Ricardo Seitenfus
LES RELATIONS INTERNATIONALES : Une Vision du Sud
Préface : Alain Rouquié
Traduction du portugais brésilien par Pascal Reuillard
2024
Note à l’édition française
Cet ouvrage vise avant tout à établir les bases d’une théorie des relations internationales à partir de la perspective des payset des sociétés en développement. Sans négliger la présentation de l’ensemble de la discipline des relationsinternationales, la structure du livre et sa méthodologie proposent un nouveau regard sur le monde en lien avec lalocalisation géographique de l’auteur.
Le grand nombre de tableaux, graphiques et tableaux synoptiques de cette édition répond à un objectif initial : fournir aulecteur des outils destinés à comprendre une situation généralement très confuse. L’ouvrage va en quelque sorte àcontrecourant de l’historiographie des relations internationales dans le sens où il ne cherche pas à convaincre. Ils’efforce de présenter une grille analytique cohérente tout en laissant le lecteur tracer librement son propre chemin.
Préface
Les relations internationales relevaient naguère de la compétence exclusive de spécialistes, théoriciens ouphilosophes, et des diplomates. Aujourd’hui, l’international est inséparable de toutes les questions qui affectent la vie des sociétés et des individus. Dans notre monde fini et interdépendant, on chercherait en vain ce qui leur échappe. Mais unetelle extension du champ ne facilite guère sa compréhension et nous avons plus que jamais besoin d’un savoirinternational pertinent pour nous orienter dans un monde qui a perdu ses repères. La chute du communisme a mis fin àl’affrontement est-ouest et à l’équilibre de la terreur qui assurait une bipolarité stable et fournissait une grille d’interprétationsimple. Avec la disparition de l’empire soviétique, le système international a retrouvé une nouvelle et inquiétante fluidité: les États se sont multipliés ainsi que les conflits locaux.
« Renversement » ou « bouleversement » du monde[1]: ainsi a-t-on caractérisé l’époque post-guerre froide,incertaine, imprévisible. Par ailleurs, les attentats terroristes du 11 septembre ont enterré les espoirs d’un monde pacifiéou l’illusion d’une fin de l’histoire. Le nouvel ordre international, plus juste et plus stable, souvent annoncé, n’a pas vule jour durant les dix années qui séparent la chute du Mur de la chute des Twin Towers. Nous sommes confrontés à denouvelles menaces, dans un monde plus dangereux et plus difficile aussi à déchiffrer et à comprendre. C’est pourquoi celivre du professeur Ricardo Seitenfus est particulièrement bienvenu et utile. Le professeur Ricardo Seitenfus,spécialiste reconnu de la discipline, nous propose une actualisation approfondie de la problématique des Relationsinternationales. Il nous livre des clés pour rendre intelligible « le spectacle du monde ». Il le fait dans un langage simple,accessible, « démocratique » en un mot qui reflète sa maîtrise du sujet. Il délimite ainsi avec une exigeante rigueurméthodologique un domaine qui se laisse de moins en moins facilement circonscrire.
Un fil conducteur court tout au long des trois parties de cet ouvrage stimulant : la question du rôle de l’État-nation, problème crucial aujourd’hui. Les relations internationales ne peuvent plus en effet se réduire à la politiqueétrangère des États. Le monde est devenu moins « interétatique ». Au point que certains auteurs annoncent même « la findes territoires »,[2] le pouvoir à l’ère des réseaux et des « global networks »[3] devenant indépendant d’un espacenational.
Ricardo Seitenfus, quant à lui, recense la multiplicité des acteurs internationaux et en fait une typologieintelligible. Le système international est en effet constitué d’« unités actives » (selon la définition de Thierry deMontbrial)[4] dont la puissance ne découle pas du pouvoir d’État. La globalisation financière et la mondialisationéconomique posent de grandes questions qui semblent bien dépasser les États-nations. À l’heure des « biens publicsmondiaux », le modèle étatique post-westphalien, fondé sur la souveraineté absolue et l’individualisme international, est-il devenu caduc, ou simplement inopérant ? Ricardo Seitenfus, loin de trancher, nous donne les élémentsd’information et de réflexion indispensables pour restituer le rôle des États et évaluer leur pérennité.
L’« économie monde » n’est pas d’hier, mais les entreprises par leurs dimensions sont devenues des acteurssinon légitimes du moins agissant sur la scène internationale. Bien des compagnies transnationales ont un chiffred’affaires supérieur au PIB de certains pays. Et il n’est pas toujours aisé de définir leur nationalité. Fusions-acquisitions,alliances internationales et délocalisations productives contribuent à éroder l’identité et l’appartenance des grandescorporations. Par ailleurs, la relation entre États et entreprises est en pleine mutation. Les clauses commerciales du typeAMI placent les entreprises au-dessus des États qui sont réduits au rôle de « simples justiciables » en cas de conflit.
Les États ne contrôlent plus les marchés, ce sont les marchés qui les évaluent, les influencent et façonnentleur politique à travers des mouvements spéculatifs instantanés ou les agences de notation, exemple emblématique denouvel acteur international, justement analysé par le professeur Seitenfus. Les « météorologues financiers » en appréciant «le risque souverain » jouissent d’un énorme pouvoir sans commune mesure, sans doute, avec leur capacité d’analyse etde prospective. La prophétie autoréalisatrice n’est pas simplement une dérive regrettable de leur activité.
On ne peut répertorier tout ce qui échappe désormais au contrôle des États. La société de communicationse joue des frontières et des douaniers. Les gouvernements n’ont guère de moyens de contraindre ou de limiter les flux del’Internet. Il est vrai qu’au-delà de ces phénomènes technologiques-économiques, l’État-nation n’est plus ce qu’il était. Il atendance à se transformer en perdant de sa substance aux deux extrêmes : au niveau régional comme à l’échelonsupranational. Ce dernier se constitue même en une nouvelle dimension des relations internationales.
Ainsi, un nouveau droit apparaît au-delà des frontières, la justice, droit régalien s’il en est, n’est plus unmonopole national. La création d’un Tribunal pénal international est la traduction institutionnelle d’une évolutionjuridique plaçant au centre de la société internationale le respect des droits de l’Homme et le caractère imprescriptibledes crimes contre l’Humanité. Le droit d’ingérence humanitaire a cessé d’être l’objet des discours moraux des ONG pourentrer dans la pratique diplomatique et militaire avec ou sans autorisation du Conseil de Sécurité des Nations unies (cf. leKosovo, mais aussi la Sierra Leone, la RDC, etc.…).
Les processus d’intégration économique et politique régionale donnent naissance à des entités sans précédentpuisque ce ne sont ni des États fédéraux ni des empires. L’Union européenne n’est pas un super-État, ni les États unis d’Europe, mais plutôt un OPNI (Objet Politique Non Identifié) selon la boutade de Jacques Delors, ancien Président de laCommission européenne, à la rigueur une
« Fédération d’États-nations », née d’une « coopération volontaire en vue d’une finalité supérieure aux intérêtsnationaux ». La limitation de souveraineté et son transfert à une entité collective sont à la source de la constructioneuropéenne : certains États membres, dont les six (6) fondateurs, ont poussé la logique jusqu’à abdiquer leur prérogativesuprême, celle de battre monnaie en se donnant une monnaie unique, l’Euro. Il est à remarquer que la réalisation d’une «union toujours plus étroite » est plus avancée dans le domaine économique que dans celui de la politique étrangère et dedéfense commune. Comme le signalait Pascal Lamy, le premier relève de « l’avoir », le second de « l’être » : c’est- à-direimpliquant la vie et la mort, où la référence à la cellule originelle nationale est réfractaire à la tentation fédéraliste.
L’originalité de l’aventure européenne déroute parfois les observateurs et favorise une certaineincompréhension face notamment au pluralisme au sein de l’Union. La diversité des stratégies extérieures, de mêmeque les divisions sur les grands sujets internationaux, ne doivent pas être appréciées à l’aune du modèle étatique. Ainsiles plus prestigieux analystes, notamment s’ils penchent pour la realpolitik, privilégient cette approche telle
H. Kissinger demandant le « numéro de téléphone de l’Europe ». La grille étatique à elle seule, il est vrai,n’a jamais permis d’appréhender l’ensemble des acteurs internationaux. Le fameux mot « le Vatican, combien dedivisions » prouve assez les limites de cette approche. Justement, le professeur Seitenfus montre bien le rôleinternational des églises et de l’Église « catholique, apostolique et romaine » : le Vatican est certes un État (de 44 ha et1 500 habitants), mais au-delà il est le centre d’un réseau « universel » (« œcuménique ») d’influence spirituelle,éducative et sociale, et il s’est situé pourrait-on dire depuis des siècles à l’avant- garde de la mondialisation.
L’exemple de l’Église suffit à montrer que la nouveauté post- étatique peut être aussi fort ancienne. Ledépassement de l’État ne signifie pas pour autant sa disparition à terme, puisqu’au contraire, depuis 1990 les États sesont multipliés, pour ne rien dire des semi-États non reconnus, ou des dissidences pseudo- étatiques. L’aspiration àl’État-nation ne se dément pas d’ailleurs depuis les débuts de la décolonisation et s’est accrue avec la chute de l’empiresoviétique. On peut se demander même si l’on n’assiste pas à un retour en force du paradigme étatique dans unmonde que la puissance hégémonique veut maintenir unipolaire au détriment du multilatéralisme. L’hyperterrorisme d’Al-Qaeda a toutes les apparences de l’extraterritorialité, c’est pourtant à l’Afghanistan, État failli, mais État-nation quand même, qu’après le 11 septembre s’est attaquée à la coalition antiterroriste menée par les États-Unis. De même,l’intervention anglo-américaine en Irak a été justifiée entre autres, au-delà des introuvables armes de destructionmassive, par la lutte contre le terrorisme international. Derrière cette conception stratégique se trouve une doctrinecentrée sur la suprématie de l’intérêt national au service de la sécurité d’un seul pays. L’utilisation de la force à titre préventif et hors du cadre multilatéral légitime implique une véritable régression de l’ordre international. L’exaltationbismarckienne de la nation allant de pair avec l’ébranlement des institutions multilatérales (ONU, OTAN). Le mondeest donc à la croisée des chemins, il a le choix entre un consensus normatif patiemment élaboré depuis un demi-siècle: la primauté du droit international, la sécurité collective, une culture supranationale de dépassement de la politique de puissance ou bien le « vertige de l’inconnu » dont la crise irakienne nous donne un avant-goût amer. L’étude des relationsinternationales est plus que jamais une priorité.
Alain ROUQUIÉ
Diplomate et Professeur de Science politique, auteur de
« Amérique latine : Introduction à l’Extrême Occident », entre autres publications. Il a été Ambassadeur de Franceau Mexique et au Brésil.
[1] Voir BADIE, Bertrand et SMOUTS, Marie Claude. Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale. Paris, Presse de la FNSPet Dalloz, 1992.
[2] BADIE, Bertrand. La fin des territoires : essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect. Paris, Fayard, 1995.
[3] Voir BRESSAND, Albert et DISTLER, Catherine. La planète relationnelle. Paris, Flammarion, 1995.
[4] MONTBRIAL, Thierry de. L’action et le système du monde. Paris, PUF, 2002.
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Tableaux & Figures
Tableau 1. Synopsis des théories des relations internationales 35
Tableau 2. La dualité conceptuelle des relations internationales . . . 38
Tableau 3. Les relations internationales sous l’égide européenne . . . 64
Tableau 4. Chronologie de la colonisation 71
Tableau 5. Principes orienteurs du MNA pour les relations internationales 93
Tableau 6. Conférence du Mouvement des non-alignés............ 94
Tableau 7. Caractéristiques du système bipolaire.................... 105
Tableau 8. Conditions internes de la politique étrangère......... 145
Tableau 9. Classification des décisions en politique étrangère 153
Tableau 10. Instruments de la politique étrangère................... 156
Tableau 11. Valeur des dix plus grandes entreprises du monde (2020 — en milliards de dollars $ US) 183
Tableau 12. Classification et sens du risque souverain............ 190
Tableau 13. Les filiales des églises brésiliennes à l’étranger... 203
Tableau 14. Les dix économies les plus importantes
du commerce international........................................................ 245
Tableau 15. Coût comparatif de l’heure de travail dans l’industrie 250
Tableau 16. La mondialisation excluante................................ 253
Tableau 17. Population mondiale 1750-2050 (en millions)... 254
Tableau 18. Projection de la distribution humaine par région 254
Tableau 19. Théorie des avantages comparatifs (David Ricardo) 258
Tableau 20. Typologie des processus d’intégration.................. 267
Tableau 21. Les principaux exportateurs de produits agricoles (2019, en milliards de US $) 290
Tableau 22. La démocratisation mondiale (1922-2018)........ 293
Figures
Figure 1. La marche de l’humanité........................................... 55
Figure 2. MNA — Nombre d’États membres........................... 94
Figure 3. Structure du Mouvement des non-alignés.................. 96
Figure 4. Les trois niveaux d’action........................................ 137
Figure 5. La poupée russe de l’intégration économique........... 268
Table des matières
Note à l’édition française........................................................ 9
Préface.................................................................................... 11
Sigles et abréviations............................................................. 17
Tableaux & Figures............................................................... 19
Introduction............................................................................. 21
PARTIE 1
Les caractéristiques des relations internationales.................... 27
La nature des relations internationales................................ 29
A- Concepts et théories.......................................................... 33
B- La dynamique des relations internationales................... 53
1. Les relations guerrières internationales............................. 57
2. Le pouvoir monopoliste de l’État..................................... 61
3. L’universalisation violente des relations internationales : la colonisation 64
4. La première étape de la décolonisation (1776-1830) 71
5. La deuxième vague de décolonisation et l’apparition du tiers-monde 84
6. La dynamique contemporaine des relations internationales (1945-2021) 99
Références bibliographiques.............................................. 117
PARTIE 2
Les acteurs des relations internationales................................ 121
A. Le principal acteur des relations internationales : l’État 126
1. Les fondements institutionnels de l’action étrangère des États 128
2. Les objectifs de la politique étrangère............................. 136
3. Les contraintes internes de la politique étrangère........... 141
4. Le processus de prise de décision : itinéraire et instruments 152
5. L’agent étatique de la politique étrangère : le diplomate . 155
B. Les acteurs secondaires des relations internationales164
1. Les organisations internationales...................................... 164
2. Les entités privées des relations internationales............... 181
2.1. Les entreprises transnationales............................... 181
2.2Les organisations non gouvernementales transnationales (ONGAT) 193
2.3Les églises......................................................................... 198
2.4Les internationales du crime organisé.............................. 206
2.5L’opinion publique............................................................ 216
2.6. L’individu........................................................................ 224
Bibliographie....................................................................... 231
Les tendances actuelles des relations internationales............. 233
A. La mondialisation : ange et démon de la modernité 235
1. Un éventail de définitions................................................. 235
2. Le contenu de la mondialisation....................................... 239
3. Les conséquences sociales de la mondialisation............. 248
B. L’intégration régionale et la formation des blocs commerciaux 255
1. La théorie de l’intégration économique............................ 255
2. Objectifs et techniques de l’intégration............................ 260
3. Nature et typologie de l’intégration.................................. 264
4. Le GATT/OMC en face du régionalisme......................... 269
5. Le MERCOSUR................................................................ 270
C. Défis pour la nouvelle organization des relations internationales 278
1. Le maintien de la paix et la réforme de l’architecture institutionnelle 279
2. Les enjeux du développement........................................ 286
3. L’universalisation des valeurs et l’idéologie masquée... 292
D. L’impact du terrorisme sur les relations internationales 296
1. La résistance des États-Unis au multilatéralisme............ 296
2. La rupture du 11 septembre 2001.................................... 300
3. La lutte contre la terreur................................................... 306
E. L’avenir des relations internationales : un chemin vers l’inconnu 309
Références bibliographiques.............................................. 321
Conclusion.......................................................................... 323
Glossaire des relations internationales.............................. 327
[1] Voir BADIE, Bertrand et SMOUTS, Marie Claude. Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale. Paris, Presse de la FNSPet Dalloz, 1992.
[2] BADIE, Bertrand. La fin des territoires : essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect. Paris, Fayard, 1995.
[3] Voir BRESSAND, Albert et DISTLER, Catherine. La planète relationnelle. Paris, Flammarion, 1995.
[4] MONTBRIAL, Thierry de. L’action et le système du monde. Paris, PUF, 2002.