Au Brésil, personne n'a vu venir la contestation
Typhaine Morin, Mireille
Lemaresquier
France Info, Le 21 Juin
2013
Au onzième jour de
contestation, et au lendemain de manifestations historiques au Brésil, la
présidente Dilma Rousseff a réuni vendredi un cabinet de crise. A un an du
Mondial de football, des dizaines de milliers de Brésiliens, jusqu'à un million
jeudi soir, manifestent contre l'augmentation du coût de la vie. La
contestation grandit au fil des jours. Pourtant, personne n'a vu venir la
fronde.
Ni le Parti des travailleurs
de la présidente Dilma Rousseff, ni les centrales syndicales, ni les
députés... Personne, semble-t-il, n'a vu venir la contestation sociale qui
agite le Brésil depuis onze jours. La présidente, au pouvoir depuis un an et
demi, a dû annuler une visite au Japon tant les rangs des manifestants
grossissent. Vendredi, elle a convoqué en urgence ses principaux ministres.
A un an du Mondial de
football, les Brésiliens protestent contre la précarité des services publics,
la hausse des produits alimentaires et la corruption. Une semaine après le
début des manifestations, déclenchées par la hausse du prix du ticket de bus,
Dilma Rousseff s'est adressé à son peuple, et s'est dite à l'écoute des "voix de la rue".
Mais ce message n'y a rien fait, les manifestations ont continué.
Croissance et prospérité
Depuis 10 ans, le Parti des
travailleurs est au pouvoir. Pendant 10 ans, le Brésil a connu, et en
particulier au début de l'ère Lula, une période de prospérité, une croissance
économique allant même jusqu'à plus de 7% par an. "Mais
maintenant, le pays est affecté par la crise internationale", explique
Janette Habel, spécialiste de l'Amérique latine, professeur à l'Université de
Nanterre et à l'Institut d'Amérique Latine. Le pays est aujourd'hui confronté à
une désindustrialisation précoce.
"Il y a des éléments
structurels objectifs qui sont la toile de fond de la crise, souligne Mme
Habel. Mais l'augmentation [des prix] des transports a été la goutte d'eau qui
a fait déborder le vase. Personne n'a vu venir" cette contestation. "Ce qui montre
que l'on a une réelle coupure entre un Parti des travailleurs, des centrales
syndicales, (...) la présidence de la République et le reste de la
population."
Intransigeance et
aveuglement
Fin 2012, le Brésil a connu
une grande grève des fonctionnaires, un mouvement très suivi par les
universitaires et appuyé par les étudiants. "Or, explique
la chercheuse, Dilma Rousseff a opposé à cette grève et à ces
revendications une intransigeance très grande, qui a été très mal reçue, et
notamment parmi les jeunes."
Cette intransigeance "a
contrasté avec le traitement qu'elle a réservé à certains secteurs de l'armée
et à ses bonnes relations avec le patronat", analyse Janette Habel. La
chercheuse estime que la présidente "a certainement fait une
erreur qui témoigne d'un réel aveuglement", et que "l'appareil
gouvernemental et l'appareil général du Parti des travailleurs sont maintenant
beaucoup plus éloignés que par le passé des exigences de la population".
Classes moyennes
Cette contestation sociale
met aussi en lumière le mauvais fonctionnement des services publics et le fossé
qu'il existe entre les riches et les classes moyennes. "Si vous
êtes contraints d'aller, par exemple, dans les hôpitaux publics ou dans le
système public, il y a un écart énorme" avec le privé, explique
Mme Habel. Or, les classes moyennes brésiliennes n'ont pas accès à ces services
privés.
"Les classes moyennes
se sont plutôt des travailleurs qualifiés qui ont un emploi stable, mais qui n'ont
toujours pas suffisamment de revenu pour avoir accès à des soins de santé ou
d'éducation", explique la
chercheuse, à l'inverse des plus riches. Les classes moyennes font partie de ceux qui sont dans la rue depuis 10 jours,
avec des jeunes sans emploi, des travailleurs pauvres et des gens qui viennent
des banlieues.
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