Todo mundo acha que a Itália é velha. Pois não é, tem menos idade que o Brasil...
Ela só nasceu 150 anos atrás, quando o Brasil existe há quase duzentos anos...
Umberto Eco : "L’Italie, c’est avant tout une langue"
LE MONDE MAGAZINE, 18.03.2011
L'Italie fête les 150 ans de son unité. Anniversaire morose, galvaudé par les tensions récurrentes mais croissantes entre le Nord et le Sud, les scandales à répétition et les frasques de son président du conseil. Silvio Berlusconi ou la caricature d'une certaine Italie : truqueuse, comédienne, machiste, provinciale et vulgaire. Irritante et inquiétante. Mais une autre Italie demeure, géniale et envoûtante, l'Italie de l'harmonie du climat et des palais, des hommes et des choses.
Umberto Eco appartient à cette Italie-là, cosmopolite et éclairée, il est l'un de ces chefs de file, un monument d'érudition, professeur émérite de sémiotique, de linguistique et de philosophie, spécialiste d'esthétique médiévale et romancier à succès : dans la lignée du Nom de la rose et du Pendule de Foucault sort ces jours-ci en France son dernier opus, Le Cimetière de Prague (Grasset), une fresque riche en rebondissements, en complots antisémites et maçonniques dans l'Europe de la seconde moitié du XIXe siècle.
Umberto Eco ou l'élégance nonchalante, paraît-il italienne, qui m'ouvre la porte de son splendide appartement dominant le château des Sforza à Milan en peignoir, cigarillo – éteint – au bec : il avait oublié l'heure de notre rendez- vous. Umberto Eco, l'essayiste, ou le témoin éclairé : né en 1932, au mitan du Ventennio fasciste, dans le Piémont, le berceau de l'unité, il est depuis des décennies, par ses articles de presse et ses prises de position, le chroniqueur des heurs et malheurs de l'Italie.
Pouvait-on envisager meilleur cicérone pour célébrer son 150e anniversaire ?
Umberto Eco, que signifie être italien en ce 150e anniversaire de l'unité du pays ?
Umberto Eco : C'est appartenir à une nation jeune, immature, comparée à de vieux pays européens comme la France, l'Espagne ou l'Angleterre. Pour moi, l'Italie c'est avant tout une langue. Si un Français feuillette aujourd'hui un livre de Rabelais dans sa version originale, il aura des difficultés à comprendre le texte. Idem pour un Britannique s'il parcourt un ouvrage de Chaucer. En revanche, un chauffeur de taxi italien peut comprendre aisément La Divine Comédie, de Dante. La langue italienne a très peu évolué depuis mille ans.
Certes, mais, à l'époque du Risorgimento ["renaissance" ou "résurrection", la période où s'effectue l'unification], en 1860-1861, une infime minorité – 2 % ou à peine plus – de la population parlait l'italien. Ainsi, lorsque Garibaldi et ses hommes débarquent chez les Bourbons en Sicile en 1860, ils éprouvent les plus grandes difficultés à communiquer avec la population locale.
Le Sicilien est un grand mystère, encore aujourd'hui ! Plus sérieusement, c'est vrai qu'au moment de l'unité italienne l'italien est encore une langue de lettrés. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle a très peu évolué au cours des siècles. Une langue change en se frottant à la réalité quotidienne de la population qui l'emploie. Ce statu quo linguistique a favorisé l'unification tardive de l'Italie au cours de ces cent cinquante dernières années. La langue italienne a fait les Italiens. Car l'Italie, avant d'être une nation – souvenez-vous que Metternich considérait l'Italie comme une "expression géographique" lors du Congrès de Vienne en 1814-1815 –, est d'abord une culture portée par une langue.
Une culture ? Pourtant, en Italie, chaque région, chaque ville se vante d'avoir la culture la plus brillante ou la meilleure cuisine. Depuis des siècles, le campanilismo, l'esprit de clocher des Italiens, est légendaire…
C'est exact. Cependant, il me semble qu'il existe une parenté entre Raphaël et les autres artistes de la péninsule du XVIe siècle. Au Louvre par exemple, même si les œuvres de Raphaël et du Caravage sont distinctes, on constate immédiatement que celles de Poussin sont d'un genre totalement différent. Aux XVIe et XVIIe siècles existent déjà une école de peinture italienne, et plus généralement une culture italienne, des siècles avant la fondation de l'Italie moderne. Mais c'est une culture des élites, présente notamment dans les livres depuis le Moyen Age. Dante appelle à la fondation d'une Italie. Quelques années plus tard, Pétrarque y fait aussi allusion puis, deux siècles plus tard, Machiavel. Au début du XIXe siècle, le poète Giacomo Leopardi aspire à la création de l'Italie. C'est un désir commun à de nombreux artistes et écrivains. Le néoclassicisme romantique d'Alessandro Manzoni est très influencé par la littérature de la Renaissance. Bref, il existe des constantes dans la culture italienne, en particulier une littérature pluriséculaire, qui vont permettre de faire émerger l'Italie unifiée et moderne.
Et puis il y a l'étincelle politique du milieu du XIXe siècle…
Bien sûr, l'unification de l'Italie s'inscrit dans le mouvement des nationalités qui balaie toute l'Europe – la Pologne, la Hongrie, l'Allemagne… – après la Révolution française et l'empire napoléonien. Mais cette aspiration à l'unité est véhiculée par une langue commune aux élites des Etats italiens et se nourrit d'elle. Ainsi, les généraux de Garibaldi, à défaut de comprendre le petit peuple, peuvent s'entretenir et s'entendre avec les bourgeois et les grands propriétaires terriens siciliens. Souvenez-vous du Guépard !
Comment l'italien s'est-il propagé dans la population pour devenir son élément le plus fédérateur ?
En trois phases. D'abord grâce à l'école, au service militaire et, surtout, à la première guerre mondiale. Cinq millions d'Italiens furent mobilisés. Ils apprirent à vivre et à mourir ensemble sous l'uniforme italien.
La guerre fut un creuset : pour la première fois, les gens du Nord et du Sud se côtoyaient. Puis la deuxième phase : ce furent les gigantesques migrations du Sud, agricole, vers le Nord, plus industrialisé. Des épreuves terribles attendaient les nouveaux arrivants, qui communiquaient très difficilement avec les autochtones. Cette deuxième phase se termine dans les années 1950.
Commence alors la troisième phase, la plus intensive : l'unification de la langue par la télévision, qui fournit aux Italiens un lexique et une syntaxe élémentaires. Elle a créé aussi des références communes à un pays qui en manquait. Je songe, par exemple, aux shows de Mike Bongiorno. A la fin des années 1950, son quiz, "Lascia o raddoppia ?" ("quitte ou double ?", en français ?), était si populaire que la vie s'arrêtait dans tout le pays chaque jeudi soir. Même les cinémas étaient fermés ! En propageant cette langue, la télévision a joué un rôle fondamental. Aujourd'hui, un chauffeur de taxi s'exprime comme un avocat des années 1930, il est même capable de citer des articles de loi parce qu'il a été exposé constamment à la télévision. Même Berlusconi parle un bon italien. Grâce à la télévision, certainement !
Vous m'étonnez : je pensais que si nous parlions de télévision vous seriez très critique à son égard…
Attention ! La télé italienne est "trash", elle a corrompu les valeurs, les mœurs et les idées des Italiens, mais reconnaissons qu'elle a largement contribué à l'unité de notre nation en favorisant l'émergence d'une langue commune. Dans les années 1950, un flic originaire du Mezzogiorno était pauvre comme Job, mal fagoté et son accent était terrible. Aujourd'hui, un policier du Sud est bien habillé, il parle un bon italien et, par la grâce de la télévision, il me reconnaîtra !
Malgré le succès de l'italien, l'Italie apparaît très désunie à l'occasion de ses 150 ans. Comment l'expliquez-vous ?
Que voulez-vous, cent cinquante ans, c'est insuffisant pour souder un peuple. Il nous manque un lien pluriséculaire, une certaine constance historique, à la différence des Français et, plus encore, des Britanniques et des Espagnols, qui ont un monarque à leur tête depuis des siècles. Nous n'avons eu que des "tuteurs" temporaires pour quelques décennies : Victor-Emmannuel II pour soixante ans, le fascisme pour vingt ans, la république depuis la fin de la guerre. De fait, nous n'avons jamais tué le père ! Or tuer le père est un acte fondateur pour une nation ! C'est un rite de passage capital. La décapitation de Louis XVI a forgé la nation française.
Vous avez pendu Mussolini, tout de même…
Oui, mais Mussolini n'était que le Duce d'un régime qui n'avait que vingt ans et des poussières. Il n'était pas l'incarnation d'une Italie de la longue durée comme le furent Louis XVI et Charles Ier en Grande-Bretagne, lui aussi décapité. Nous n'avons pas tué le père, faute d'en posséder un. En revanche, nous pratiquons le fratricide comme personne. Voilà une vraie spécialité italienne !
Comment ça, le fratricide ?
Nous sommes les rois des luttes intestines et des guerres picrocholines.
Notre histoire, c'est Florence contre Pise, Pise contre Livourne, Venise contre Milan… Et ça continue aujourd'hui ! Malgré sa situation dramatique, l'opposition de gauche est incapable de se rassembler. A droite, Fini [Gianfranco, leader de l'Alliance nationale, parti héritier du fascisme] s'est fâché avec Berlusconi.
Maintenant, c'est dans le parti de Fini qu'on s'entre-déchire…
Silvio Berlusconi tient quand même plus ou moins sa majorité depuis plus de quinze ans…
Oui, parce qu'il a suffisamment d'argent pour cimenter l'ensemble. Mais le jour où il disparaîtra, la droite s'entre-tuera comme la gauche. Je vous le dis, le fratricide est le grand sport italien.
Pour quelles raisons ?
Mille ans d'unité romaine nous ont certainement épuisés. Il nous en faudra peut-être deux mille pour reprendre notre souffle… Je crois aussi que nous nous entre-déchirons parce que nous n'avons jamais eu d'ennemis intimes. Un jour, j'étais à New York dans un taxi. Le chauffeur pakistanais me demande d'où je viens, quelle langue je parle et quel est l'ennemi de l'Italie. J'ai réfléchi pendant quelques minutes, puis je lui ai dit que l'Autriche, l'Allemagne et quelques autres nous avaient attaqués mais que nous n'avons jamais été fâchés très longtemps. Je lui ai expliqué que les Italiens sont différents des Pakistanais : nous n'avons pas d'ennemi mortel comme l'Inde. Il m'a regardé longuement, déçu, assez méprisant, comme si j'étais, moi, comme toute l'Italie, une lopette. En réalité, je n'ai pas osé lui avouer que mon principal ennemi, c'était le village d'à côté ! C'est ça, l'Italie !
Dans votre nouveau roman, Le Cimetière de Prague, votre "héros", Simonini, un antisémite fanatique, va rejoindre les Chemises rouges de Garibaldi en Sicile à l'occasion de l'expédition des Mille, qui lance l'unification du royaume. Quelle est aujourd'hui la place dans la conscience nationale des héros du Risorgimento (Cavour, Garibaldi, Mazzini, Victor-Emmanuel II) ?
Certains ne veulent pas en entendre parler. Les racistes de la Ligue du Nord en premier lieu. Ils prônent le fédéralisme et même la sécession, s'opposent à tout transfert de richesse vers le Sud. Ils ont fait émerger une littérature pour démontrer que le Risorgimento était une erreur considérable, un complot du royaume du Piémont contre les véritables aspirations des Italiens. De l'autre côté, dans le sud de l'Italie, on assiste à une résurgence culturelle "néo-bourbonnesque" assez étonnante.
Après l'expédition de Garibaldi et la création de l'Italie, beaucoup de Méridionaux ne se sont jamais reconnus dans le nouveau royaume d'Italie.
Pendant très longtemps, on nous a caché la vérité quant aux combats de la fin des années 1860, en Sicile notamment : on nous les a présentés comme une lutte contre le brigandage, alors qu'il s'agissait d'une véritable guerre civile.
Comme en Vendée après la Révolution française. Et, comme en Vendée, la révolte a été violemment écrasée : deux cent mille soldats ont été dépêchés dans le Sud pour combattre les insurgés. Aujourd'hui, des sites Internet prolifèrent pour dénoncer Garibaldi, considéré comme un salaud, parce qu'il a lancé l'OPA du Nord sur le Sud…
Et la majorité des Italiens, que pense-t-elle de l'épopée garibaldienne ?
Je dirais qu'il y a de sa part un désintérêt poli. Garibaldi, c'est un mythe, comme Jeanne d'Arc en France. Il est intouchable, chaque village possède une rue Garibaldi mais il fait partie du paysage. Les symboles du Risorgimento ne sont pas assez parlants dans l'imaginaire collectif. L'unité nationale ne renvoie pas à des symboles forts et immédiats, à un référentiel puissant. Ce n'est pas comme en France où, lorsqu'on évoque la République, on pense immédiatement à la Révolution et à la déclaration des droits de l'homme.
Par ailleurs, pendant très longtemps, ma génération, née dans les années 1930, et celles de l'après-guerre ne voulaient pas entendre parler de "nation" ou de "patrie"… Ces notions étaient associées au fascisme, à la guerre. Nous nous sommes volontairement détachés de cette histoire.
En va-t-il de même pour l'héritage romain, lui aussi surexploité par la propagande fasciste ?
Oui. Il y a eu indigestion de Rome sous Mussolini. Aujourd'hui, le Colisée est bon pour les touristes ou les péplums hollywoodiens !
Est-ce pour cette raison que l'Italie ne semble guère vibrer à l'occasion de ses 150 ans ? Ici, à Milan, on perçoit une indifférence de la population et un désintérêt des autorités publiques. Il n'y a ni affiche ni drapeau dans les rues. En France, pour le bicentenaire de la Révolution, c'était autre chose…
En effet, le gouvernement de droite a considérablement réduit le budget des commémorations. Il n'empêche qu'on sent poindre un certain intérêt pour cet anniversaire. Le 17 février, le comédien et cinéaste Roberto Benigni a fait un coup d'éclat au Festival de la chanson de San Remo. Il est apparu sur un cheval blanc avec, dans une main, le drapeau tricolore italien. Pendant près d'une heure, il a célébré le Risorgimento, ses valeurs, ses héros ainsi que l'Inno di Mameli, ("Frères d'Italie"), notre hymne national… Il a parlé d'orgueil national, d'amour de la patrie, du peuple, de tous ces jeunes qui sont morts pour la patrie, par idéal, il y a cent cinquante ans. Et il a été longuement applaudi. Peut-être que les choses évolueront après l'intervention de Benigni : un poète peut quelquefois changer bien des choses…
Certains Italiens seraient-ils finalement attachés à leur patrie ?
Pour la plupart des Italiens, l'Italie existe, elle est là, et basta ! Ils n'y pensent pas tous les jours, donc ils l'acceptent, ils ne remettent pas en question son existence. En fait, ce sont les positions extrémistes, antinationales, celles de la Ligue du Nord notamment, qui font réagir les gens.
Quand, il y a quelques années, Umberto Bossi, son président, déclarait qu'il "se netto[yait] le cul avec le drapeau national", eh bien oui, la majorité des Italiens a été blessée et a réagi. Les exagérations des extrémistes nous unissent davantage que les aspects positifs de notre histoire et de notre nation.
Le président Giorgio Napolitano, chantre de l'unité du pays, est aussi très populaire…
Compte tenu des tensions actuelles, on note un certain retour en grâce de l'idée nationale. Et je crois que, si Napolitano est respecté, c'est parce qu'il incarne l'unité. Chez les sympathisants de la droite, qui ont même oublié son passé communiste, comme chez ceux de la gauche, ce qui est assez remarquable.
C'est aussi lié à la personnalité de Silvio Berlusconi, qui divise profondément la société italienne…
Bien sûr, c'est lié à la situation politique actuelle. Dans la lignée de son prédécesseur Ciampi, mais plus encore, Napolitano incarne le bon sens, la légalité et la garantie de l'unité aux yeux de la population. Il est en train de donner un lustre nouveau à la fonction présidentielle. Une image paternelle a été créée. Ce n'était pas le cas il y a seulement dix ou vingt ans. A l'exception de Sandro Pertini – président de 1978 à 1985 – qui, pipe à la bouche, touchait le cœur de tous les Italiens, les présidents précédents ne jouissaient pas d'une telle popularité.
De l'extérieur, on a souvent l'impression que les Italiens ne s'unissent que pour supporter leur équipe nationale, celle de football notamment…
Ah, cette éternelle histoire de Calcio italien et de la Squadra Azzura ! Moi, je n'y crois pas ! Je veux dire que les Italiens ne sont pas différents des autres peuples en matière de sport. C'est la même chose depuis les premières compétitions organisées dans la Grèce antique. Voyez-vous, quelles que soient les latitudes, l'homme a conscience qu'il va mourir, il tombe amoureux et il admire en général les choses qui sont bien faites. Le sport, c'est ça : on s'enthousiasme pour les prouesses des athlètes. Les Italiens ne sont pas différents des autres peuples. Cela n'a rien à voir avec notre identité nationale. L'amour qu'on porte à une équipe permet de définir son identité, surtout si on manque de culture. Quelle que soit l'équipe, d'ailleurs : si on faisait jouer les Blancs contre les Noirs ou les moins de 1,60 m contre les plus de 1,80 m, ce serait exactement pareil !
Quel est l'héritage du fascisme dans l'Italie actuelle ?
C'est une question très difficile, notamment parce qu'il n'est pas aisé de définir précisément le fascisme. Il n'avait pas d'idéologie unitaire à la différence du nazisme et du communisme stalinien. C'était un collage de diverses idées politiques et philosophiques, fourmillant de contradictions, qui réunissait la monarchie et la révolution, l'armée royale et la milice personnelle de Mussolini, le contrôle absolu de l'Etat et le libre marché, le futurisme et l'art fasciste. Si le fascisme a été si populaire à une certaine période, c'est parce que la majorité des Italiens pouvait y piocher comme dans un supermarché. Par ailleurs, ce fourre-tout ne fonctionnait que selon la volonté du Duce. J'y vois par conséquent un double héritage pour l'Italie contemporaine : premièrement, le syncrétisme nébuleux séduit toujours ; deuxièmement, le chef charismatique est une composante importante de la culture politique italienne.
L'Eglise s'est longtemps opposée à l'unité italienne. Quelle est sa position aujourd'hui dans la société ?
Il a fallu attendre le règne de la démocratie chrétienne, à partir des années 1950, pour que les catholiques participent à la vie politique italienne. Quant à l'Eglise, elle a su conserver un rôle primordial dans la vie nationale. Cavour voulait faire du Vatican un protectorat italien. Eh bien, cent cinquante ans plus tard, l'Italie demeure un protectorat du Vatican. L'influence politique et financière du pape demeure immense. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'opposition supplie aujourd'hui le Vatican de prendre position contre Berlusconi.
Parmi les problèmes de l'Italie, il y a les tensions croissantes entre le Nord et le Sud. A l'automne 2010, Giorgio Napolitano déclarait : "Le problème du Mezzogiorno et de l'unification réelle entre le Nord et le Sud reste le plus grand inachèvement du processus unitaire." Ces tensions finiront-elles par s'atténuer ?
Je n'en ai pas la moindre idée. La Ligue du Nord peut tenir des propos délirants, mais il est vrai aussi que le Sud a des faiblesses séculaires, notamment son incapacité à s'auto-administrer et la force du crime organisé et de la corruption. La Mafia existe depuis le Moyen Age.
Ces dernières semaines, les femmes italiennes se sont fortement mobilisées pour dénoncer le sexisme de la société. En écoutant leurs revendications, j'ai pensé à l'essai de Jean-François Revel Pour l'Italie (1958). Il y écrivait notamment : "L'Italie est un pays où la femme n'est pas considérée comme un être humain libre." Un demi-siècle plus tard, rien n'aurait changé pour la femme italienne ?
Au contraire ! Il y a eu d'immenses progrès. A l'époque, il n'y avait pas de ministres femmes, pas de PDG femmes, pas de femmes professeures d'université… Les femmes ont conquis le divorce et gèrent leur sexualité. A l'époque où Revel a écrit ces lignes, des rassemblements comme ceux qui viennent d'avoir lieu n'auraient pas été possibles.
A les entendre, l'Italie demeure un pays machiste…
Attention, le machisme n'a pas disparu, mais il n'est plus célébré. Il fait plus rire qu'autre chose de nos jours…
L'Italie est un Etat jeune mais à la population très âgée. Elle est menacée de scission, sa société est bloquée, elle connaît une fuite des cerveaux plus importante qu'ailleurs en Europe, et pourtant elle fonctionne toujours. Y aurait-il un génie italien ?
Vous vous souvenez de la scène mythique du Troisième Homme quand Harry Lime – Orson Welles –, au pied de la grande roue, au Prater de Vienne, rappelle que sous les Borgia, l'Italie a connu la guerre, la terreur, des meurtres et des massacres mais aussi Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance ? La Suisse, par contre, poursuit Lime, malgré cinq cents ans d'amour fraternel, de démocratie et de paix, n'a produit que le coucou ! Ce qui est faux, par ailleurs, c'est une invention allemande. Bref, dans un pays en crise continuelle depuis 476, date de la déposition du dernier empereur romain, soumis aux caprices de l'histoire, aux luttes intestines, aux occupations étrangères, aux aventures militaires, à la pauvreté, au terrorisme et autres calamités, il a fallu être malin et imaginatif pour survivre. La clé de notre succès, depuis des siècles, ce sont nos crises et nos drames à répétition.
L'Italie n'est ainsi pas près de disparaître ?
Vue sous cet angle, l'Italie a effectivement de beaux jours devant elle.
Propos recueillis par Olivier Guez, envoyé spécial à Milan
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