Un dernier livre, comme un testament. Disparu en octobre 2021, Léon Vandermeersch a été l’un des grands sinologues français du XXe siècle, spécialiste de la Chine ancienne, du confucianisme et de l’histoire de la langue chinoise. Héritier d’une tradition sinologique soucieuse de ne pas rabattre sur les catégories occidentales l’originalité du monde chinois, il a consacré sa carrière à l’exploration de l’écart qui sépare les pensées chinoise et occidentale. Jusqu’à la littérature, dont il montre ici combien elle s’est développée en Chine sur des bases radicalement différentes des littératures indienne, hébraïque, grecque ou latine.
A rebours de tant de littératures nées d’abord de l’oralité, c’est de l’écriture même qu’est née la littérature chinoise, d’une écriture idéographique, d’abord divinatoire et administrative, conçue non pas comme création démiurgique mais comme reflet de l’ordre du monde (le dao), marque naturelle de l’homme comme la forêt a pour marque le bruit du vent dans les feuilles, ou le tigre les motifs qui zèbrent son pelage. La recherche esthétique y est avant tout celle de ses ciselures – comme on cisèle le jade pour mettre au jour la forme qui y nichait –, pour reprendre le titre du traité de littérature chinoise dont part l’ouvrage, et que Léon Vandermeersch n’hésite pas à ériger en pendant chinois de la Poétique d’Aristote : Les Ciselures de dragon du génie littéraire, rédigées par Liu Xie au tournant du VIe siècle de notre ère.
A partir de la littérature, c’est toutefois une histoire beaucoup plus large que déploie l’historien, ouverte sur la peinture chinoise, sur l’influence –notamment littéraire – du bouddhisme en Chine, et de la Chine dans le reste de l’Asie orientale, ou encore sur les transformations qu’a connues le pays au XXe siècle, à partir du mouvement du 4 mai 1919 dont l’une des cibles premières était, justement, la littérature. Une histoire totale de la Chine à partir de sa littérature, en quelque sorte, par l'un des historiens qui a su, le mieux, montrer ce qu’il se joue d'histoire dans la langue.
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