LUTTE DES CLASSES – Le Livre de poche, un danger pour « l’aristocratie des lecteurs »
Le Livre de poche a 60 ans. Pour l'occasion, le Salon du livre, qui aura lieu du vendredi 22 mars au dimanche 25 à la porte de Versailles, consacre une exposition sur "l'histoire graphique du Livre de poche". Petit format, grande histoire, pour une marque devenue nom commun, et qui a envahi les bibliothèques des foyers français. C'est Henri Filipacchi, alors secrétaire général de la Librairie Hachette, qui saisit en 1953 l'importance de l'accès à la lecture pour tous et conçoit ces petits livres à prix modique (2 francs, soit 30 centimes d'euro).En mettant au service de tous les grands textes classiques et modernes les techniques d'impression et de diffusion du roman populaire, Henri Filipacchi lance une révolution culturelle qui va marquer la seconde moitié du XXe siècle. Un débat a toutefois agité les sphères intellectuelles de l'époque. Alors que Jean Giono voyait dans le Livre de poche "le plus puissant instrument de culture de la civilisation moderne", Pierre Assouline rappelait dans "Le Monde des livres" que "la rentrée littéraire de 1964 fut marquée par une vive polémique contre le petit de l'édition. Un mini-scandale à son image. Engagé par la revue du Mercure de France, il était lancé par un philosophe, sémiologue et historien de l'art, Hubert Damisch, dans un article de seize pages intitulé 'La culture de poche'".
L'Institut national de l'audiovisuel publie un témoignage édifiant illustrant parfaitement cette polémique. Dans cette vidéo extraite de l’émission de l'ORTF "L'avenir est à vous", un jeune étudiant en médecine critique, avec une pointe de mépris dans la voix, et une grosse dose de snobisme, les ravages du format poche, réaffirmant la nécessité d’une "aristocratie des lecteurs".
"Ça fait lire un tas de gens qui n’avaient pas besoin de lire, finalement. [...] Avant ils lisaient Nous deux ou La Vie en fleurs, et d’un seul coup ils se sont retrouvés avec Sartre dans les mains, ce qui leur a donné une espèce de prétention intellectuelle qu’ils n’avaient pas. C’est-à-dire qu’avant les gens étaient humbles devant la littérature, alors que maintenant, ils se permettent de la prendre de haut. Les gens ont acquis le droit de mépris maintenant."
"Un débat d’un autre temps qui prête à sourire aujourd’hui, note le site Fluctuat. Vecteur essentiel de transmission de la littérature, ce format réduit s’est très vite imposé comme indispensable dans les stratégies des éditeurs, ce qui n’a pas plu à une frange d’intellectuels persuadés d’y voir une dégradation insupportable de la culture."
Ce mouvement ne pèse finalement pas bien lourd face au succès fulgurant du Livre de poche : de 8 millions d'exemplaires en 1958, les ventes atteignent 28 millions en 1969. Aujourd'hui, la maison d'édition peut se targuer d'avoir imprimé plus d'un milliard de livres et vendu en six décennies un catalogue de 5 200 titres et plus de 2 000 auteurs. "Le marché du poche représente un bon tiers du marché du livre français, et un livre sur quatre acheté en librairie l’est dans ce format, contre un sur cinq en 2003. Force est de constater, au-delà des polémiques, que le livre de poche a permis une diffusion des idées jusqu’alors inégalée", juge le site Historia. Le prolétariat des lecteurs a remporté sa révolution.
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