La politique étrangère de Biden se précise, la Seconde Guerre froide aussi
Maya Kandel
Institut Montaigne, Paris - 19.11.2021
Redéfinition des priorités régionales, multilatéralisme rénové, mise à jour des partenariats, sommet avec Pékin : la politique étrangère de Biden se précise, y compris dans sa dimension "pour les classes moyennes" qui semblait jusqu’ici surtout tenir du slogan. Comme sur le plan intérieur avec la loi d’infrastructures, considérée comme l’un des plans les plus ambitieux de l’histoire moderne américaine, l’administration Biden a engrangé plusieurs avancées de politique étrangère ces dernières semaines. Mais comme sur le plan intérieur, elle peine à capitaliser sur ses succès face à une popularité en berne. Après un premier volet sur la politique intérieure, ce billet se penche sur les progrès de l’agenda international de Biden.
L’automne a d’abord délivré les premiers succès de la "politique étrangère pour les classes moyennes". Cette approche, définie par l’équipe Biden en réponse à la victoire de Donald Trump en 2016, semblait tenir du slogan de campagne ; elle se concrétise aujourd’hui autour d’un partenariat transatlantique rénové. À cet égard, la série automnale de sommets européens a constitué une mise en pratique de cette politique étrangère destinée à "donner des résultats pour les citoyens", traduction internationale du slogan démocrate "Build Back Better".
L’accord sur la taxation plancher des multinationales a ainsi été entériné au G20, une victoire pour l’équipe Biden même s’il reste encore à mettre en œuvre cet engagement : la symbolique est forte, avec le ralliement de 140 pays qui représentent plus de 90 % du PIB mondial. Fruit des efforts diplomatiques de la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, cet accord est aussi un cas d’école de l’intérêt pour le président américain de faire de la politique intérieure en utilisant la politique étrangère, puisqu’il n’avait pu faire passer cet aspect de son programme au Congrès en raison de l’opposition unanime des Républicains et de quelques Démocrates additionnels.
Autre traduction pratique de la "politique étrangère pour les classes moyennes", l’accord sur l’acier et l’aluminium signé avec l’Union européenne (UE). Il met fin au différend hérité de Trump, autre dossier qui empoisonnait toujours la relation transatlantique (après la trêve sur le dossier Airbus/Boeing en juin dernier), tout en incluant les dimensions climatiques et sociales dans les règles commerciales, forme de partenariat resserré face à Pékin. La question est de savoir si cet accord signale vraiment une nouvelle ère post-libre-échange facilitant la transition vers des économies bas-carbone. Il propose en tout cas des pistes intéressantes, y compris dans les deux voies d’élargissement possible déjà envisagées : vers des économies comparables, sous forme de "club climat", et avec des aménagements vis-à-vis des économies en développement, pour faciliter leur propre transition.
Ce deuxième angle est également illustré par l’un des nombreux accords signés lors de la COP26, qui a suivi le G20, avec l’initiative transatlantique pour aider à la transition du secteur énergétique sud-africain, autre succès et autre volonté de répondre de manière transatlantique aux nouvelles routes de la soie chinoises. Comme l’accord US-UE sur le méthane, ce type d’association signale la vitalité de nouvelles formes de multilatéralisme pragmatiques et adaptés à une nouvelle ère marquée par la priorité climatique - et la compétition stratégique.
Trêve sino-américaine
Autre surprise de la COP26, la déclaration conjointe de Washington et Pékin sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris. Si on ne peut la considérer comme un "succès", elle écarte, pour l’instant, le scénario du pire d’un découplage total des deux superpuissances. Cette déclaration témoigne surtout d’une volonté conjointe de faire baisser la tension et rétablir la communication, à travers une impulsion donnée d’en haut aux représentants des deux nations. En octobre, on avait noté la signature d’un accord historique de fourniture de gaz américain à la Chine, et la tenue de deux longues conversations entre Américains et Chinois. Ces éléments ont pu déboucher sur un sommet virtuel le 15 novembre entre Joe Biden et Xi Jinping, qui a permis à chacun de repréciser ses lignes rouges et ouvert la voie à une stabilisation de la relation, qui ne pouvait venir que des deux leaders.
Le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, expliquait dans un compte-rendu le lendemain à la Brookings Institution qu’il s’agissait avant tout d’éviter toute erreur de jugement pouvant conduire à une confrontation ouverte, mais aussi de préciser les domaines de coordination entre les deux superpuissances dominantes du 21ème siècle. Les "vieux amis" - expression utilisée par Xi Jinping - ont ainsi évoqué le climat, la pandémie, le respect de la phase un de l’accord commercial signé sous Trump mais aussi les dossiers iranien, nord-coréen et Taïwanais - véritable ligne rouge chinoise -, le tout dans un cadre de compétition économique assumée. Il a été beaucoup question de la crise énergétique actuelle.
... ou entrée dans la Seconde Guerre froide ?
Cet échange, suivi dès le lendemain par des rumeurs de boycott américain des Jeux Olympiques de Pékin, peut également s’entendre comme l’entrée officielle dans la "Seconde Guerre froide", définie comme un état de compétition globale permanente entre deux superpuissances rivalisant pour la puissance et l’influence sur l’ensemble du globe. Une deuxième Guerre froide" qui n’a pas vocation à être identique à la première opposant les États-Unis à l’Union Soviétique, même si c’est la seule référence historique dont nous disposons (il y a bien eu une Seconde Guerre mondiale, différente de la Première).
Il s’agissait avant tout, pour deux dirigeants en prise chacun avec de fortes contraintes intérieures, de relâcher une pression dangereuse dans la relation bilatérale la plus cruciale pour leur avenir politique, mais aussi pour le monde et le siècle présent. Le seul résultat concret de ce sommet semble être le lancement de discussions sur le contrôle des armements avec la Chine, autre réminiscence de la Guerre froide.
Le seul résultat concret de ce sommet semble être le lancement de discussions sur le contrôle des armements avec la Chine.
Les nuances du "consensus" sur la Chine sont toujours nombreuses à Washington, où le débat sur la politique étrangère n’a pas été aussi ouvert depuis plusieurs décennies, autre héritage de la présidence Trump. Le moment politique très fluide que vit l’Amérique contemporaine, entre redéfinitions et radicalisation partisanes, se traduit également dans les variations de l’opinion sur des sujets allant du libre-échange à la défense de la démocratie, où la Chine commence à occuper une place à part. Dans l’étude annuelle du Chicago Council on Global Affairs sur les opinions des Américains en matière de politique étrangère, une majorité d’Américains affirme vouloir se porter à la défense de Taïwan en cas d’attaque de Pékin ; de même, les Américains demeurent favorables au libre-échange en général, mais pas avec la Chine.
Ces complexités et nuances éclairent aussi le problème de "narratif" de l’administration Biden, sur la Chine comme sur d’autres sujets, alors qu’en face les républicains ont embrassé une rhétorique d’affrontement civilisationnel qui s’applique aussi bien à l’extérieur (contre la Chine) qu’à l’intérieur (contre le "marxisme" des démocrates), alors même qu’ils sont en réalité tout autant divisés sur la pratique, notamment vis-à-vis de Taiwan. Ces nuances sont à l’image de la fragmentation de l’opinion, parfaitement mises à jour dans une récente étude du Pew Research Center, qui montre le poids d’un bloc "nationaliste" au sein de l’opinion, face à un autre bloc "internationaliste", tandis qu’aux deux extrêmes des convergences marquées se confirment.
Maya Kandel est historienne, spécialiste de la politique étrangère américaine, chercheuse associée à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 (CREW), Maya Kandel est directrice du programme États-Unis.
Avant de rejoindre l’Institut, Maya Kandel a été responsable des États-Unis et des relations transatlantiques au CAPS (Centre d’Analyse, de Prévision, et de Stratégie) du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères (2017-2021) ; elle était également rédactrice en chef des Carnets du CAPS. De 2011 à 2016, elle a dirigé le programme États-Unis de l’IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire). Maya Kandel a également travaillé comme journaliste auprès de médias tels que Forbes, Libération ou encore France Télévisions, tout en menant des recherches doctorales sur la prise de décision aux États-Unis.
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