Em 2012, eu estava dando aulas no mestrado do Institut de Hautes Études de l'Amérique Latine, da universidade de Paris (Sorbonne 3), quando recebi un convite da revista Diplomatie para escrever um texto sobre o Brasil do futuro, uma colaboração, portanto, de prospectiva, para um número especial dessa revista. Impossível escrever sobre o futuro sem se debruçar um pouco sobre o passado, uma vez que o que seremos nos anos à frente depende em grande medida do que fizemos até aquele momento.
A revista está disponível em minha página da plataforma Academia.edu, neste link:
https://www.academia.edu/5962257/2371_Une_prospective_du_Br%C3%A9sil_vers_2022_2012_
Eis o meu texto publicado nesta revista:
Une prospective du Brésil: vers 2022
Paulo Roberto de Almeida
Diplomate, professeur d’Économie Politique au
Centre Universitaire de Brasilia (Uniceub).
[Suggestions d’appel : Le Brésil fêtera 2 siècles de vie indépendante dans 10 ans !
Que sera devenu le Brésil d’ici dix ans ? ]
[ Suggestions d’insertions :
Le Brésil et son histoire :
1822 : trafic, esclavage, absence complète d’écoles… ;
1922 : agriculture arriérée, peu d’industries, pas d’universités…
2022 : un géant agricole, certes ! l’industrie, peut-être en recul ; l’éducation, toujours de très mauvaise qualité ? ]
[ Suggestions de phrases : L’abondance pétrolière peut-elle créer une nation de rentiers ?
Le Brésil, en fin de compte, a un seul grand problème, d’ailleurs entièrement made in Brazil : l’éducation… ]
Une nation jeune : à peine 190 ans…
Le Brésil fêtera ses deux cents ans d’indépendance en 2022. Ce genre de date symbolique incite toujours à une rétrospective, pour savoir ce que la nation a réussi à accomplir dans le temps écoulé, depuis que les « pères fondateurs » l’ont déclaré séparée du Portugal, en 1822, ainsi que pour essayer d’établir un bilan, en vue de savoir ce qu’il reste encore à réaliser pour que les « promesses » de ceux-là mêmes qui ont prophétisé un grand avenir pour le plus grand pays de l’Amérique du Sud soient réalisées le plus vite possible. Les moments fondateurs sont, bien sûr, encombrés de mythes, mais ceux du Brésil étaient bien simples, ou autrement plus compliqués : comment construire une nation, une société intégrée, à partir d’une colonie d’exportation, dont la population était majoritairement composée d’esclaves?
Au début, les marchands négriers prennent le dessus…
En 1823, par exemple, l’un des pères de l’indépendance, José Bonifácio de Andrada e Silva, savant entrainé dans les académies européennes et précepteur de notre deuxième empereur, Pedro II, préconisait la fin immédiate du trafic d’esclaves, l’abolition de l’esclavage à moyen terme, l’intensification de l’immigration d’agriculteurs européens – pour faire le Brésil devenir blanc, civilisé –, tout comme la création de nombreuses écoles et des universités pour mettre le pays en ligne avec ce qu’il avait vu en Europe et savait exister dans la jeune République de l’Amérique du Nord. Hélas, il a été vaincu à l’Assemblée Constituante par des intérêts liés, précisément, au trafic et à l’esclavage : le premier n’a été supprimé qu’en 1850 (cinq ans plus tard, dans la pratique, et, encore, à cause de fortes pressions anglaises) ; l’esclavage pas avant 1888, après maintes prolations (et sous forte pression de l’Anti Slavery Society et de tous les intellectuels français). L’Assemblée Constituante elle-même a été dissoute par le premier empereur, Pedro I, qui a préféré octroyer une Carte passablement libérale, mais agrémentée de quelques dispositions autoritaires, comme ce Pouvoir « Modérateur », qui donnait droit au souverain de dissoudre le gouvernement et appeler des élections (qui étaient manipulées, bien sûr, et censitaires, de surcroît).
On crée une université sur papier, pour délivrer un doctorat honoris causa au roi…
Cent ans plus tard, lors de commémorations du premier centenaire de sa vie indépendante, le Brésil était toujours un pays agricole arriéré, avec une base industrielle minimale, éparpillée sur un vaste territoire, ne constituant pas encore une vraie unité économique. La nation n’était surtout pas une société politiquement éduquée : les présidents de la « Vieille République » étaient élus avec moins de 5% des voix de la population adulte, une goutte d’électeurs dans un océan d’analphabètes et de ruraux atteints par des maladies endémiques. En 1922, il n’y avait même pas d’universités, pour offrir, par exemple, un doctorat honoris causa au souverain de Belgique, quand il est venu, en grand pompe, visiter une « exposition internationale » à Rio de Janeiro cette année-là ; alors, on a rassemblé, par décret, quelques écoles supérieures (Droit, Médecine et deux ou trois autres), on les appela « Université du Brésil » et, zut ! on délivre le précieux document au roi des belges. Tout de suite près, aucune université ne subsiste plus, et ce jusqu’à ce qu’en 1934, quand l’oligarchie de São Paulo, écartée du pouvoir par une « révolution libérale » en 1930, décida qu’il était déjà temps de faire avancer un peu les élites de ce pays toujours agraire, avec un archipel de petites industries. On l’a fait : l’industrie lourde (un peu à la manière stalinienne, intégré verticalement), et les universités, mais bien plus sur le modèle français qu’humboldtien, avec peu de pratique.
Qu’est-ce que l’avenir réserve-t-il au Brésil ?
On est maintenant à dix ans seulement du deuxième centenaire, et il probable qu’en 2022 le Brésil continue à être cette puissance industrielle que les militaires modernisateurs ont aidé à construire, entre les années de la dictature Vargas (1937-1945) et leur propre régime autoritaire (de 1964 à 1985), même si quelque peu malmenée par la forte concurrence chinoise dans les manufactures (comme d’ailleurs, partout dans le monde). Cet délai de dix ans, nous offre donc la possibilité de faire un peu de prospective, qui, selon les définitions courantes, est l’art d’élaborer des scénarios probables, ou possibles, sur la base de projections qu’on fait à partir des données du présent, extrapolées en des tendances positives, négatives ou moyennes, en tenant compte des ressources propres, des contraintes extérieures et un certain nombre de variables toujours changeantes, selon les politiques mises en œuvre par ceux qui nous gouvernent (parfois bien, parfois moins bien). Par exemple : le Brésil a toujours misé sa croissance sur l’apport de capitaux étrangers, mais jamais n’a déclaré de défaut au long du XIXème siècle ; par contre, il est devenu insolvable trois ou quatre fois dans le siècle dernier, a changé six fois de monnaie (en éliminant trois zéros successivement, pour au moins cinq fois, ce qui donne une idée de l’inflation démesurée, à la hauteur de plus d’un quatrillion pour cent), a été dépendant du pétrole importé pendant la majeure partie de cette période et n’a pas toujours réussi à créer un système efficace d’écoles publiques, et certainement pas dans le domaine de la recherche et développement appliqués à une industrie moderne (qui pourtant existe !).
En dépit de tout, il avance, parfois à reculons…
Le Brésil pourrait, en quelque sorte, paraphraser le moto de Galilée : eppur si muove (pourtant, il marche), ce qui est vrai, même avec beaucoup de différences régionales, d’inégalités sociales – l’une des pires répartitions du revenu dans le monde – et une démocratie que des analystes ont déjà classé comme de « baisse qualité » (probablement à cause de la représentation disproportionnelle, du corporatisme explicite des « représentants du peuple » et de la corruption générale du système politique, caractéristique que le Parti des Travailleurs, amené au pouvoir en 2003 pour la combattre, a encore renforcé à outrance). Et, pourtant, le Brésil avance, en dépit de tous ces aspects dysfonctionnels et d’un État qui – dans le passé un promoteur du développement – est devenu, en fait, un empêcheur de la croissance économique, en prélevant presque deux cinquièmes de toute la richesse nationale pour n’en investir qu’un volume infime de ces ressources, le reste étant éparpillé par les dépenses courantes, les nombreux transferts (parfois irrationnels, ajoutant à la concentration du revenu) ou en faveur d’un mandarinat étatique qu’on parfois rapproché des maharajahs ou des grands Mandarins de Chine, justement (et pour cause : le système est méritocratique mais tordu vers les privilèges).
Ah, la Chine : pour le bien, et pour le mal…
Et, en dépit de tout cela, le Brésil avance, poussé, il est vrai, par les bons vents de la croissance de la Chine, qui depuis 2009 est devenue le premier partenaire commercial du Brésil, devançant les États-Unis et l’Union Européenne, longtemps les premiers marchés et investisseurs dans le pays (ce qui la Chine ne l’est pas encore). Mais c’est un fait que le Brésil est devenu, aujourd’hui plus dépendant de la Chine – par les prix des matières premières qu’il exporte, à raison de 95% du volume total – qu’il n’avait jamais été, dans le passé de l’Europe ou des États-Unis (pays avec lequel le commerce a toujours été plus équilibré, et comportant un volume important de produits manufacturés). Si par hasard la Chine vient à subir une forte décroissance, le Brésil va en pâtir, telle est sa vulnérabilité actuelle en termes de marchés de commodities.
Comme beaucoup d’autres pays émergents, le Brésil s’intègre davantage aux circuits de la mondialisation – même si des instincts protectionnistes le poussent souvent à des réactions introspectives et introverties, chaque fois que son industrie est débouté per des concurrents plus redoutables et mieux préparés, comme les asiatiques, justement – et se construit une puissance économique (par ses énormes ressources et par son bonus démographique, qui va encore durer quelques deux décennies et demie), tout en profitant d’une diplomatie très active et présente dans tous les fronts de discussions mondiales. Comme la France, pourtant, le Brésil a du mal à entamer les réformes nécessaires pour donner un nouvel élan à son processus de croissance, aujourd’hui l’un des plus modestes des émergents, à cause d’un État qui – là encore – prélève trop de la société et de ses entreprises – en moyenne 40% du revenu national – et qui laisse beaucoup à désirer quand il s’agit de ses fonctions propres : éducation, santé, sécurité, infrastructure, etc.
Un « Gosplan » tropical ?
Et ce n’est pas, non plus, dû à un manque de planning ou de plans de développement. Le Brésil est, avec la France à nouveau, le pays capitaliste qui a le plus eut recours à des « plans de développement », à des programmes sectoriels de croissance et à des entreprises d’État pour s’assurer que les ressources soient « bien dirigés » dans les secteurs « qui ont le plus besoin ». Depuis la Deuxième Guerre, le Brésil a élaboré plus d’une dizaine des plans de développement, le planning global et sectoriel, même pluriannuel, est inscrit à la Constitution et un Ministère du Plan existe depuis le début de l’industrialisation, pour garantir que les objectifs prioritaires, voire stratégiques, soient atteints. Des dizaines de compagnies d’État ont été créées dans les secteurs-clés de l’économie, des monopoles étatiques ont été établis et une Banque Nationale de Développement – qui aujourd’hui a beaucoup plus de ressources que la Banque Mondiale – a été constituée pour canaliser l’épargne privé vers la cause sacrée du développement.
Tout cela a mis le Brésil de l’avant pendant les « dix glorieuses » du régime militaire – grosso modo la croissance rapide des années 1970, malgré la dépendance du pétrole importé, au coût d’une énorme dette extérieure et des déséquilibres qui allaient se traduire en hyperinflation dans les 15 années suivantes. Vaincue celle-ci, grâce au Plan Real de Fernando Henrique Cardoso et une troupe de brillants économistes, le Brésil a pu embarquer à nouveau vers une phase de croissance stable, quoique modeste. Lula, en tout cas, a profité de la stabilité acquise et de l’énorme demande chinoise et même mondiale (jusqu’à 2008) : les exportations ont plus que triplé – plus en valeur qu’en volume – et les investissements étrangers ont soutenu un nouvel essor de modernisation économique, cette fois aussi dans les services et certaines industries internationalisées. L’apport aussi de capitaux de portfolio – même si pour des raisons non exactement vertueuses : un taux d’intérêt plus que le triple de la moyenne mondiale – a permis l’accumulation d’importantes réserves en devises, ce qui convertit le Brésil, pour la première fois de son histoire, en pays théoriquement « créancier » du reste du monde (on est le cinquième « ami » du Trésor Américain, par le volume de Treasury Bonds détenus par le Brésil).
Brésiliens : prêts pour la malédiction du pétrole ?
Encore mieux : les ressources apparemment énormes du pétrole off-shore et les possibilités presque illimitées dans le domaine agricole – le Brésil possède deux cinquièmes, au moins, de terres disponibles pour l’agriculture (en dehors de l’Amazonie) et de réserves d’eau potable de la planète – peuvent faire du Brésil, pour la première fois dans son histoire, un pays stratégique au point de vue énergie – fossile et renouvelable – et d’offre d’aliments et rations animales pour nourrir une population qui doit encore augmenter de deux milliards de nouveaux habitants. C’est un fait : ayant passé les cinq derniers siècles de son existence en tant que pays fournisseur de produits de dessert (sucre, café, cacao, fruits, et quelques minerais, en plus d’un peu de caoutchouc, il y a cent ans exactement), le Brésil pourra, peut-être, continuer dans le XXIème siècle en tant que producteur stratégique de quelques-uns des denrées alimentaires et énergétiques les plus essentielles pour le bien être futur de la population mondiale.
Cela ne se fera, cependant pas, sans des ajustements et des réformes qui sont absolument nécessaires si le Brésil veut, vraiment, faire le catch-up vers le développement global de son économie, dans le sens d’une plus haute productivité, au lieu de rétrocéder vers l’économie primaire-exportatrice qu’il a été dans la majeure partie de son histoire. C’est ici que rentre le sens prospectif de la prospective brésilienne, s’il est permis d’être redondant.
Prospecter l’avenir, pour éviter les erreurs passées…
Car il est aussi un fait que le Brésil recule dans l’agrégation de valeur à ses produits, aussi bien dans l’importance de son industrie dans l’ensemble du produit interne que dans le contenu d’innovation dans la production exportée. Cela est le plus grand défi, si le Brésil veut commémorer le double centenaire de son indépendance dans une situation meilleure – non pas par rapport à 1922, car il est évident que nous avons progressé, même si par « fatalité », comme écrivait un critique littéraire de l’époque du modernisme – que celle d’aujourd’hui, quand des nuages sombres couvrent les parcs industriels de São Paulo et ailleurs.
Beaucoup d’industriels brésiliens se sont adonnés, actuellement, à une importation généralisée de parts et pièces d’Asie, en faisant leur assemblage local, le tout pour ne pas devoir fermer leurs usines, que ne peuvent plus soutenir la concurrence d’avec les produits des économies dynamiques d’Asie justement. Que va-t-il devenir de l’industrie brésilienne dans les dix années qui nous séparent de 2022 ? Cela la question qui se posent les patrons de l’industrie au Brésil, tout comme la partie des leaders politiques qui sont le plus concernés par la compétitivité du Brésil vis-à-vis ses principaux concurrents orientaux ?
Pour répondre à cette question – que revient à s’interroger sur ce qui va devenir le Brésil à la prochaine génération, qui va déjà rencontrer non plus une nation de jeunes, comme il a été jusqu’à présent, mais un pays de population plus âgée, comme tant d’autres pays avancés, mais sans en détenir le revenu par tête correspondant – il faut séparer les éléments conjoncturels, liés à la présente phase de son économie, des éléments plus structurels, ou systémiques, qui font partie de son tissu social, de ses forces productives – pour employer un concept marxiste – et de son organisation politique, c’est-à-dire, de sa superstructure institutionnelle. Tout exercice de prospective qui ne réussit pas à établir ces distinctions est voué à un échec analytique, quel que soit la sophistication de ses simulations économique basés sur des taux de croissance, demande interne et externe, flux de capitaux, investissements et innovation, etc. Voyons, donc, cela de plus près.
Un pays pas très riche, mais avec beaucoup de pauvres (et devenu trop cher…)
Il est clair que le Brésil est devenu, aujourd’hui, un pays très cher, à monnaie valorisée, ce qui pénalise ses exportations et même l’offre interne, car l’industrie est rendue peu compétitive par la jungle d’impôts qui assaille les entrepreneurs, par une infrastructure en piteux état et par le prix élevé de certains services et produits tarifés, en fonction des nombreux cartels et du protectionnisme qui caractérise encore son économie presque aussi mercantiliste et dirigiste que certains pays de l’ancien socialisme réel.
À certains égards, d’ailleurs, le Brésil est peut-être un peu plus « socialiste » que la Chine, mais celle-ci est certainement plus capitaliste que le Brésil, en fonction de la magnitude des tributs, du degré de protection, de l’ambiance des négoces, des difficultés pour résoudre des disputes commerciales, du temps imparti à des activités-fin (par rapport à la dimension de la bureaucratie liée aux activités-moyen), enfin, pour un tas d’autres raisons, qu’il est facile de constater par un examen comparatif de rapports comme celui du Fraser Institut, Economic Freedom of the World (où la Chine devance le Brésil de plusieurs points, et pas seulement dans ceux habituellement retenus, comme le coût du travail ou la flexibilité dans les contrats liés à l’emploi).
En effet, à en regarder de plus près, le « pauvre » capitaliste chinois est beaucoup plus libre, et beaucoup moins « encombré » d’État, que le « riche » entrepreneur brésilien. La Chine a fait bien plus que se réveiller, comme prétendait Alain Peyrefitte dans son livre de 1973, elle se libéré d’un carcan bureaucratique, et d’un fatras idéologique (cela ne fait pas de doute), tandis que le Brésil a construit, dans les vingt dernières années – grosso modo, depuis la Constitution de 1988 – un monstre métaphysique, un ogre famélique, un Pantagruel insatiable, qui s’appelle État brésilien. Cela n’a rien à voir avec une inefficacité supposée de l’État brésilien, car celui-ci est l’un des plus modernes – relativement aux pays émergents – qu’on puisse retrouver au Sud de l’Équateur. Cela tient à voir avec son mode de fonctionnement, qui a créé toutes les dysfonctions conjoncturelles – d’une certaine manière purement technique – dont on a parlé aux paragraphes précédents.
Un État pantagruélique (et toujours affamé…)
Car si les entreprises et les individuels brésiliens sont surtaxés – presque autant que les pays les plus fiscalement « corrosifs » de l’OCDE –, si ses taux d’intérêts sont si anormalement élevés – ce qui explique l’attraction de capitaux étrangers, et la valorisation de sa monnaie, en plus de la poussée des exportations – et si son taux d’investissement productif est si médiocre, si tout cela ce sont des faits économiques incontournables, c’est parce que l’État brésilien est devenu, au fil des vingt dernières années, un « dépensier » liquide de l’épargne national, un gaspilleur insensible des ressources privées. Il pratique ce qui les économistes appellent le « crowding-out », soit, le détournement des flux d’épargne privé – et mêmes des recettes compulsoires, telle la prévoyance ou les charges travaillistes – qui pourraient aller vers l’investissement, et qui servent à couvrir les dépenses courantes de l’ogre insatiable. Tout cela, évidemment, pourrait être considéré un problème « technique », que l’on pourrait « résoudre », par une réforme fiscale, par des ajustements dans l’imposition, par des améliorations dans la qualité des dépenses publiques, ou par une contention sérieuse de son fonctionnariat mandarinal. C’est vrai ça ?
Pour quand une « fronde bourgeoise » ?
Pas si simple, répondrait un sociologue historique du genre de Barrington Moore – voir sa fameuse étude sur les Origines Sociales de la Dictature et de la Démocratie – qui considère que la contention économique de la voracité du Prince, c’est-à-dire, de l’État, passe par une division des élites et une sorte de « fronde aristocratique », qui peut aussi se transmuter en révolution sociale, si le choc de positions est suffisamment fort. Suffirait-il, donc, atteindre que la charge fiscale dépasse 40% du revenu national pour qu’une hypothétique « fronde d’entrepreneurs » met à bas l’ogre famélique qu’est devenu l’État brésilien, donnant ainsi le départ à une véritable « révolution bourgeoise », une profonde refonte de l’État et de ses institutions dans un sens plus rationnel, plus market-friendly, et favorable, en général, au monde des négoces et à la compétitivité des entreprises ?
Rien n’est moins sûr, dans les conditions brésiliennes : ces mêmes entrepreneurs, qui sont écorchés par l’État, reçoivent, par ailleurs, des subsides financiers des banques de l’État à des taux très favorables si comparés à ceux pratiqués dans le marché de crédits, des financements pour des projets de la Banque Nationale de Développement, des allégements fiscaux sectoriels, voire de la protection tarifaire ou d’autres barrières contre la compétition étrangère. De plus, les syndicats patronaux, tout comme la véritable « industrie » qu’est devenue la constitution de syndicats de travailleurs, reçoivent des dotations fédérales et une participation à certains impôts, ce qui leur permet d’exhiber de sièges imposants et de songer aussi à des carrières politiques.
Qu’est-ce qui fait humain le capital ?
Mais laissons maintenant ces questions « conjoncturelles », ou « techniques », pour pénétrer alors dans le vrai cœur du problème brésilien, celui qui devait figurer dans tout exercice de prospective de n’importe quel candidat à la futurologie technocratique. Il y a, évidemment, un ensemble de problèmes structurels qui compromettent gravement l’avenir du Brésil, mais il y en a un, qui résume tout, et qui peut être vraiment fatal, à moins qu’il ne soit incorporé à l’ordre du jour de tous les leaders politiques à partir de maintenant et pendant une génération entière. Je veux parler de la productivité du travail humain. Si l’on peut réduire tout l’histoire du progrès humain à un simple concept, celui-ci devrait s’appeler, simplement, productivité, car c’est elle qui différentie les diverses sociétés historiques, ou plus précisément, les économies nationales.
Ce qui empêche, vraiment, le Brésil de devenir un pays développé, au sens simplement méditerranéen – c’est-à-dire, sud-européen – du terme, c’est son très bas niveau de la productivité du travail. Et cela est dû, simplement, à une éducation défaillante, ou plutôt manquante, pendant la plus grande partie de son histoire indépendante. Si l’on arrive à tracer deux lignes comparatives, mettant en rapport, d’un côté, le degré d’avancement de l’industrie brésilienne – qui est, en grande partie, étrangère, rappelons-le, São Paulo étant, par exemple, la première cité industrielle allemande dans le monde, par sa concentration – et, de l’autre, l’état du progrès éducationnel de son peuple, les deux éléments confrontés à des indicateurs similaires, ou quelque peu homogènes, de pays avancés, on constatera que la distance du premier n’est pas si énorme, pouvant être mesurée en quelques décennies, seulement, tandis que dans le deuxième cas l’éloignement serait énorme, pas tant, maintenant, en termes quantitatifs – disons, le taux d’immatriculation à l’enseignement primaire – mais surtout en termes qualitatifs, c’est-à-dire, les résultats éducatifs obtenus dans chaque cas (que l’on peut évaluer, par exemple, au moyen du PISA, de l’OCDE).
Le nouveau (et vrai) esclavage, c’est le manque d’éducation…
C’est l’énorme retard et l’état effroyable de l’éducation du Brésil qui expliquent son très bas niveau de productivité, qui par ailleurs est responsable par la faible rémunération du travail non qualifié et l’important écart de revenus au sein des diverses couches de la population. Cette situation compromet non seulement le présent brésilien, mais aussi son avenir, car cela signifie que on n’arrivera pas à accumuler suffisamment des richesses pour être en situation d’équilibre fiscal – dans la sécurité sociale, par exemple – quand la génération actuelle prendra sa retraite, ce qui correspond, aussi, à la fin du bonus démographique. On aura alors tous les problèmes d’un pays de « vieux » sans avoir connu les avantages d’un pays de jeunes dynamiques au travail. C’est là notre plus grand problème et le plus grand dilemme de la société brésilienne actuelle.
Pour résoudre cela, il faudrait non pas une réforme éducative, mais une véritable révolution sociale dans l’éducation, susceptible de la changer de fond en comble, depuis l’enseignement primaire (et peut-être même avant) jusqu’aux études post-gradués. Il n’est pas certain que la société brésilienne, et surtout ses leaders politiques soient capables, non seulement de commencer cette révolution, mais simplement de comprendre la portée du problème, d’en établir un diagnostic correct de sa nature, de prescrire les solutions les plus adéquates et de donner le départ, finalement, à ce bouleversement complet du système éducationnel brésilien.
L’éducation (pas très) sentimentale : une idée (hélas, bien mal) reçue…
C’est pourtant la seule question qui compte pour notre avenir, le seul vrai problème à résoudre dans la présente génération, pour permettre à la suivante de vivre dans un pays non plus émergent, mais enfin émergé, ou normal, selon les approches. Cela vaut la peine d’essayer. Mais je ne suis pas certain que les études prospectives, du gouvernement ou des spécialistes, sauront isoler ce problème et le considérer dans toute sa dimension dramatique. C’est du moins mon espoir…
Paulo Roberto de Almeida
(Paris, 23 février 2012 ; révision : 01/03/2012)
Collaboration a dossier spécial sur le Brésil, revue Diplomatie