L'Assemblée nationale a adopté, jeudi 16 mai, une proposition de loi du
Front de gauche supprimant le mot "race" de la législation, notamment du Code pénal, du Code de procédure pénale et du Code du travail ainsi que de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui punit le discours raciste. Pour ne pas
risquer de
fairetomber l'incrimination de racisme, les députés socialistes ont fait
adopter un amendement affirmant explicitement, dans l'article premier, que
"la République combat le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. Elle ne reconnaît l'existence d'aucune prétendue race."
Danièle Lochak, professeur émérite de droit public à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, ancienne présidente du Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigrés), et auteur de La race, une catégorie juridique ( Presses de la FNSP, revue Mots, 1992) porte un jugement nuancé sur cette initiative qui ne devrait pas, selon elle, aboutir ensuite à modifier la Constitution de 1958, et encore moins le préambule de 1946.
Etait-il nécessaire de faire disparaître le mot "race" de la législation ?
Je suis partagée. D'un côté, les mots ne sont pas neutres.
Utiliser un terme – a fortiori dans un contexte juridique – peut lui
donner une certaine légitimité : on peut donc
comprendre le souhait d'éliminer le mot "race" des textes de loi.
D'un autre côté, dans tous les contextes où ce mot apparaît, c'est sur le
mode de la dénégation, pour
disqualifier les actes et les propos racistes, il est donc difficile d'en
tirer la conséquence que les "races" existeraient.
Le terme, au demeurant, n'est pas tabou dans beaucoup d'autres pays qui, comme la France, ont mis hors la loi la discrimination raciale. Et surtout, on le trouve dans toutes les conventions internationales relatives aux droits de l'homme qui interdisent les discriminations fondées – notamment - sur l'origine, ou l'appartenance à une ethnie ou une race. Ratifiées par la France, elles font à ce
titre partie de son droit positif. C'est le cas également de l'article 10 du traité sur le fonctionnement de l'
Union européenne (TFUE), de la Charte européenne des droits fondamentaux et de la directive de 2000 relative à l'égalité de traitement entre les personnes
"sans distinction de race ou d'origine ethnique".
L'adoption de ce texte va-t-il entraîner des changements concrets ?
Ce texte a une portée essentiellement symbolique, tout le monde en convient. Car ce n'est pas la présence du mot "race" dans la législation qui alimente le racisme ni même la croyance en l'existence des races. Ce qui est important, c'est de se
donnerles moyens de
lutter contre le racisme – qui suppose entre autres une
politique plus respectueuse des droits des étrangers et des droits des Roms.
Si le texte amendé au cours de la discussion parlementaire aboutit à
remplacersystématiquement les mots
"en raison de [...] sa race" par l'expression
"pour des raisons racistes", de façon à ne pas
risquer d'
affaiblir la répression du racisme, on notera qu'il laisse
subsister dans l'ensemble de la législation les termes d'
"ethnie" ou d'
"appartenance à une ethnie". Or l'ethnie est en réalité un substitut euphémisé de la "race" mais qui, sentant moins le soufre, peut
aboutir à conférer une crédibilité à des distinctions qui sont tout aussi contestables et dangereuses que celles reposant sur la "race".
Que pensez-vous du processus retenu ? Un premier vote portant sur la suppression du mot dans la législation et une suppression ultérieure dans la Constitution, comme s'y est engagé François Hollande...
Sur ce point, je suis assez tenté de
reprendre à mon compte la proposition du groupe communiste et républicain en 2003, qui était de ne
modifier ni la Constitution de 1958, ni le préambule de 1946 énonçant des droits et des libertés fondamentaux, en raison de leur valeur historique.
Modifier la Constitution de 1958, qui a déjà subi des dizaines de réformes, cela peut à la rigueur se
concevoir. Mais on imagine mal de
changer le préambule de 1946. Outre que c'est juridiquement impossible, rappelons-nous que, adopté à l'issue de la seconde guerre mondiale, il représente un moment important de la
"mémoire discursive d'une histoire tragique", pour
reprendre l'expression de la chercheuse
Simone Bonnafous.