions ne dévoilent néanmoins jamais autant leur intérêt que lorsqu’elles sont analysées à travers la course au statut à laquelle elles participent. Traditionnellement mise en avant pour expliquer les relations entre la Chine et les États-Unis, la notion d’équilibre des puissances souffre à la fois d’une ambiguïté récurrente et d’une capacité explicative limitée, notamment dans sa version la plus visible, incarnée aujourd’hui par le réalisme offensif de John Mearsheimer. Pour comprendre comment les logiques de croissance économique, de puissance, et de prestige sont connectées et se répercutent sur l’ordre international, l’étude propose plutôt de puiser dans les travaux de Robert Gilpin. Les conclusions de la littérature récente en Relations internationales permettent ensuite d’identifier les sources d’antagonismes liées au statut. Il ne semble pas que le renversement de l’ordre international en place soit la priorité de la Chine. Cela pourrait le devenir si elle ne se voit pas conférer le statut qu’elle pense mériter. L’étude examine les différents scénarios envisageables et leurs modalités.
INTRODUCTION
La place centrale qu’occupe la rivalité États-Unis/Chine, dans les chancelleries, les cercles savants ou les préoccupations du grand public, ne tient pas uniquement à l’ampleur des capacités destructrices des deux plus grandes puissances du système international contemporain. Elle s’explique aussi par son caractère quasi universellement observable. Que ce soit dans les grandes décisions de politique étrangère, dans les interactions économiques d’un grand nombre d’agents, dans les innovations technologiques réalisées, dans la nature des investissements consentis tout autour du monde en termes de développement économique ou d’infrastructures, partout on peut en voir les empreintes. La rivalité sino-américaine influence également les politiques environnementales, sanitaires, sportives, sans compter qu’elle comporte une dimension non matérielle au sein de l’espace public. On en déduit volontiers que la compétition sino-américaine est une course intégrale : une course à la puissance, à la richesse, à la technologie ou encore aux symboles. Or, une telle conclusion réduit artificiellement l’écart d’importance qui existe entre ces différentes sphères. En outre, affirmer que cette rivalité est alimentée par des moteurs aussi nombreux que variés en brouille la compréhension. Elle empêche l’élaboration d’une grille de lecture parcimonieuse et cohérente, seule susceptible de discerner clairement les causes à l’œuvre et de les distinguer de leurs moyens, de leurs effets, ainsi que d’éventuelles fausses pistes. Plutôt que de proposer une analyse des spécificités internes des États-Unis et de la Chine, cette étude présente les traits relatifs à la rivalité entre grandes puissances en général qu’elle applique à la compétition à laquelle se livrent Washington et Pékin, dans le but de mieux en cerner les enjeux et les possibilités de développement. Ce faisant, l’étude se focalise davantage sur les aspirations de la puissance émergente, en l’occurrence la Chine. D’une part, elles sont davantage source de controverses que celles des États-Unis ; d’autre part, de leur identification est censée dépendre la posture américaine. L’étude repose en grande partie sur une opposition entre la compétition pour la puissance, d’une part, et la quête de prestige et de statut, d’autre part. Il n’existe pas de consensus quant à la définition de la puissance. Néanmoins, lorsqu’elle est appliquée à la rivalité sino-américaine, l’hypothèse de compétition de puissance renvoie généralement à une course de chaque acteur pour se doter des atouts qui lui permettront de dominer l’autre matériellement. Le statut, quant à lui, renvoie à la place qu’occupe un acteur (ici un État) au sein d’une hiérarchie symbolique (ici internationale). Le prestige en est quasiment le synonyme, à la différence près qu’il constitue la ressource qui permet à l’acteur en question de se placer sur cette échelle sociale. Cette étude tente de démontrer que la rivalité entre les États-Unis et la Chine gagne à être perçue comme une course au statut et au prestige plutôt que comme une course à la puissance. Prendre du recul sur la situation stratégique contribue à mieux identifier les motivations des acteurs internationaux majeurs, à commencer par celles des grandes puissances. Les opportunités qui s’offrent à ces États, les contraintes auxquelles ils doivent faire face, ainsi que les réactions possibles de la part des autres acteurs sont des questionnements qui nourrissent les discussions au sein de la discipline des Relations internationales1 . En puisant dans ce champ, cette étude se propose de restituer plusieurs conclusions qui peuvent aider à penser de manière claire et cohérente la rivalité entre la Chine et les États-Unis sans la réduire aux spécificités géographiques, culturelles et politiques des deux pays.
Note 1: Il est d’usage d’utiliser l’expression « relations internationales » sans majuscule pour parler du domaine d’interactions entre acteurs variés à l’échelle mondiale, et « Relations internationales » avec une majuscule pour parler de la discipline universitaire qui étudie ce domaine.
Lire pour entier:
https://www.irsem.fr/media/5-publications/etudes/etude-irsem-114-baranets-grandes-puissances.pdf
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