terça-feira, 10 de setembro de 2024

Manque de productivité en Europe: rapport Mario Draghi (Le Point)

Compétitivité en Europe : les 20 propositions chocs de Mario Draghi

Simplification, mutualisation, changement des traités, Mario Draghi n’y va pas avec le dos de la cuillère pour redresser la compétitivité alanguie de l’Europe. Un électrochoc.

Par Emmanuel Berretta

revue Le Point, le 09/09/2024 à 16h56

 

Un rapport cinglant, des propositions audacieuses. Mario Draghi ne propose à l'Union européenne rien de moins que l'électrochoc dont elle a bien besoin. L'ancien président du Conseil italien a présenté son rapport, à 11 heures ce lundi 9 septembre, aux côtés d'Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, qui en est la commanditaire. Un rapport très attendu qui contient, au total, environ 170 propositions dont nous avons sélectionné les 20 principales. Mario Draghi a clairement indiqué qu'il ne souhaitait pas remettre en cause le socle social des Européens et que la compétitivité n'est pas une affaire « de réduction des coûts du travail, de baisse des salaires ou de plus grande flexibilité ».

Pour lui, la clé est la maîtrise des hautes technologies d'avenir, donc les compétences, la formation. Le cerveau, en un mot. « En réalité, dans l'Union européenne, la productivité a été légèrement meilleure que celle des États-Unis si l'on exclut le secteur des hautes technologies », explique-t-il à l'appui de son raisonnement.

Le constat dressé par « Super Mario » n'esquive pas la cruelle réalité : l'Europe est en train de décrocher face à ses grands concurrents, en particulier les États-Unis et la Chine. Les chiffres font froid dans le dos. L'écart de PIB entre l'UE et les États-Unis s'est creusé, passant de 15 % en 2002 à 30 % en 2023. Pour l'ancien patron de la BCE, le différentiel de productivité explique à lui seul 70 % de cet écart. « Le revenu réel disponible au cours des quinze, vingt dernières années aux États-Unis a augmenté deux fois plus qu'en Europe, précise-t-il lors de sa conférence de presse. […] Pensez au fait que la population diminue, et d'ici 2042 deux millions de travailleurs par an disparaîtront du marché du travail. » Bref, le constat d'une « lente agonie ».

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L'Europe souffre aussi d'un manque criant d'innovation et de dynamisme industriels. Mario Draghi pointe du doigt « une structure industrielle statique qui produit un cercle vicieux de faible investissement et de faible innovation ». « Il n'y a pas d'entreprise européenne avec une capitalisation boursière supérieure à 100 milliards d'euros qui ait été créée from scratch (en partant de rien) au cours des cinquante dernières années, alors qu'aux États-Unis les six entreprises valorisées à plus de 1 000 milliards d'euros ont toutes été créées au cours de cette période », souligne-t-il dans son rapport. Les besoins en investissements sont immenses. Selon Draghi, l'investissement annuel supplémentaire minimum nécessaire serait de 750 à 800 milliards d'euros, ce qui correspond à 4,4-4,7 % du PIB de l'UE en 2023.

Doubler les crédits de recherche

Face à ce tableau peu réjouissant, Mario Draghi dégaine un arsenal de propositions qui ne manquera pas de faire grincer quelques dents dans les chancelleries européennes. Premier chantier : doper l'innovation. L'ancien banquier central prône une véritable révolution copernicienne. Il propose ni plus ni moins que de doubler le budget du prochain programme-cadre de recherche et d'innovation pour le porter à 200 milliards d'euros sur 7 ans. Il veut créer une véritable agence européenne pour l'innovation de rupture, sur le modèle de la Darpa américaine, reprenant ici une idée du président Macron formulée depuis le discours de la Sorbonne de 2017 qui est restée lettre morte depuis.

Unifier le droit des sociétés en Europe

Pour attirer et retenir les meilleurs cerveaux, le rapport suggère de réformer le Conseil européen de la recherche (ERC) et de créer un « ERC pour les institutions » afin de financer des centres de recherche d'excellence. Une manière de stopper l'hémorragie de nos talents vers les États-Unis.

Mais Draghi veut faciliter le passage de l'innovation à la commercialisation en créant un nouveau statut d'« entreprise européenne innovante ». Ces pépites bénéficieraient d'une « identité numérique unique valable dans toute l'UE et reconnue par tous les États membres », ainsi que d'une législation harmonisée en matière de droit des sociétés et d'insolvabilité. De quoi faire sauter les verrous qui entravent aujourd'hui le développement de nos start-up. On se demande d'ailleurs comment l'UE a pu, durant des décennies, éviter d'abroger cette disparité juridique tout en prétendant créer un « marché unique ».

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Du côté du financement, le rapport appelle à développer massivement le capital-risque en Europe et à faciliter l'accès des entreprises innovantes aux marchés de capitaux, une idée dans l'air du temps depuis le printemps et que l'Allemagne pousse dans ce sens. Il propose notamment d'élargir le mandat de la Banque européenne d'investissement pour lui permettre de co-investir dans des projets nécessitant des volumes de capitaux plus importants. Une manière de combler le fossé qui nous sépare des États-Unis en matière de financement des start-up.

Doper l'IA dans 10 secteurs stratégiques

Conscient que l'intelligence artificielle sera le nerf de la guerre économique de demain, Mario Draghi ne lésine pas. Il préconise d'augmenter significativement la capacité de calcul dédiée à l'IA dans les centres de supercalcul européens et de développer un « modèle d'IA fédéré » basé sur la coopération entre infrastructures publiques et privées.

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Plus audacieux encore, il propose de lancer un « plan de priorités verticales de l'IA » pour accélérer l'intégration de l'IA dans dix secteurs stratégiques : l'automobile, la robotique, l'énergie, les télécommunications, l'agriculture, l'aérospatiale, la défense, les prévisions environnementales, l'industrie pharmaceutique et la santé. L'Europe ne peut pas se permettre de rater le train de la révolution de l'IA comme elle a raté celui d'Internet.

Concilier écologie et économie

Sur le front de la transition écologique, l'ancien banquier central joue les équilibristes, un peu à la manière d'Ursula von der Leyen lors de son discours programmatique devant le Parlement européen le 18 juillet. Il propose « un plan commun pour la décarbonation et la compétitivité » qui permettrait à l'Europe de rester à la pointe des technologies vertes tout en préservant son tissu industriel.

Dans le secteur de l'énergie, il préconise de renforcer l'approvisionnement commun en gaz naturel liquéfié (GNL) afin de mieux utiliser le pouvoir collectif des Européens dans la négociation. Mais, surtout, il jette aux orties le marché de l'électricité tel qu'il est conçu aujourd'hui. Il propose de découpler la rémunération des énergies renouvelables et du nucléaire de celle des combustibles fossiles. Cela vise à mieux refléter les coûts réels de production et à réduire l'impact des prix volatils du gaz sur les factures d'électricité. La Commission européenne, très attachée au marché de l'électricité, ne va pas forcément apprécier cette remise en cause brutale.

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Pour l'industrie automobile, secteur clé de l'économie européenne, Mario Draghi appelle à créer une feuille de route industrielle tenant compte de l'électrification et de la numérisation. Un coup de boost nécessaire face à la concurrence chinoise.

Des matières critiques achetées en commun

Conscient que l'Europe ne peut pas rester naïve dans un monde de plus en plus instable, l'Italien prône une véritable « politique économique étrangère » pour réduire nos dépendances stratégiques. Il propose notamment de créer une « plateforme européenne des matières premières critiques » chargée d'agréger la demande pour les achats conjoints et de gérer des stocks stratégiques au niveau européen. Il s'agit bien ici de sécuriser nos approvisionnements en terres rares et autres matériaux essentiels à notre industrie.

Sur le front de la défense, le rapport appelle à augmenter le financement européen pour la R & D (recherche et développement) et à élaborer des « projets de défense d’intérêt commun européen » pour muscler l’Europe de la défense.

Une approche prudente d'un nouvel endettement commun

Mario Draghi évoque prudemment l'idée d'un endettement commun européen, uniquement comme un « instrument limité et non un objectif en soi ». Il propose l'émission régulière d'actifs sûrs communs pour financer des projets d'investissement conjoints, s'inspirant du modèle NextGenerationEU. Cette approche viserait à financer les « biens publics européens » comme la recherche de pointe ou les infrastructures de défense.

Cependant, Draghi pose des conditions strictes : des règles fiscales renforcées, une émission limitée à des projets spécifiques, et des garanties solides. L'objectif est de concilier les besoins massifs d'investissement de l'UE avec les réticences de certains pays face à la mutualisation de la dette.

Une gouvernance à réinventer

Cependant, Mario Draghi est conscient que ces propositions ne pourront pas être efficacement mises en œuvre sans une refonte de la gouvernance européenne. Il veut rationaliser la bureaucratie européenne. Actuellement, il existe de nombreux mécanismes de coordination qui se chevauchent, créant de la confusion et de l'inefficacité. Un « cadre de coordination de la compétitivité » les remplacerait tous.

Pour accélérer la prise de décision, il suggère d'étendre le vote à la majorité qualifiée à davantage de domaines au sein du Conseil de l'UE. Il mentionne notamment l'utilisation de la clause « passerelle » pour généraliser le vote à la majorité qualifiée dans tous les domaines politiques au Conseil. Cette proposition vise à accélérer le processus décisionnel de l'UE, en particulier les situations où un seul État membre peut bloquer une décision. Cependant, l'application de cette clause nécessiterait un accord préalable à l'unanimité au niveau du Conseil européen. Enfin, si l'action au niveau de l'UE est bloquée, il préconise de recourir plus systématiquement à la « coopération renforcée » entre États membres volontaires.

Un commissaire à la Simplification administrative

La compétitivité retrouvée passera par l'allégement du fardeau réglementaire qui pèse sur les entreprises européennes. Le rapport Draghi propose de nommer un nouveau vice-président de la Commission européenne chargé de la simplification. Sa mission : faire le ménage dans la jungle réglementaire bruxelloise. Il dénonce la surréglementation européenne dans les secteurs d'avenir. « Selon les estimations, dit-il, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) a réduit les bénéfices des petites entreprises technologiques de plus de 15 %. J'ai recueilli les témoignages d'entrepreneurs qui ont quitté l'Europe pour les États-Unis, pour la raison qu'ils ne pouvaient pas se permettre d'embaucher du personnel uniquement pour se conformer à cette réglementation. »

Le rapport Draghi a le mérite de poser un diagnostic clair et de proposer des solutions ambitieuses. Reste à savoir si les dirigeants européens auront le courage politique de s'en saisir. La mise en œuvre de ces propositions nécessiterait une refonte en profondeur des traités européens, un exercice toujours périlleux. Elle impliquerait également des transferts supplémentaires de souveraineté vers Bruxelles dans des domaines aussi sensibles que la politique industrielle ou la fiscalité.

Maintenant ou jamais

Mais l'Europe a-t-elle vraiment le choix ? Le statu quo n'est plus une option. Comme le souligne Mario Draghi dans son rapport, « l'Europe entre dans une période sans précédent de son histoire, où un changement technologique rapide et des transitions sectorielles se combineront avec une population en âge de travailler en diminution ».

Pour le sauveur de l'euro, le grand saut dans la modernité, c'est maintenant ou jamais. L'Europe doit se réinventer si elle veut rester dans la course. L'histoire jugera les responsables européens à leur réaction aux propositions de l'ancien président du Conseil italien.


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