Un grand merci à Daniel Pinto pour cette touchante histoire, rien que la terrible vérité d’une vie dilacérée… (PRA)
Wladyslaw Szpilman (1911, Sosnowiec- 2000, Varsovie)
Il est né dans une famille de musiciens. Son père était violoniste dans l’orchestre de Katowice, sa mère jouait joliment du piano. Ses parents n’ayant pas les moyens d’acheter un poste de radio, Wladyslaw lisait les partitions de Tchaïkovski, Scriabine, Beethoven et Brahms, Szymanowski qui se trouvaient à la maison. Il eut quelques difficultés à convaincre son père de le laisser tenter sa chance au Conservatoire Chopin de Varsovie
Cinq années plus tard, en 1931, Szpilman fut admis à l’Académie de musique de Berlin, où il eut la chance de travailler avec Fritz Kreisler et Arthur Schnabel. Il assista aux concerts de la Philharmonie de Berlin, sous la direction de Wilhelm Furtwängler, et rencontra même le compositeur Paul Hindemith et le grand violoncelliste Emmanuel Feueurmann. Il rentra cependant à Varsovie pendant l’été 1932 car l’atmosphère était déjà très tendue à Berlin.
En 1939, Szpilman est engagé par l’Orchestre de la radio de Varsovie. Il donne un concert sous la direction de Grzegorz Fitelberg et se lie avec le compositeur Witold Lutoslawski, qui allait jouer un rôle important dans sa vie, mais surtout dans sa survie. Le 23 septembre de la même année, alors qu’il est en train d’enregistrer la Ballade en fa mineur et la Barcarolle de Chopin, les Allemands encerclent la ville. Soudain, l’électricité saute dans le studio, et c’est la fin, ainsi qu’il l’écrira dans son livre, Mort d’une cité, publié en 1946, et aussitôt interdit par les autorités communistes, parce qu’il fait état de l’attitude de la majorité de la population polonaise à l’encontre des Juifs pendant la Shoah.
Les Allemands ayant occupé Varsovie, la guerre contre les Juifs a aussitôt commencé. Port du brassard blanc et bleu avec l’étoile de David, interdiction de posséder plus de 2000 zlotys, interdiction d’occuper plus d’une pièce par famille, interdiction d’exercer un emploi hors du ghetto. Toute infraction étant punie de mort. Mais ce n’était qu’un début qui dont la finalité fut l’extermination des 500 000 Juifs séquestrés dans le ghetto de Varsovie.
Les première sélections, appelées Aktions, commencèrent. Les SS séparaient les enfants de leurs mères, qu’ils déportaient dans le camp d’extermination de Treblinka. Au début, les Juifs croyaient qu’ils partaient travailler à l’Est. Szpilman le crut aussi. Il jouait de la musique légère de sa composition dans les cafés du ghetto pour gagner sa vie et celle de ses parents qui avaient dû vendre tout ce qu’ils possédaient, y compris leur très beau piano. Ce riche répertoire fut enregistré après la guerre sur les premiers microsillons, distribués aux États-Unis et en Union soviétique.
Quand ses parents furent sélectionnés pour se présenter sur l’Umschlagplatz, lieu d’où partaient les wagons de marchandises pour Treblinka, Wladyslaw s’y rendit avec eux. Mais les policiers juifs du ghetto qui le reconnurent, l’empêchèrent de monter dans le train. L’épidémie de typhus décimait les habitants du ghetto, mais parce que les nazis avaient très peur d’être contaminés, il y eu pendant quelques temps un répit dans le rythme des Aktions.
Après la déportation de ses parents, Wladyslaw n’avait plus de lieu où habiter, car la pièce où ils avaient vécu, avait été attribuée à d’autres. Considéré comme déporté, il n’avait plus de possibilité de travailler, or les rations alimentaires misérables, n’étaient distribuées qu’à ceux qui justifiaient d’un travail. Wladyslaw se rendit au Judenrat (l’administration juive du ghetto, crée par les Allemands, dont le président Adam Czerniakow se suicida quand les nazis lui donnèrent l’ordre d’établir les listes de Juifs à déporter quotidiennement). On lui conseilla de jouer du piano pour les Allemands « qui aiment la musique ». Ayant refusé, il trouva finalement à se placer dans un kommando qui construisait un immeuble à huit kilomètres des murs. Il profita de la situation pour s’enfuir du côté aryen. Des amis appartenant au milieu musical lui prêtèrent un appartement vide pendant quelques jours. Puis, le compositeur Witold Lutoslawski qui faisait partie de l’organisation secrète Jegota, qui sauva environ 20 000 Juifs, donna un concert avec un violoniste, pour lui en offrir le cachet.
Dès lors, Szpilman erra d’une cachette à l’autre : chez un peintre ; un chef d’orchestre ; puis dans une chambre, dont il ne sortit pas pendant quatre mois, jusqu’au moment où la concierge ayant suspecté quelque chose, vint tambouriner à sa porte. Il ne broncha pas, et s’enfuit la nuit-même. Sans papiers, sans vêtements autres que des loques, il se retrouva à la rue. Il finit par sonner à la porte d’un ami ingénieur. Quand la mère de ce dernier ouvrit la porte, elle ne le reconnut pas et recula, épouvantée. Ils l’hébergèrent pendant dix jours. On lui trouva ensuite une nouvelle cachette : une chambre dont la porte officielle était fermée de l’extérieur, et où on lui apportait à manger épisodiquement.
Le 19 avril 1943, éclata l’Insurrection du ghetto de Varsovie, dont les nazis avaient entrepris la liquidation. Les jeunes de l’Organisation juive de Combat résistèrent avec des grenades, des cocktails Molotov et quelques vieux fusils aux troupes du général Jürgen Sroop, pendant six semaines. Ce dernier se vanta dans un télégramme envoyé à Hitler, d’avoir brûlé au lance-flamme, un à un, tous les immeubles du ghetto, et liquidé les derniers Juifs de Varsovie. Seule une poignée d’insurgés réussit à s’enfuir par les égouts. Mordechai Anielewicz, le commandant en chef des insurgés, se suicida avec sa compagne Mira Furcher et sa famille, dans son bunker, situé au 18 de la rue Mila, au moment où les nazis le découvrirent, le 8 mai 1943.
Au mois d’août, il ne restait du ghetto qu’un immense terrain vague, jonché de gravats calcinés. Après l’insurrection de la Varsovie chrétienne, qui dura du mois d’août au mois d’octobre 1944, et l’évacuation de tous ses habitants, Szpilman était le seul survivant parmi les ruines, mais il l’ignorait. Il se réfugia sur le toit de la maison où il était caché, persuadé que les nazis fouillaient plutôt les caves à la recherche d’or dans les immeubles incendiés. Repéré par les soldats qui crièrent « Halt ! », il s’enfuit, passant parmi les décombres, d’une ruelle à l’autre. Il trouva enfin un immeuble qui tenait encore debout et monta dans les combles. Il ignorait qu’un kommando allemand était installé dans un des appartements. Trois jours plus tard, n’ayant plus rien à boire ou à manger, il descendit un étage afin de fouiller dans les placards. Soudain, quelqu’un cria dans son dos : Halt ! Se retournant et pensant vivre ses derniers instants, il se trouva face à un officier qui prononça ces mots : « N’ayez pas peur. » Szpilman qui était en haillons, ne s’était ni lavé ni rasé depuis quatre mois. Il tenta d’abord de justifier sa présence en disant que cette maison avait été la sienne avant la guerre. L’officier lui répondit qu’il ne pouvait pas rester ici. Puis s’amorça un dialogue.
– Quelle est votre profession ?
– Pianiste et compositeur.
– Alors, présentez-vous à la Feldgendarmerie.
– C’est impossible.
– Vous êtes juif ?
– Oui.
– Suivez-moi.
Ils descendirent dans l’appartement que l’officier occupait quelques étages plus bas. Les vitres de la vaste pièce où ils entrèrent étaient brisées. Mais Szpilman y vit un grand piano à queue.
– Asseyez-vous et jouez-moi quelque chose.
Szpilman n’avait pas posé les mains sur un clavier depuis plus de deux ans. Il joua le Nocturne en Ut dièse mineur de Chopin. L’officier lui demanda comment il avait réussi à se cacher, alors que la ville avait été évacuée. Szpilman le conduisit dans les combles
L’officier qui se nommait Wilhelm Hosenfeld, lui dit alors à voix basse : « Je sais tout ce qui s’est passé. Les Allemands ont commis un immense massacre, et c’est une honte pour l’éternité. Quel malheur d’être né allemand ! » À trois reprises, Wilhelm Hosenfeld lui apporta des vêtements et de la nourriture. La dernière fois qu’il vint, il dit à Szpilman : « Tenez bon. Nous avons perdu la guerre, dans trois semaines, nous ne serons certainement plus là. » Szpilman lui répondit que s’il survivait, et qu’il avait besoin de lui après la guerre, il pourrait venir le voir à la Radio. Il ne lui donna que son prénom et ne lui demanda pas le sien, craignant que s’il était pris et torturé, il ne révélât son existence.
Les mois et les semaines passèrent et, au mois de décembre 1944, le thermomètre descendit jusqu’à moins 25°. Szpilman ne pouvait plus boire l’eau des gouttières, car elles avaient gelé. Il se résolut donc à sortir, ignorant que l’Armée rouge avait enfin traversé la Vistule. Un soldat allemand déguisé en civil, commença à le poursuivre, mais surgit alors un soldat portant le brassard de l’Armée polonaise. En braquant son arme sur Szpilman, il lui cria : « Haut les mains ! ». Szpilman lui cria en polonais de ne pas tirer. Le soldat lui révéla alors qu’il était le seul civil ayant survécu dans les ruines de Varsovie.
Szpilman le conduisit dans l’appartement où avait vécu Wilhelm Hosenfeld, et passa trois semaines dans cet immeuble avec les soldats pour lesquels il jouait du piano. Un jour, il les quitta et se rendit aux studios de la Radio, où s’étant fait reconnaître, on l’installa devant un piano. Il donna un récital Chopin improvisé qui fut retransmis en direct.
Ce fut le début d’une nouvelle vie. Wladyslaw Szpilman fut nommé directeur de la musique à la Radio et donna des concerts avec le Quintette de Varsovie dont le premier violon était Bronyslaw Gimpel.
En 1950, Szpilman fit la connaissance de Halina Grzecznarowska, qui venait d’achever ses études de médecine en tant qu’hématologue. Le père de Halina, qui avait été le maire socialiste de Radom avant la guerre, avait été déporté par la Gestapo au camp de Sachsenhausen, auquel il survécut. Wladyslaw et Halina se marièrent et eurent deux fils Andrzej et Krzyztof.
Lorsque je demandai à Wladyslaw ce qu’il était advenu de son sauveur, il me raconta tristement la fin de l’histoire, qu’il n’apprit qu’en 1950, en recevant une lettre d’un survivant Juif allemand, nommé Léon Wurm, également secouru par Hosenfeld.
Léon Wurm lui écrivait que l’officier allemand avait été capturé par l’Armée rouge le 17 janvier 1945, puis condamné à mort pour crimes de guerre. Sa peine avait été commuée en 25 ans de travaux forcés. Il se trouvait à présent dans un camp du côté de Brest-Litovsk. Dans l’espoir d’obtenir sa libération, Szpilman s’adressa à Jakub Berman qui occupait de hautes fonctions dans l’appareil communiste polonais. Il lui fut répondu que les Soviétiques refusaient de libérer le prisonnier, même après avoir été informés qu’il avait porté secours à des Juifs et à des Polonais pendant la guerre.
Wladyslaw Szpilman apprit que Wilhelm Hosenfeld avait subi une première attaque cérébrale au mois de juillet 1947, avant sa condamnation à mort. Victime d’une seconde hémorragie cérébrale, il mourut, complétement paralysé, le 1er janvier 1952. C’est alors que son fils vint à Varsovie avec sa femme et ses enfants, pour rencontrer Wladyslaw Szpilman, que son père avait sauvé. Après une longue enquête, l’Institut Yad Vashem, à Jérusalem, a décerné le titre de Juste parmi les nations à Wilhem Hosenfeld, le 25 novembre 2008.
Le Pianiste sortit deux ans après le décès de Wladyslaw Szpilman, survenu le 6 juillet 2000. Il remporta un succès mondial et reçut la Palme d’Or du Festival de Cannes et l’Oscar du meilleur film étranger en 2003.
Il souhaitait qu’on le revêtît de son habit de concert, et qu’on l’incinérât « comme ses parents l’avaient été à Treblinka ». Ainsi, pensait-il rejoindre ses parents et son peuple. Sa tombe en marbre noir, se trouve au cimetière de Powazki.
Distinctions
Commandeur avec étoile de l’ordre Polonia Restituta
Croix d’or du Mérite
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